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›› Economie

Relance, réformes et risques de crises. Bilan d’étape

Le 22 mars 2016 lors d’un forum économique à Diaoyutai, le gouverneur de la banque de Chine Zhou Xiaochuan a mis en garde contre l’accumulation des dettes et la baisse de rentabilité des groupes publics.

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Le 15 avril le gouvernement a publié une série de chiffres indiquant qu’il avait procédé à une relance ciblée attestée par une soudaine augmentation du crédit dont le montant global a atteint 361 Mds de $ en mars, très au-dessus des prévisions des observateurs de l’économie dont Bloomberg est un des plus pertinents.

L’événement a déclenché une foule de commentaires sceptiques ou franchement pessimistes sur la capacité du pouvoir chinois à mener à bien les réformes décidées en 2012 dont la feuille de route avait été formalisée lors du 3e plenum de novembre 2013 et confirmée par le 13e plan adopté par l’assemblée nationale en mars 2016.

Mais le temps long chinois qui articule les réformes au sein du plan quinquennal jusqu’en 2020 oblige à mettre les pessimismes en perspective et à faire le point détaillé des réformes pour en évaluer la portée réelle en même temps que la force des blocages qui les handicapent.

Alors que la lourde machine économique chinoise a lentement commencé à se réformer, deux préoccupations majeures subsistent : les restructurations du vieux secteur industriel progressent dans la douleur et de manière très inégale ; l’accumulation des dettes internes fait peser un risque de faillites en série portant un potentiel de crises sociales, première hantise politique du régime.

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Une relance efficace louée par les investisseurs

mais critiquée par les observateurs.

Selon les statistiques nationales, le relâchement du crédit annoncé à la mi-avril a redynamisé l’immobilier, en croissance de 9,1% par rapport au premier trimestre 2015, tandis que le secteur de la construction gagnait 7,8%, de concert avec un groupe d’activités et de services (hautes technologies, santé, éducation) en expansion moyenne de 8,7%.

En revanche, le développement du secteur financier qui, au premier trimestre 2015, avant les soubresauts boursiers de l’été, avait culminé à 15,9%, a faibli au cours des trois premiers mois de 2016, tout en restant à +8,1%, très supérieur à la croissance moyenne de l’économie globale, estimée à 6,7%.

L’accélération du crédit semble contredire les déclarations du gouverneur de la Banque de Chine Zhou Xiaochuan qui, s’exprimant dans une interview à Caixin publiée le 15 février 2016, après la conférence économique centrale de janvier, expliquait que les réformes de rééquilibrage de la croissance et la politique de restriction du crédit seraient poursuivies.

Pourtant, aussitôt après la publication des chiffres officiels que certains ont analysés comme un revirement, des commentaires alarmistes ont surgi spéculant sur « le coup de pouce donné à la finance grise » par l’avalanche des crédits, tandis qu’on soupçonnait le pouvoir de donner désormais la priorité à la croissance attisée par les anciens procédés d’investissements massifs, au détriment des réformes de structures et de bonne gestion des groupes publics.

L’idée générale des critiques étaient que le pouvoir reléguait aux calendes grecques l’indispensable réforme des entreprises d’État qui, au cours des 10 dernières années ont, par les excès d’investissements, la création de surcapacités et des allocations de capital à l’efficacité douteuse, gravement fragilisé le système économique chinois.

La charge des observateurs extérieurs est d’autant plus virulente que l’UE est aujourd’hui engagée, au profit de ses sidérurgistes, dans une guerre tarifaire contre le dumping des aciéristes chinois qui tentent d’écouler leurs surplus à prix cassés sur le marché européen. Lire à ce sujet : La Chambre de commerce de l’UE en Chine, nouvel acteur politique ?

En mars, les agences de notation américaines s’en sont mêlées puisque Standard & Poor qui suivait la tendance de Moody’s Investor Service, dégradait la note de la Chine, mettant en doute la capacité des pouvoirs publics à poursuivre sans faiblir les réformes des entreprises d’État.

Le 12 mars, le FMI se joignait au concert des mises en garde en rappelant que les prêts accordés à des créanciers incapables d’en payer les intérêts s’élevaient à 1300 Mds de $, faisant planer la menace d’une perte sèche pour les prêteurs équivalant à 7% du PIB (850 Mds de $, soit le PIB de l’Indonésie).

Il est vrai que les réformes des groupes publics, notamment ceux gérés par les provinces, piétinent, handicapées par les craintes sociales et les combats d’arrière garde des intérêts corporatistes souvent alliés aux administrations locales dont la collusion a fini par plomber l’efficacité de monstres industriels mal gérés plombés par un endettement représentait à la fin 2014 100% du PIB. Le dernier bulletin économique de l’ambassade de France en Chine souligne d’ailleurs que « la dynamique de l’endettement est préoccupante » puisque le ratio dette / PIB a augmenté de 80% entre 2008 et 2014.

Alerte à l’accumulation de dettes et aux risques de faillites en série.

La situation qui augmente mécaniquement les risques de faillites, était assez grave pour que, le 22 mars, Zhou Xiaochuan, s’exprimant devant le « China Development Forum », mette en garde contre l’accumulation des dettes et les baisses de rentabilité du secteur public.

Aujourd’hui encore, cette partie archaïque de l’appareil productif constitue la principale pierre d’achoppement et non des moindres du processus de réajustement de la machine économique chinoise. Beaucoup d’observateurs doutent même que l’État puisse mener à bien leurs réformes sans encombre.

Les analystes étaient aussi préoccupés par la dette interne dont la somme cumulée (gouvernement, entreprises, et ménages) est estimée par Bloomberg (qui reprend une étude de Mc Kinsey) à 2,5 fois le PIB chinois. Lire aussi Risques financiers et pilotage macro-économique. Entre relance et rigueur

Surtout, l’État chinois a pour le faire accepter dans le panier de référence du FMI, a récemment élargi la marge de flottement du Yuan. La Chine est ainsi, souligne le dernier bulletin économique de l’ambassade de France à Pékin, confronté à « l’impossible trinité » 1) de stabiliser le Yuan dont la valeur est tirée vers le bas ; 2) de rester entièrement maître de sa politique monétaire ; et 3) d’ouvrir, comme il l’a promis, son compte de capital.

Les tensions en cours s’expriment par une accélération de sorties de capitaux depuis 2015 aujourd’hui officiellement évaluées à plus de 500 Mds de $ par an (certains la situent à deux fois plus) que le gouverneur de la Banque de Chine explique par les conséquences de l’ouverture et par une fuite illégale de capitaux.

Entre ces contradictions Zhou Xiaochuan a fait son choix. Alors que nombre d’observateurs craignaient que la Chine déclenche une guerre des monnaies pour relancer ses exportations en favorisant la dépréciation du Yuan et en durcissant à nouveau le contrôle des changes, il a, dans l’interview accordé à Caixin cité plus haut, affirmé que Pékin maintiendrait son objectif d’ouverture du compte financier, tout en garantissant la stabilité du Yuan.

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Mise en sommeil des réformes financières. Priorité à la stabilité.

Le 4 avril Li Keqiang était à l’administration des taxes à Pékin pour promouvoir l’extension du système de TVA. Sur la situation économique du pays, il a réaffirmé à la fois sa détermination et sa prudence « nous ne nous laisserons pas perturber par des événements conjoncturels, mais nous restons vigilants. »

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La réalité est cependant un peu différente. Les retraits à l’étranger des résidents chinois ont été limités à 14 000 € ; l’autorisation d’investir sans limites hors de Chine sur des actifs libellés en Yuan a été suspendue et dans les zones de libre échange, l’investissement des multinationales est limité aux capacités financières des filiales autorisées en Chine.

Ajouté à d’autres restrictions, telles que l’utilisation des réserves de change pour racheter du Yuan, les mesures prudentielles appliquées aux banques de compensation, le durcissement des conditions d’emprunt et le calcul du taux de référence de la monnaie chinoise à partir d’un panier pondéré de 13 devises, moins accroché au Dollar, le resserrage des contrôles a porté ses fruits et le Yuan s’est pour l’instant stabilisé.

L’opération s’est effectuée au prix d’une érosion des réserves de change estimée à 800 Mds de $ depuis l’été 2014, mais dont le déclin a été stoppé en mars, puisqu’au cours de ce mois elles ont augmenté de 10,2 Mds de $, évaluées à 3210 Mds de $ en avril, contre 3834 Mds de $ à l’été 2014.

Essai de bilan des réformes.

Alors que la plupart des réformes annoncées par le régime en 2012 et 2013 s’inscrivent dans les délais du 13e plan quinquennal arrivant à échéance en 2020, le moment est venu d’un rapport d’étape, forcément en demie teinte. Il est vrai que l’ambiance actuelle est à la prudence financière et que la priorité n’est plus à l’ouverture des changes mais à la stabilisation de la monnaie en attendant que revienne la confiance, tandis que le réajustement des vieux géants industriels semble stagner.

Mais cette fois, la relance qui a pris la forme d’un injection de liquidités et d’une augmentation des déficits budgétaires annoncés par Li Keqiang en mars à 336 Mds de $, (soit une accroissement de +86 Mds de $ par rapport à 2015) est bien mieux contrôlée qu’en 2008 et 2009. Loin d’être éparpillée et erratique, elle garde sous surveillance les institutions de la finance grise et cible quelques secteurs stratégiques ou fragiles comme l’immobilier, la construction, l’aide aux PME, la haute technologie, la recherche, la santé et l’éducation.

Dans ce contexte, l’objectif macro-économique est clairement le contrôle ordonné de la décélération plutôt que la relance de la croissance, en attendant que la difficile bascule du schéma de développement produise ses effets. Même si les progrès sont lents, on ne peut nier que le rééquilibrage est en marche. Celui-ci est sensible dans l’érosion du rôle des entreprises d’État dans l’économie. S’il est vrai que celles-ci sont toujours un indispensable réservoir d’emplois pour amortir les crises sociales et, pour certaines, les fers de lance des stratégies extérieures de la Chine, leur poids macro-économique baisse inexorablement.

La part des groupes publics recule.

Leur restructuration progresse lentement.

Alors qu’en 2002, elles étaient à l’origine de 40% des exportations, en 2015 le poids des entreprises d’État dans l’export s’est effrité à seulement 12%. Le relais a été pris par les entreprises privées (45%), la part des groupes étrangers restant globalement stable ou en légère diminution, autour de plus ou moins 40%. La bascule est du même ordre dans la contribution des groupes publics à l’emploi urbain tombée à 16% en 2014, contre 59% en 1995. Le retrait s’observe également dans les allocations de crédit et la part des investissements fixes.

Alors qu’en 2010 les groupes publics monopolisaient 52% du crédit, cette proportion était en 2013 tombée à 46%, tandis que leur proportion d’investissements en capital fixe s’est effondrée de 40% en 2006 à 25% en 2015 (statistiques chinoises citées par le Bulletin économique de l’ambassade de France).

S’il est vrai qu’elle est freinée, la restructuration n’en est pas moins en marche. Un plan de fusion des 106 groupes publics sous administration centrale en seulement 40 groupes est en cours. Il a commencé par le regroupement très médiatisé de COSCO avec China Shipping et le mariage des géants du rail China South Locomotive et China North Locomotive.

En arrière plan s’affirme l’idée de la création d’une dizaine de géants chinois globalement compétitifs dont la perspective porte cependant le risque de perpétuer des féodalités rétives aux réformes de compétitivité. En même temps reste l’hypothèque des grands groupes de l’armement, des hydrocarbures, du TGV et du nucléaire, considérés comme des secteurs stratégiques pour l’instant intouchables.

Enfin des études sont en cours – mais elles avancent contre d’importantes réticences des PDG parfois alliés aux responsables locaux -, pour augmenter la part des dividendes reversés aux caisses de l’État par les groupes publics (partie du projet de financement des retraites dévoilé par le vice-premier Ma Kai au printemps 2014, lire notre article Le trou sans fond des caisses de retraite. Les groupes publics sur la sellette ; pour améliorer la transparence des gestions, augmenter le nombre de groupes financés par des capitaux mixtes ou privés, mieux sélectionner les PDG et créer des fonds communs d’actifs publics destinés à gérer globalement les capitaux des entreprises d’État.

A cet effet l’administration en charge du contrôle des actifs de L’État (SASAC) a, en février dernier, lancé un premier programme pilote soutenu par deux holdings financiers chinois (Chongtong Holdings et China Reform Holdings). Enfin depuis 2012 le ministère des finances a entrepris de remplacer l’impôt sur les revenus des sociétés par une taxe à la valeur ajoutée dont le but est d’alléger la fiscalité des entreprises avec une réduction de la charge fiscale globale sur les entreprises estimée à 76,9 Mds de $. Le 1er mai l’expérience sera étendue au secteur de la construction, à l’immobilier, aux banques et aux prix de détail.

Au total, à moins de 2 années du prochain Congrès du Parti et à 5 années des échéances du 13e plan, le processus de réformes est en marche, cependant dominé par l’extrême prudence de l’exécutif très attentif à ne pas bousculer la stabilité sociale. Au-dessus de ce très délicat processus de bascule plane l’hypothèque encore mal précisée des risques posés par l’endettement interne du pays, récemment rappelés par le FMI et Zhou Xiaochuan lui-même.

L’hypothèque de la dette interne.

Outre la question du financement des retraites et de la santé déjà évoquée, l’autre défi financier du régime tient à l’intégration dans le tissu urbain de plus de 200 millions de migrants après la suppression récente du passeport intérieur et dont la facture qui s’ajoutera à celle des obligations sociales de l’État (retraites et santé), est évaluée par le ministère des finances à 42 000 milliards de RMB (6000 milliards d’€) – qui représentent 60% du PIB du pays et 3 fois celui de la France à dégager pour financer les logements, l’adduction d’eau, le traitement des eaux usées, le chauffage, le transport et les services sociaux.

Sans l’apport de financements extérieurs et privés, ces défis qui constituent aussi de vastes opportunités pour des investisseurs étrangers, seront impossibles à relever. Mais la première condition est de ménager la confiance en continuant à ouvrir le compte de capital et en réduisant la main mise de L’État sur l’économie. Deux conditions connexes visant à une meilleure efficacité du capital serait que la direction du régime continue à augmenter les allocations de crédits aux PME qui, en 2015, ont constitué les premiers créateurs d’emplois et qu’elle coupe le très incestueux cordon ombilical entre les banques publiques et les grands groupes d’État, bases féodales de l’ancien schéma de développement.

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A y regarder de près, libérer l’économie des affres de l’endettement paraît en Chine au moins aussi difficile qu’ailleurs, avec cependant le très sérieux bémol que la dette chinoise est pour l’heure entièrement interne. Ce qui, en théorie, diminue l’ampleur des défis financiers. Pour autant la direction du régime surveille de très près les risques de faillites en série pouvant être provoquées par l’accumulation de créanciers insolvables portant un potentiel de catastrophes sociales et politiques.

Depuis janvier 2016, les investisseurs étrangers qui craignent des réactions en chaîne sur les marchés mondiaux de plus en plus connectés à l’économie chinoise nourrissent les mêmes inquiétudes. L’année 2016 dira si, après la stabilisation en cours, la politique de réformes sera poursuivie ou restera entre parenthèses, à des fins de relance pour des raisons politiques. Il est certain que la persévérance réformiste sera d’autant plus difficile que la baisse de la croissance, homothétique des transferts de richesse de l’oligarchie vers les Chinois, semble irrémédiable.

 

 

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