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›› Editorial

Tsai Ing-wen, à l’ombre du Dragon

Le 20 mai Tsai Ing-wen l’indépendantiste prête serment devant le drapeau de la République de Chine et la photo de Sun Yat-sen, le père fondateur dont le mausolée se trouve à Nankin.

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Le 20 mai, Tsai Ing-wen, la présidente du Parti pour le Progrès démocratique (Min Jin Dang 民进党) dont l’arrière plan politique est la quête d’une identité séparée du Continent, en rupture avec la mythologie de la réunification animant depuis 1949 le Parti Communiste Chinois et le KMT, a prêté serment et est devenue le 7e président de la République de Chine depuis son repli à Taïwan. Avant d’aller plus loin dans ce compte rendu, il faut évoquer la plus grande contradiction au cœur des tourments de Tsai Ing-wen.

Qu’elle le veuille ou non, en acceptant que Taïwan continue de s’appeler République de Chine, la nouvelle présidente s’inscrit dans une longue lignée historique commencée sur le Continent par Sun Yat Sen en 1911, toujours vénéré à Taïwan comme le père fondateur de la République, au point que le titre même de l’hymne national Sanmin Zhuyi, 三民主义 désigne aussi la philosophie politique des « Trois principes du Peuple – Nationalisme, Démocratie et Socialisme » au cœur de la réflexion du Dr Sun et slogan de la ligue des étudiants révolutionnaires, un des moteurs de la chute de la dynastie Qing.

Ainsi, quand, à la fin de son discours d’investiture Tsai a exhorté Pékin à « abandonner les bagages de l’histoire », « pour le bien des peuples de part et d’autre du Détroit » elle a formulé un vœu d’autant plus utopique qu’en 1922, Sun Yat Sen cherchait avec le tout jeune parti communiste le chemin du nouveau nationalisme chinois et celui improbable de la démocratie née 70 ans plus tard à Taïwan.

Les héritiers de Mao, pour qui la rupture historique n’a pas de sens, sont d’autant moins prêts à tourner la page que la question Taïwanaise constitue la dernière plaie ouverte de la guerre civile et une menace démocratique pour le régime communiste surgie des entrailles mêmes du Monde chinois.

Tsai rejette l’obsession continentale de réunification.

C’est pourquoi, même si le discours d’investiture de Tsai a surtout mis l’accent sur les problèmes intérieurs de l’Île et la manière de les résoudre en réformant les structures économiques, en augmentant les couvertures sociales et le système des retraites et en améliorant le fonctionnement du système judiciaire, la transparence et l’égalité, il n’en reste pas moins qu’en arrière plan planait l’obsession réunificatrice de Pékin et son insistance que Tsai accepte formellement de reconnaître clairement, comme le faisait le KMT, le « consensus de 92 » affirmant « l’existence d’une seule Chine ».

Mais ayant reconnu, ce qui était déjà une formidable concession pour une intellectuelle indépendantiste, la validité de la Constitution de République de Chine et que 1992 avait une vertu opérationnelle d’apaisement dans le Détroit, Tsai n’a cependant pas accepté d’effectuer « le tête à queue de la reconnaissance d’une seule Chine ». Au lieu de quoi, elle a réaffirmé son intention d’augmenter le rôle de Taipei dans les institutions internationales, de consolider ses relations avec ses amis japonais, américains et européens, tout en lançant le projet d’une politique extérieure et commerciale orientée au sud destinée à desserrer l’étreinte commerciale et économique du Continent.

Enfin, exhortant Pékin a tenir compte de la prévalence démocratique de l’Île et de la volonté politique des Taïwanais, promettant ne pas bousculer le statu-quo des relations installées par son prédécesseur, elle a proposé de développer les relations à tous les niveaux des deux sociétés par les canaux traditionnels existants que sont l’ARATS et la SEF [1], les deux associations dites non gouvernementales - en réalité expression directe des deux pouvoirs politiques - qui régissent les relations dans le Détroit depuis 1991. Mais déjà, ces agencements parallèles subissent les contrecoups politiques de la bascule électorale de janvier 2016.

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Multiples pressions de Pékin.

Ce que la Chine veut éviter à tous prix. A gauche un passeport officiel de la République de Chine, à droite, un passeport modifié par deux Taïwanais qui, le 27 février 2016 ont été refoulés à l’entrée à Hong Kong. La même mésaventure est arrivée à des Taïwanais à l’entrée à Macau et en Malaisie. Le mouvement dit des « stickers » a été lancé en 2015 et encourage des Taïwanais à modifier la couverture de leurs passeports par des autocollants. Denis Chen, le fondateur du mouvement pour l’instant peu suivi, dit vouloir mettre l’accent sur « l’absurdité de l’appellation République de Chine » et inciter les Taïwanais à réfléchir à l’avenir de Île. A Taïwan l’infraction est punie de 150 000 $ d’amende et de 14 ans de prison.

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S’il est vrai que l’existence des deux associations a permis la signature de 23 accords au cours de 11 rencontres depuis leur création – avec cependant une interruption de 10 années durant la présidence indépendantiste de Chen Shuibian -, des tensions sont nées depuis le succès électoral du DPP. Le 3 avril, sur injonction de la commission des Affaires étrangères du Yuan Législatif, la SEF a annulé un voyage sur le Continent où ses représentants devaient rencontrer le président de l’ARATS Chen Deming à Xiamen et se rendre à Shanghai.

La décision du Yuan législatif venait après que Pékin ait repris ses pressions directes contre Taipei à la suite de l’élection de Tsai en établissant le 17 mars des relations diplomatiques formelles avec la Gambie (lire notre article La Gambie et la Chine rétablissent leurs relations diplomatiques. 1er coup de semonce de Pékin), mettant ainsi fin à la trêve diplomatique par laquelle Pékin évitait depuis 2008 de faire pression sur les pays ayant des relations officielles avec Taipei.

Depuis, les pressions et camouflets contre l’Île se sont multipliés, avec la complicité des amis diplomatiques de la Chine. Le 13 avril un groupe de Taïwanais blanchis d’accusations de cybercrimes au Kenya, mais soupçonnés par Pékin d’avoir commis des fraudes en Chine ont été déportés en Chine par Nairobi ; entraînant de vives protestations de Taipei, le même scénario d’expulsion vers la Chine s’est reproduit le 1er mai à Kuala Lumpur pour 32 Taïwanais accusés de fraude par Pékin.

Dernier agacement diplomatique en date, le 6 mai, l’invitation envoyée à Taïwan par l’OMS comportait pour la première fois la condition que l’Île se conforme au « principe d’une seule Chine ». L’exigence imposée à Taïwan par l’OMS qui jusqu’à présent n’a toujours pas accepté d’inclure les médecins taïwanais dans les réseaux de lutte contre les endémies mondiales, a été facilitée par la Chinoise Margaret Chan, secrétaire générale de l’Organisation qui, depuis sa prise de fonction, a ordonné à ses équipes d’évoquer Taïwan, comme « une province de la Chine ». [2]

A ces pressions diplomatiques se sont ajoutées les habituelles manœuvres militaires destinées à tenir à distance toute velléité d’indépendance de l’Île. Trois exercices de débarquement de vive force ont été organisés en mai, en amont de la cérémonie d’investiture, dont le plus important a eu lieu sur les cotes du Fujian en face du Détroit, impliquant un régiment du 31e groupe d’armées de l’APL.

Le « consensus de 92 », pierre angulaire de la relation dans le Détroit.

La réponse laconique de Pékin au discours de Tsai qui se voulait positif et apaisant est tombée le jour même de la cérémonie d’investiture. Rappelant la détermination du Parti à « défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine », le porte parole du Waijiaobu a marqué qu’il n’y aurait pas de paix et de stabilité dans le Détroit si l’Île prenait l’initiative d’indépendance et que la Chine s’opposerait à tout accord international officiel remettant en cause la souveraineté de Pékin sur Taïwan.

Il laissa également entendre que si Taipei ne reconnaissait pas formellement le consensus de 92, les canaux de contacts « officieux » de l’ARATS et de la SEF pourraient devenir inopérants. Quant aux participations de l’Île à des réunions multilatérales, Pékin veillerait qu’elles ne se traduisent pas en une séparation de fait entre le Continent et l’Île.

L’appréciation de la situation varie selon les commentaires. A Pékin, Li Fan directeur d’un centre d’études explique que la brutalité de la réaction chinoise cache le soulagement que Tsai ait à la fois considéré l’utilité du consensus de 92 et la constitution de la République de Chine [3] qui rattache formellement l’histoire de l’Île à celle du Continent que même l’indépendantiste radical Chen Shuibian qui s’y était essayé, n’avait pas réussi à abandonner.

En revanche, dans un éditorial mis en ligne le 20 mai, le Global Times qui, comme à son habitude a attisé la flamme nationaliste, était plus circonspect. Reconnaissant que Tsai n’allait pas, comme l’avait fait Chen Shuibian, pousser les feux de l’indépendance, l’auteur regrettait néanmoins qu’elle n’ait pas formellement reconnu l’existence d’une seule Chine, ce qui, concluait-il, rendra difficile les relations directes entre les gouvernements, avant d’ajouter que la non reconnaissance du consensus de 1992 par Tsai risquait d’entraîner la perte de toutes les avancées réalisées depuis 2008.

Mesurant la difficulté de la tâche sur le front extérieur, dans le Détroit et à l’intérieur, Tsai a, en conclusion de son discours, demandé que les Taïwanais soient patients et lui accordent du temps. Il n’est pas certain que Pékin soit prêt à lui faire cette faveur.

« Vérité et réconciliation » à contre courant de l’omerta chinoise.

Mais au fond, la manœuvre de Tsai la plus susceptible d’inquiéter Pékin est le projet inédit d’installer une « commission de vérité et de réconciliation » au sein même de la présidence qui devra rendre son rapport d’ici trois ans.

Travaillant avec les représentants de la société civile, à la recherche d’équité et de justice par l’examen rétrospectif de l’histoire, la commission porte en elle un potentiel de rupture au sein même de la mouvance du KMT entre les plus anciens des Continentaux liés aux politique répressives en vigueur jusqu’en 1987 et les plus jeunes, au moment même où le Parti Communiste chinois refuse bec et ongles de reconsidérer les tragédies de sa propre histoire et les responsabilités du Parti.

Sous réserve d’une mise en œuvre honnête et subtile qui s’annonce difficile, la démarche véhicule le potentiel vertueux d’améliorer la cohésion de la société taïwanaise encore fracturée par les arrières pensées douloureuses de la règle répressive du KMT. Conduit à son terme, le projet éloignera encore plus le peuple de l’Île de celui du Continent, mais ne résoudra pas le dilemme posé à la Chine par l’exigence démocratique des Taïwanais, ni l’inconfort de l’Île face à son gigantesque voisin.

Note(s) :

[1ARATS pour la Chine (Association for the Relations Across the Taiwan Straits, en Chinois 海峡 两岸 关系协会 ou 海协会) ; SEF pour Taïwan (Straits exchange foundation, en Chinois 海峡交流基金会 ou 海基会), toutes deux créés en 1991.

[2Lors d’une conférence de presse, le 8 mai, le ministère de la santé taïwanais a annoncé qu’il participerait à l’assemblée générale de l’OMS à Genève du 23 au 28 mai, mais qu’il refusait la condition imposée par le secrétariat de l’Organisation en vertu de la charte de l’OMS établissant le droit universel à la santé qui fondait le droit de Taïwan à participer à l’Assemblée Générale. Il précisait que la condition d’accepter le « principe d’une seule Chine » ajoutée à l’invitation par le secrétariat était une manœuvre politique sans rapport avec le droit de Taipei à participer à la réunion.

[3Adoptée en 1946 sur le Continent, la constitution de la République de Chine, toujours en vigueur a été plusieurs fois amendée, notamment pour instaurer puis lever la loi martiale (1948 et 1988), supprimer les circonscriptions du Continent représentées au Yuan Législatif (1991), instaurer l’élection du président et des maires au suffrage universel (1992), donner au Yuan Législatif le pouvoir de destituer le Président (2000) et réformer les procédures de changement constitutionnel qui, depuis 2005, exigent qu’une modification de la loi fondamentale votée par ¾ des députés soit en plus ratifiée par un référendum avec la participation d’au moins 50% des inscrits. Enfin, il faut noter que le texte de la constitution ne fait jamais référence à Taïwan mais à la « zone libre de la République de Chine ».

 

 

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