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›› Chine - monde

Obama à Hanoi. Colère froide de la Chine. Incertitudes asiatiques

En levant l’embargo sur la vente des armes létales au Vietnam, Obama inscrit la politique américaine en Asie dans un raidissement face à la Chine. Avec en arrière plan le buste géant d’Ho Chi Minh, la poignée de main avec Tran Dai Quang, ancien chef de la sécurité d’État et Président de la République depuis le 2 avril 2016, la photo signale une bascule majeure de la Maison Blanche et l’abandon par Washington de l’affabulation de neutralité sur les questions de la Mer de Chine du sud. Pourtant, le fait que Nguyen Phu Throng ait été maintenu à la tête du Parti, restant ainsi l’homme le plus puissant du pays contre son rival, l’ancien premier ministre Nguyen Tan Dung réputé plus favorable à Washington et hostile au compromis avec Pékin, crée une incertitude pour Washington.

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Quatre jours après la réunion des 10 pays de l’ASEAN rassemblés par Poutine à Sotchi sur les rives de la Mer Noire les 19 et 20 mai derniers, Obama effectuait une visite officielle à Hanoi et levait l’embargo sur les ventes d’armes au Vietnam.

C’est peu dire que son discours prononcé le 24 mai devant les officiels vietnamiens évoquant en termes à peine voilés la Chine et les « inacceptables pressions des grands pays sur leur petits voisins » a à la fois soulevé l’enthousiasme des nationalistes Vietnamiens aux prises avec l’expansionnisme chinois en mer de Chine du sud et attisé la colère froide de Pékin, toujours sous le coup d’un embargo formel sur les ventes d’armes létales maintenu par l’Europe et les États-Unis depuis 1989.

Mais si les médias officiels ont exprimé des critiques acerbes, les réactions officielles du régime sont, comme à l’habitude en cas de forts vents contraires, restées plutôt mesurées. La manœuvre de la Maison Blanche qui transgresse sa propre conception des valeurs universelles constamment bafouées par le Vietnam attise les tensions en mer de Chine du sud.

Elle complique la situation entre Hanoi et Pékin déjà enflammée par les exorbitantes revendications chinoises. Enfin, elle envoie un signal de crispation militaire, tandis que, dans la région, les riverains s’interrogent sur la détermination américaine à affronter la Chine.

L’avenir du monde, otage de la compétition globale.

Les États-Unis courtisent le Vietnam depuis plus de 15 ans. Le premier président à visiter le Vietnam fut Clinton en 2000. Bush l’a suivi en 2006.

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Le chassé-croisé global des quêtes d’allégeance va loin. Moscou tente de restaurer une influence globale par un retour dans la zone asiatique où son empreinte a presque disparu ; Pékin dont la puissante ombre portée commerciale et stratégique s’allonge en Asie du Sud-est, courtise à coup d’aides financières les pays pauvres pour les rallier à ses vues en mer de Chine ; Washington toujours omniprésent dans toutes les crises chaudes et froides de la planète, ne lâche rien en Asie et flatte Hanoi, Manille, Séoul et Tokyo pour affirmer sa rémanence dans une région où l’aéronavale américaine fut le principal artisan de la défaite du Japon en 1945.

Cet entrelacs d’ambitions de puissance qui prend en otage l’avenir du monde confirme une fois de plus que les puissants de ce XXIe siècle, engagés dans des rivalités incoercibles ne parviennent pas à exprimer la moindre cohésion pour mettre en œuvre une politique globale à la hauteur des défis pesant collectivement sur la planète que sont les questions climatiques, les écarts de développement, la résurgence des radicalismes religieux, les migrations et le choc des cultures.

Au contraire, tout indique que, face aux perspectives chaotiques qui montent, apparaissent à nouveau partout les repliements nationalistes et leurs corollaires de rivalités et de compétitions d’influence, contredisant directement les espoirs de cohésion planétaire nés de la chute du rideau de fer en Europe. Que voit-on en effet ?

Instrumentalisant la menace de Pyongyang et l’obsession territoriale de la Chine, Washington courtise ses alliés militaires dans le Pacifique occidental et tente de consolider leurs allégeances par des promesses d’assistance aéronavale, le déploiement d’un système anti-missiles dont l’Amérique détient les clés technologiques, ou encore, par l’extension de ses projets commerciaux juridiquement et politiquement contraignants qui fondent les craintes d’une prévalence hégémonique des multinationales américaines sur les échanges.

Un vaste contournement de l’Amérique.

Wang Yi avec Mohamed Bazoum ministre des AE du Niger, dernier pays en date recruté par Pékin pour appuyer la position chinoise en mer de Chine du Sud.

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En riposte, Pékin avance son projet de « ceinture économique » dit « Yi Lu Yi Dai », appuyé par un amoncellement inédit de capitaux proposés par une convergence remarquable d’institutions financières qui vont des anciennes banques de développement à d’autres créées récemment, comme celle établie par les BRICS ou la nouvelle Banque Asiatique dédiée aux infrastructures de transport. Cette dernière alimente les projets de voies ferrées de ponts et de routes où les entreprises chinoises, maîtresses des technologies de génie civil et capables de proposer des aides au financement très alléchantes, occupent presque tout l’espace de l’aménagement des territoires dans nombre de pays qui jalonnent les « nouvelles routes de la soie ».

Dessinant une arborescence complexe autour d’une épine dorsale Est-Ouest, la toile d’araignée « Yi Lu Yi Dai », « OBOR » (One Belt One Road) selon les anglo-saxons, englobe une impressionnante quantité de pays en Asie Centrale, en Europe, au Proche Orient, dans la péninsule arabique, en Afrique, en Asie du Sud et du sud-est et même en Amérique du sud, où Pékin a étendu le concept des « nouvelles routes de la soie » dans la direction opposée à leur matrice originelle.

Ce vaste contournement commercial de l’Amérique se double de deux stratégies complémentaires. Un prudent raidissement militaire en Asie du Sud-est ciblant les intrusions américaines dans l’espace aérien et les eaux internationales où Pékin revendique une souveraineté sans partage ; un lobbying insistant auprès de pays en graves difficultés économiques et financières auxquels la Chine prodigue une aide opportune en échange de son appui dans le conflit juridique avec Hanoi et Manille à la Cour Internationale sur le droit de la mer à La Haye.

Ainsi, entraînés malgré eux dans une controverse qui leur est étrangère, une quarantaine de pays recrutés par Pékin allant de l’Afghanistan au Burundi, en passant par le Niger, le Cambodge et le Laos se sont rangés à la position chinoise exprimée par le porte parole du Waijiaobu, selon laquelle les conflits devraient être résolus non par l’ASEAN ou par une cour de justice internationale, mais par des négociations directes entre la Chine et les plaignants. Ce qui revient, par un contournement des organisations internationales ou régionales à éloigner encore plus les perspectives d’une gouvernance mondiale et à contraindre Hanoi et Manille à négocier du « faible au fort ».

La colère froide de Pékin.

En janvier 1979, après la prise de Phnom-Penh par l’armée vietnamienne (le 7 janvier 1979), Deng Xiaoping en visite aux États-Unis prévenait Jimmy Carter que l’armée chinoise allait « infliger une correction » à Hanoi devenu « turbulent ». Les autres raisons de l’agression chinoise étaient les harcèlements de Chinois par des Vietnamiens dans les Spratly. L’attaque a été déclenchée le 17 février 1979. L’APL se retira le 16 mars 1979, gênée par d’importants problèmes logistiques. Le bilan humain du conflit est probablement très lourd, mais controversé. Les chiffres officiels avancés par la Chine et le Vietnam sont biaisés par la propagande. Selon un article de Zhang Xiaoming dans China Quaterly de décembre 2005 qui cite des sources récentes de l’APL les pertes chinoises auraient été de 6594 tués et 21 000 blessés. Quant aux pertes vietnamiennes, les sources chinoises les estiment à 57 000 soldats et à 70 000 miliciens tués ou blessés. Les buts de l’attaque restent flous. S’il s’agissait d’obliger l’armée vietnamienne à quitter le Cambodge, la manœuvre a échoué puisque les militaires de Hanoi sont restés 11 années en pays khmer, laissant une empreinte toujours visible. Si Pékin voulait montrer que l’APL pouvait attaquer impunément un allié de l’URSS avec qui la Chine était en situation de conflit latent, ce fut un succès. Moscou qui faisait face à 1,5 million de soldats chinois massés sur sa frontière sud, n’a pas bougé. La situation du Cambodge placé sous embargo avec le Vietnam qui l’occupait depuis 1979 n’a été débloquée qu’après la chute de l’URSS.

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En Occident les observateurs rassurés par la placidité asiatique, ne mesurent pas assez l’aigreur pouvant naître dans l’esprit de la direction chinoise de l’intrusion américaine dans l’arrière cour du Vietnam que Pékin considère comme son excroissance culturelle en Indochine, en même temps que son « frère ennemi » et toujours son allié idéologique. A la fin des années 70 les deux devinrent des rivaux stratégiques de la guerre froide quand les armées vietnamiennes envahirent l’autre arrière cour chinoise de la région qu’est le Cambodge, pour débarrasser le pays des Khmers Rouges alors appuyés par Pékin, avant de l’occuper pendant 11 années avec la caution de Moscou.

La longue main mise de Hanoi sur le Royaume devenu en 1970 une République cruellement martyrisée de 1975 à 1979 par les Khmers Rouges qui réussirent à mettre en œuvre au Cambodge en moins de 4 années un concentré d’horreurs héritées à la fois du grand bond en avant et de la révolution culturelle, a suivi le bref mais meurtrier conflit militaire entre l’APL, encore mal remise des délires de la révolution culturelle engagée par Deng Xiaoping « pour donner une leçon à Hanoi » et l’armée vietnamienne endurcie par plus de 20 années de conflit avec la France et les États-Unis.

Les déboires de l’APL sérieusement malmenée par les miliciens vietnamiens qui acceptèrent de lourdes pertes dans la région de Cao Bang, flottent encore douloureusement dans la mémoire des militaires chinois, tout comme les contentieux territoriaux en Mer de Chine du sud vieux de plus d’un demi siècle , continuent de polluer sérieusement la relation entre Hanoi et Pékin.
Lire notre article Querelles sino-vietnamiennes. Rivalités des frères ennemis et enjeu global

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Obama dans l’arrière cour de la Chine.

Lors d’une causerie avec la jeunesse vietnamienne à la mairie de Ho Chi Minh ville le 25 mai, le président américain échange avec une jeune vietnamienne qui, à la demande du Président, a chanté du « rap » en vietnamien.

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Passant outre les critiques des organisations des droits de l’homme stigmatisant les manquements aux libertés du régime de Hanoi, Obama a, pour justifier son geste dont la portée vise directement Pékin, fait l’éloge des progrès vibrants de l’économie, de l’explosion du nombre d’abonnés au net et de la confiance dans l’avenir exprimée par la jeunesse. (Voir la note de contexte sur l’état des libertés au Vietnam).

Selon la version officielle de la Maison Blanche la question des droits humains a directement été évoquée par Obama avec le régime de Hanoi, dans une réunion à huis clos, mais chacun voit bien que le relâchement complet de l’interdiction d’exporter des armes létales au Vietnam est un coup porté à la Chine.

Si les réactions officielles de Pékin furent étonnement mesurées, feignant de se féliciter de la levée d’un embargo devenu obsolète, l’agacement s’est en revanche exprimé dans les médias proches du pouvoir. Rappelant les errements américains en Afghanistan et au Proche Orient, un éditorial du China Daily du 24 mai mettait en garde Washington contre la tentation de « mettre le feu à la poudrière de région », tandis que le Global Times relevait avec justesse que pour contrer la Chine, Washington était prêt à transgresser ses propres principes de défense des droits.

Le 26 mai, un autre article du Global Times, relayé par le site du Quotidien du Peuple exprimait à la fois les frustrations et les accusations chinoises, dénonçant l’intrusion de Washington dans une relation où, dit l’auteur, avec une bonne dose de mauvaise foi, Pékin et Hanoi avaient, en dépit des rivalités en mer de Chine, réussi à maintenir une relation de confiance grâce à laquelle les contentieux avaient été réglés de gré à gré [1]. Après cette aigreur un peu surfaite, la suite de l’article dénonçait le jeu de Washington ancien ennemi mortel du Vietnam manipulant le nationalisme vietnamien contre la Chine.

L’auteur mettait enfin en garde Hanoi contre les conséquences d’un rapprochement avec les États-Unis articulé à la vision militariste de Washington, attisant une course aux armements dans la région. Pour l’auteur le rapprochement portait au Vietnam un sérieux risque de crise économique et sociale favorisée par le déséquilibre budgétaire né des sommes consacrées à l’achat d’équipements aux vendeurs d’armes américains.

Le deuxième effet néfaste de la proximité avec Washington serait d’ordre économique et commercial, lié au piège du Transpacific Partnership dont la rigueur juridique empêcherait à l’avenir les usines textiles vietnamiennes à s’approvisionner en Chine.

Guerre de postures. Doutes sur l’engagement américain.

Alors que Moscou qui, comme les 40 pays supporters recrutés par la Chine, s’oppose au règlement juridique du conflit en mer de Chine du sud par la Cour de La Haye, Washington et Pékin sont engagés dans une guerre de mots et de postures, d’où ne surgit aucun espoir de règlement des différends. Dans ce contexte tendu où la probabilité d’un dérapage militaire augmente, chacun évalue ses chances et les risques encourus.

Le fait est que malgré les protestations de 4 pays riverains et l’affirmation de la liberté de navigation par des bâtiments de guerre de la marine américaine, en dépit de l’extrême raidissement de Hanoi, les positions de Pékin autour des îlots élargis et bétonnés abritant deux pistes d’aviation, se consolident progressivement sans que la marine chinoise n’ai jamais tiré un seul coup de feu.

A plus long terme, les pays de l’ASEAN doutent de l’implication militaire de Washington. L’inquiétude a été exprimée en 2015 à David Feith pour le Wall Street Journal (rapportée dans un article du 17 mai 2016) par le président philippin récemment élu, Rodrigo Duterte : « Les Américains ne viendront pas mourir pour nous. Si Washington avait vraiment voulu s’impliquer, le Pentagone aurait engagé ses porte–avions et ses frégates lance-missiles dès le moment où Pékin a commencé à réclamer les îlots. Mais rien n’est arrivé. L’Amérique a peur de la guerre. Mieux vaut pour nous que soyons amis avec la Chine ». (Voir la note de contexte p.4 qui met en perspective les déclarations de Rodrigo Duterte maire de Davao - Mindanao pendant 22 ans)

La déclaration est dans toutes les têtes et au cœur du dilemme de Washington dans la région. Elle soulève aussi des controverses à Taïwan. Jusqu’où les Américains sont-ils prêts à aller pour défendre leurs alliés contre les pressions chinoises ?

L’aéronavale américaine. Une puissance inefficace.

Le porte-avions Nimitz en mer de Chine du sud. Parmi les alliés des États-Unis dans l’ASEAN certains doutent de la sincérité de l’engagement américain et constatent à la fois l’impressionnante projection de puissance et son inefficacité face aux grignotages chinois.

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La pertinence de la question augmente à mesure que la Chine se donne les moyens de tenir à distance la menace militaire américaine. Celle-ci, portée par une armada aéronavale sans équivalent dans le monde, à la fois impressionnante mais de plus en plus vulnérable aux missiles modernes, n’est à l’évidence plus assez dissuasive pour gêner les grignotages territoriaux de Pékin autour des atolls consolidés.

Ainsi, aux Etats-Unis et dans l’ASEAN monte une perplexité face à une puissance qui refuse l’arbitrage des lois internationales, rallie à sa cause son allié russe en même temps que des pays sans liberté de manœuvre prêts à cautionner le rejet des instances internationales, du même coup discréditées, reflet d’un ordre mondial que la Chine rejette.

Par dessus tout, l’impression s’installe chez tous les alliés de Washington que dans ce jeu de dupes et de postures, la formidable machine de guerre américaine pourrait bien être inopérante, d’abord parce que la Maison Blanche hésite à l’engager face à la Chine puissance nucléaire de premier rang, membre permanent du conseil de sécurité, partenaire commercial majeur de Washington et interlocuteur stratégique incontournable ; ensuite parce que la deuxième artillerie de l’APL s’est donnée les moyens de tenir à distance la puissance des groupes de porte-avions qui, jusque il y a peu, exprimaient le volet « hard » et sans rival de la diplomatie américaine.

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Bascule de l’équilibre de forces.

Avec 31 sous-marins électriques dont 12 de la classe Kilo achetés aux Russes, la marine chinoises met en ligne face à l’US Navy une capacité de dissuasion crédible, capable de tenir à distance les porte-avions ou de les obliger à prendre des risques.

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Mais à y regarder de plus près, on constate que les équilibres sont en train de changer.

Face au concept de forces aéronavales datant de près d’un siècle, la 2e artillerie chinoise a activement développé une panoplie d’armes anti-navires allant des missiles de croisière supersoniques tels que le YJ-18, au missile balistique « tueur de porte-avions DF-21, dont la dernière version améliorée le DF-26 présentée lors des cérémonies de la victoire contre le Japon le 3 septembre 2015, aurait une portée de 4500 km et pourrait frapper directement la base américaine de Guam située à 3000 km des côtes chinoises [2].

L’autre menace que la Chine peut faire peser sur les porte-avions américains s’articule autour de sa flotte de plus de 31 sous-marins électriques modernes et discrets mis en service entre 1995 et 2005, bien plus opérationnels que les sous-marins nucléaires d’attaque handicapés par nombre de problèmes techniques non résolus. [3] La flotte des sous-marins électriques s’ajoute aux 4 sous-marins nucléaires stratégiques lance engins (SNLE) et aux 5 sous-marins nucléaires d’attaque dont la valeur opérationnelle est mal connue.

Parmi les sous-marins électriques chinois on dénombre 12 sous-marins Kilo de fabrication russe dont 10 d’une version améliorée qui équipe également la marine vietnamienne (contrat de 6 exemplaires signé en 2009 dont le 3e a été livré en mars 2015. Lire La puissance militaire chinoise et le réarmement de l’Asie).

Enfin, dernier domaine où les progrès techniques de l’APL augmentent sa capacité à éloigner la menace militaire américaine, est celui des systèmes de défense sol-air où l’apport russe a été au moins aussi important que dans le domaine des sous-marins.

La capacité sol-air de l’APL s’est invitée dans le débat public, lorsqu’en février 2016, en plein sommet de l’ASEAN organisé par la Maison Blanche en Californie, des renseignements américains firent état de la présence sur l’îlot Woody (永兴岛 yongxing dao) situé dans les Paracel également revendiqués par Hanoi, de missiles sol-air HQ-9 (lire Le THAAD du Pentagone est en Corée et le HQ-9 chinois dans les Paracel. Jeu de missiles et parfum de guerre froide).

Au moment même où le Président Obama courtisait les pays de l’Asie du Sud-est sur le thème très sensible – mais sans le dire explicitement - d’une nécessaire résistance à l’expansion territoriale de Pékin en mer de Chine du sud, cependant noyé dans le discours de la Maison Blanche sur la liberté de navigation, l’APL envoyait clairement un signal attestant sa volonté de résister aux intrusions américaines dans les espaces aériens des îlots contestés. Équipé d’un système radar muni d’une antenne active à balayage électronique (AESA), le missile HQ-9 est aussi doté d’un équipement anti-brouillage. Volant à Mach 4,2, il est capable de détruire un aéronef jusqu’à 200 km.

La 2e artillerie défie le concept de forces américaines.

Avec les missiles S-400 achetés aux Russes, ici en exercice de déploiement qui s’ajoutent aux HQ-9 chinois, l’armée chinoise peut contraindre, sauf à prendre des risques importants, les chasseurs de l’aéronavale américaine les plus modernes à rester à distance de l’espace aérien des îlots contestés.

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Mais la plus grande menace posée à l’aviation de chasse même la plus sophistiquée de l’aéronavale américaine est constituée par les 8 batteries de missiles russes S.400 que Poutine, sachant parfaitement ce qu’il faisait, a vendues à la Chine en avril 2015 pour 3 Mds de $. Dotée d’un radar tridimensionnel à balayage électronique protégé du brouillage, l’arme est redoutable. Possédant également une capacité anti-missiles, elle est capable de détruire avec un fort pourcentage de réussite un aéronef volant à très grande vitesse, jusqu’à 30 km d’altitude à une distance maximum de 120 km.

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Si on hausse le niveau de l’analyse d’un étage, on constate que, jouant de ses traditionnels leviers que sont les ventes d’armes et d’hydrocarbures, la Russie s’immisce en Asie dans la rivalité entre la Chine, puissance continentale de premier rang et l’Amérique première puissance navale de la planète.

L’enjeu de ce bras de fer est non seulement la Mer de Chine du sud, plus vaste que la Méditerranée, réservoir de ressources et, pour Pékin, symbole de puissance hégémonique ; il est également l’adhésion ou non à un ordre mondial que Pékin conteste par le truchement d’une fronde et d’un vaste contournement de l’Amérique auxquels elle parvient à rallier les allégeances de pays séduits par ses aides directes, son dynamisme commercial et ses capacités de génie civil à prix cassés.

Depuis plus de dix années, cet ébranlement de l’ordre américain par la Chine bénéficie du soutien de Moscou, au point que, même sur la Péninsule coréenne, la contestation chinoise et russe du système anti-missiles de théâtre que le Pentagone envisage d’installer en Corée du sud a pris le pas sur la cohésion nécessaire pour venir à bout des projets nucléaires militaires de Pyongyang.

Simultanément, tirant profit de l’inconfort provoqué dans le Pacifique occidental par les ambitions chinoises, l’Amérique consolide ses alliances tant militaires que commerciales dont Pékin est tenu à l’écart. Elle avance ses stratégies et celles de ses grands groupes en se référant au droit des affaires, à la transparence des comptes et aux valeurs universelles de liberté que la Maison Blanche n’hésite cependant pas à transgresser pour faire pièce aux appétits de Pékin, comme on vient de le voir au Vietnam.

Chacun des protagonistes de cette joute ayant ses atouts et ses fragilités, l’issue de la compétition dont il est impossible d’écarter qu’elle puisse dégénérer en incidents militaires directs, est incertaine.

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Une hypothèse catastrophique pour Washington.

A cet égard, l’une des observations les plus intéressantes liée aux stratégies de forces de la Chine et des États-Unis est proposée par un article de David Goldman, économiste américain qui publie dans Asia Times sous le pseudonyme de Spengler des articles violemment critiques des stratégies de Washington en Extrême Orient.

Alors que les États-Unis continuent à développer un schéma de forces aéronavales lourd et extrêmement coûteux, notamment pour la mise au point du chasseur furtif multi-rôles F 35, devenu le système d’armes le plus cher de l’histoire et un fardeau financier pour le budget de la défense, la Chine se donne, par des dépenses bien plus modestes, les moyens d’une forte capacité de dissuasion classique, articulée autour de missiles balistiques moyenne portée, de sous-marins et de systèmes sol-air performants.

Dès lors deux réflexions viennent à l’esprit. La première qui explique la prudence américaine soulignée par le futur président philippin Duterte, est qu’un dérapage militaire pourrait provoquer la perte d’un porte-avions de la 7e flotte cible éminemment vulnérable aux missiles et aux sous-marins.

La 2e qui est du domaine de la stratégie fiction et n’engage que son auteur, serait qu’à longue, la course aux armements entre, d’une part, l’Amérique poursuivant une modernisation technologique longue, lourde et coûteuse et, d’autre part, l’armée chinoise développant des armements moins ruineux, pourrait être gagnée par la Chine, dans un schéma d’essoufflement financier exactement inverse à celui de la guerre des étoiles de Reagan ayant mis économiquement à genoux l’URSS.

En tous cas les stratèges américains pourraient utilement méditer la remarque citée par Spengler, du journaliste russe Andrei Akulov qui commentait les performances du futur système d’armes sol-air russe S-500, un équipement dont la Chine ne manquera pas de se doter si la compétition stratégique en cours se durcissait encore : « Il n’est pas fréquent qu’une arme anti-aérienne relativement peu onéreuse soit capable de rendre obsolète un chasseur furtif de dernière génération comme le F.35 dont le programme a coûté 1500 Mds de $. »

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NOTES de CONTEXTE

Les transgressions de la Maison Blanche.

Les organisations de droits de l’homme (URW, FIDH), le congrès des Etats-Unis et, dans une note récente, le Quai d’Orsay dénoncent les violations de droits au Vietnam.

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Vue de Hanoi et Washington, la visite d’Obama au Vietnam et la levée de l’embargo s’inscrivent dans un rapprochement dont l’arrière plan est un raidissement commun face à la Chine.

Elle fait suite à la visite à Washington en juillet 2015 du n°1 du Parti communiste vietnamien Nguyen Phu Trong. A côté de plusieurs accords d’une valeur totale de plus de 16 Mds de $ (essentiellement énergie éolienne, énergie nucléaire et solaire, aéronautique, pétrole, et santé), les 2 pays ont signé une déclaration commune dont les sous entendus visant Pékin étaient évidents. On pouvait en effet y lire la promesse mutuelle de « respecter la Charte de l’ONU, le droit international, les institutions politiques, l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de chaque pays. »

La déclaration accompagnait un accord d’entraide juridique et judiciaire, un autre sur le renforcement de la coopération bilatérale dans le sauvetage en mer et un troisième sur le règlement des conséquences de la guerre. Les États-Unis ayant promis de coopérer avec Hanoi pour la désintoxication de la dioxine à l’aéroport de Bien Hoa et son déminage.

Mais l’événement le plus marquant aura été la levée de l’embargo sur les ventes d’armes létales à Hanoi que le Président Obama a accompagné d’un commentaire sur le soutien des États-Unis au Vietnam dans ses controverses territoriales avec Pékin « Les nations sont souveraines et quelle que soit leur taille leur territoire doit être respecté »… « Le Vietnam pourra accéder à des équipements nécessaires à sa sécurité ».

Il reste que les critiques adressées à Washington n’ont pas manqué. En interne Obama a essuyé des reproches venant à la fois des Républicains « c’est une mauvaise diplomatie par laquelle nous abandonnons nos propres valeurs » et des démocrates « nous avons perdu une occasion de faire pression sur le Vietnam pour qu’il améliore l’état de droit dans le pays. ».

Human Rights Watch et la FIDH ont stigmatisé les abus et rappelé que 100 prisonniers politiques étaient enfermés dans les geôles vietnamiennes. Le Quai d’Orsay souligne pour sa part que « toute dissidence est sévèrement réprimée (lourdes peines de prison et mesures de privation des droits civiques) et que les autorités veillent à éviter toute tentative d’organisation d’une opposition qui utiliserait notamment les moyens de communication liés à internet, très développé au Vietnam, ajoutant qu’un contrôle étroit était exercé sur la blogosphère et sur les médias. »

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Rodrigo DUTERTE, le populiste à poigne.

(Mise à jour le 31 mai)

Connu pour son discours brutal contre la délinquance et son style social anticonformiste rejetant violemment l’oligarchie (le 30 mai 2016, il a snobé la proclamation officielle de sa victoire aux présidentielles par l’assemblée nationale), Duterte tient un discours ambigu sur la Chine et les États-Unis, exprimant clairement le malaise des pays de l’ASEAN pris en otage par le duel entre Washington et Pékin.

Mais son réalisme stratégique qui le conduit à se méfier de l’engagement américain ne l’empêche pas d’exprimer avec force un puissant nationalisme, très populaire chez ses électeurs révulsés par les pressions chinoises aux abords de l’archipel.

Ayant en 2015 exprimé au WSJ ses doutes sur l’engagement du Pentagone contre la Chine et ses intentions de composer avec Pékin, il a en même temps montré un très fort patriotisme dans le conflit juridique qui oppose les Philippines à la Chine à la La Haye.

Au printemps dernier, après avoir rappelé qu’il ne déclarerait pas la guerre à la Chine, il évoquait la possibilité de se rendre en jet ski sur le récif des Scarborough dans les Spratly afin d’y planter le drapeau philippin pour affirmer les droits de Manille sur un récif situé dans la ZEE Philippine, mais où la marine chinoise stationne des gardes-côtes.

Le 29 mai, il a à nouveau pris position sur le sujet et espéré que la Chine se conformerait au jugement de La Haye. Il l’a fait dans le style direct et très peu diplomatique qui le caractérise : « Ce n’est pas parce que vous me construisez une voie ferrée que j’abandonnerai les Scarborough ».

Note(s) :

[1Le journal fait référence à une période faste de la relation aujourd’hui révolue qui date de l’automne 2011 où Pékin, à l’époque représentée par Xi Jinping encore vice-président et Hanoi avaient accepté d’accélérer la délimitation des eaux territoriales et de négocier leur exploitation conjointe dans la zone des Paracels. Prise au pied de la lettre, la déclaration indiquait que, dans cette zone au moins, les négociateurs chinois agissant avec la caution de Hu Jintao et de son homologue vietnamien le président d’alors Truong Tan San, pourraient abandonner la revendication sur 80% de la mer de Chine.

La déclaration précisait aussi que « les deux pays rechercheraient des solutions durables, acceptables par les deux parties sur la base de la Convention des NU sur le droit de la mer (…) En attendant un accord global sur la question de souveraineté, Pékin et Hanoi négocieraient activement une coopération pour un développement conjoint. »

Il reste qu’après l’explosion de violences anti-chinoises en mai 2014 et la décision de Hanoi de porter les contentieux territoriaux au tribunal du droit de la mer, signes flagrants de la dégradation des relations, la confiance s’est pour l’instant évaporée. Lire Explosion de violences anti-chinoises au Vietnam

[2Pour Ying – Ji ying 鹰 击 – 18 littéralement « attaque de l’aigle », mis en service en 2015, guidé par le système GPS chinois Beidou à la portée maximum de 300 nautiques et à la vitesse en fin de trajectoire de 2,5 à 3 mach, équipé d’un radar embarqué. Le niveau opérationnel du DF-26 (pour 东风 dong–feng, vent d’Est) est moins clair, bien que les services de renseignements américains l’aient identifié depuis 2007.

Lancé à partir d’une plate-forme mobile de type TEL qui augmente sa furtivité, sa portée est le double de celle du DF-21 mis en service en 1991, dont la mise en œuvre est lourde (un espace de 3 hectares facilement repérable est nécessaire au tir d’un missile) et dont la portée ne permet que d’atteindre l’archipel japonais, mais tout de même n’importe quel objectif en mer de Chine du sud, à partir de l’Île de Haïnan.

[3La Chine possède la plus vaste flotte de sous-marins de la planète de qualité inégale. Si la flotte électrique est opérationnelle, la capacité réelle de la version nucléaire des sous-marins d’attaque est mal connue. Les dernières informations publiques sur ce type d’équipement font état de la mise en service en avril 2015 du sous-marin nucléaire d’attaque Shang-093 équipé du missile Y-18 cité dans la note n°1.

 

 

Au-delà de la reprise des contacts militaires, la lourde rivalité sino-américaine en Asie-Pacifique

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