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›› Lectures et opinions

Mer de Chine du sud. Plongée dans la pensée paradoxale chinoise

Le point clé des conflits est l’ambiguïté de la “ligne en 9 traits“ qui semble transformer la mer de Chine du sud en mer intérieure chinoise et passe à proximité des côtes vietnamiennes, malaisiennes et philippines, sans tenir compte des Zones Économiques Exclusives de ces pays.

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La revue américaine Foreign Policy créée en 1970 par Samuel Huntington dont la tendance politique a, avec le rédacteur en chef David Rothkopf, glissé vers une vision moins conservatrice des relations internationales a, le 23 juin, publié un article qui mérite attention rédigé par Feng Zhang un jeune chercheur d’origine chinoise, professeur de relations internationales et de stratégies chinoises à l’université nationale d’Australie [1]

L’analyse qui traite des rivalités internes au Parti à propos de la Mer de Chine du sud par un chercheur chinois ayant fréquenté Qinghua où il a gardé des contacts, est précieuse. Elle offre en effet une vue moins manichéenne que celle habituellement livrée par les chercheurs occidentaux, notamment Américains qui, sur ce sujet tiennent le haut du pavé depuis que les chercheurs chinois contraints par la censure s’expriment moins librement.

Pour l’auteur, alors que le politburo semble ne pas avoir clairement arrêté ses stratégies en mer de Chine du sud, l’existence d’une pensée chinoise capable de compromis, éloignée de l’image radicale généralement véhiculée par les médias occidentaux, ouvre la voie à des compromis et des apaisements.

Pour y parvenir deux conditions sont cependant nécessaires. Pékin doit lever l’ambiguïté sur ses objectifs ultimes et renoncer à une « ligne en 9 traits » vue comme une frontière territoriale génératrice de méfiance et de tensions. Le glissement sera cependant rendu difficile par le poids des émotions populistes et chauvines voyant la mer de Chine du sud comme un espace chinois et un argument de fierté nationaliste.

Les États-Unis doivent accepter l’élargissement des îlots, cesser leurs démonstrations de force dans leurs parages qui renforcent le clan des « radicaux » attisent les populismes et réduisent l’audience des modérés, seuls interlocuteurs capables de concessions.

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Feng Zhang ne nie pas les extravagances de la position chinoise qui, par la voix des plus radicaux, réclame la totalité de la mer de Chine sud, mais il la nuance sérieusement en mentionnant l’existence au sein même de l’appareil d’autres écoles moins catégoriques. Après avoir indiqué qu’aucun des pays riverains n’a une vision bien claire des intentions chinoises en mer de Chine du Sud, y compris, dit-il avec malice, la Chine elle-même, ce qui ajoute à la méfiance entre la Chine et l’ASEAN, Zhang présente trois types d’approche au sein des intellectuels et des responsables politiques à Pékin.

Ces analyses différenciées s’expriment à l’arrière plan des discours officiels du politburo, du Waijiaobu et de l’APL sur l’appartenance historique des archipels à la Chine et les intentions pacifiques du régime, auxquels le Vietnam, les Philippines, la Malaisie et l’Indonésie qui se sentent menacés par les bétonnage des îlots et les indices de leur militarisation, croient de moins en moins.

Par réflexe défensif, ils poussent les États-Unis à faire contrepoids, tandis que Washington, retournant les accusations de Pékin, dénonce la tentation hégémonique de la Chine appuyée par la montée en puissance de sa marine et le durcissement militaire des îlots, transformés en points d’appui, bases arrières d’éventuelles projections de forces.

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Trois écoles de pensée.

Mais Zhang affirme qu’en réalité rien ne dit que la Chine ait elle-même une idée précise de ses objectifs ultimes en mer de Chine du sud, tandis que, derrière le rideau, s’affrontent les analyses des « réalistes », celles des « radicaux » ou encore celles des « modérés. »

Sous la pression des tensions qui montent sur le théâtre du Pacifique ouest et gênés par les exigences de la censure qui interdisent des critiques directes, les chercheurs chinois travaillant sur le sujet ont fort à faire pour traduire de manière intelligible les vagues prises de position de l’exécutif. La conjonction de ces facteurs – flou, hésitations du politburo et censure – fait que les observateurs extérieurs n’ont pas conscience des débats internes, pourtant essentiels si l’on prétend anticiper les orientations futures des stratégies chinoises.

Les adeptes de la « realpolitk ». Un courant majoritaire.

Imperturbable, le politburo affirme ses droits historiques sur les archipels mais reste ambigu sur la signification de sa « ligne en 9 traits.

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Pour les « réalistes », les fondamentaux de l’actuelle politique chinoise en mer de Chine du sud sont légitimes et ne nécessitent aucun ajustement. Sans nier les contrecoups négatifs pour l’image de la Chine conséquences des affirmations de souveraineté univoques, ils les minimisent et placent en tête de leurs priorités la présence physique sur les îlots, arrière plan d’une vision réaliste de la politique internationale s’articulant autour de la puissance matérielle et non autour de critères éphémères et en tous cas non mesurables, tels que la réputation, l’image ou même le droit international.

C’est pourquoi ce courant de pensée majoritaire chez les décideurs, fait l’hypothèse que le temps joue pour la Chine, sous réserve que ses stratégies sachent tenir à distance les réactions adverses. Les réalistes sont convaincus que leur choix d’augmenter la présence physique sur les îlots protège les intérêts vitaux du pays.

Mais ils hésitent sur le devenir de ces petits territoires bétonnés et élargis. Faut-il augmenter leur militarisation en y positionnant des armes offensives ? Ou bien doit-on s’arrêter aux systèmes défensifs ? Persuadés que, par les temps qui courent, la puissance en mer de Chine du sud est un ingrédient indispensable, les réalistes qui peuplent en majorité le politburo ne savent cependant pas jusqu’à quel degré l’étalage de la puissance est nécessaire.

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Les suggestions alarmantes des « radicaux ».

La mouvance des radicaux majoritaire dans l’APL et très populaire dans l’opinion publique prône l’affirmation sans réserve de la souveraineté chinoise sur toute la mer de Chine du sud.

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Si les « réalistes » hésitent, ce n’est pas le cas des « radicaux » qui proposent des réponses que Zhang juge alarmantes aux questions que se pose le politburo sur le niveau de la puissance nécessaire. Non seulement, ils estiment que les îlots élargis des Fiery Cross, des Mischief ou de Subi doivent être réclamés sur la scène internationale comme des faits accomplis non négociables, mais ils exigent de surcroit que Pékin élargisse ses annexions territoriales et son emprise militaire.

Il s’agirait de transformer les nouvelles îles en mini-bases militaires opérationnelles en augmentant encore les constructions ; de procéder à l’annexion forcée des îlots encore contrôlés par d’autres riverains et, enfin, d’établir sans équivoque que la « ligne en 9 traits » est bel et bien une limite territoriale chinoise. Par ses propositions, les radicaux expriment leur volonté d’affirmer de manière univoque les seuls intérêts chinois et de les pousser à leur maximum sans aucune attention portée aux réactions adverses des riverains et de l’opinion internationale.

Mais Zhang affirme que cette vision selon laquelle la Chine réclame 90% de la mer de Chine du sud, presque la seule commentée par les médias occidentaux, n’est en réalité pas celle du politburo et de l’exécutif. Il ajoute cependant que, même si au sommet de l’État, les « radicaux » se retrouvent en majorité seulement chez les militaires et dans l’appareil de la sécurité d’État, leur pensée est largement répandue dans le public dont la vision de la question est superficielle, émotionnelle et nationaliste, sans considération pour les intérêts rationnels à long terme de la Chine.

Ce courant de pensée, avançant sans états d’âme des arguments de puissance, attise l’hyper-nationalisme des foules et présente deux graves écueils. Il rend impossible ou, à tout le moins, très difficile toute négociation avec des tiers ; il attise le chauvinisme de l’opinion que le pouvoir ne peut négliger sous peine de provoquer un dérapage émotionnel aux conséquences difficilement prévisibles.

Les « modérés » exigent de clarifier les intentions.

Le troisième courant identifié par Zhang est celui des « modérés ». Ceux-là croient qu’il est temps pour la Chine d’ajuster et de clarifier, au moins progressivement, ses objectifs en mer de Chine du sud. Leur conviction s’appuie sur l’évidence que l’ambiguïté des revendications chinoises et le flou de ses intentions nourrissent les peurs et la méfiance du monde.

Ils accusent l’exécutif de ne pas avoir construit une narration stratégique capable de favoriser un échange efficace avec ses interlocuteurs et dénoncent les tactiques de grignotage désinvolte sur les îlots génératrices de méfiance contraire aux intérêts même de la Chine.

Dans cette optique, les « modérés » estiment que l’urgence pour Pékin est de progressivement clarifier le sens de la « ligne en 9 traits », tandis que la persistance du flou ne ferait que favoriser les réactions adverses et multiplier les obstacles à un compromis diplomatique. Continuer à laisser croire que « la ligne » serait une frontière chinoise placerait la plupart des pays de l’ASEAN et les États-Unis dans le camp des adversaires de la Chine dont les ambitions stratégiques démesurées constitueraient une menace.

C’est dans la reconnaissance de l’urgence d’une clarification que se situe la plus grande différence entre la pensée des « modérés » et celle des deux autres courants. Mais les trois sont d’accord sur un point : la nécessité de bétonner les îlots. Zhang explique en effet que ses conversations avec des chercheurs chinois et des membres de la direction du régime, il ressort que personne en Chine ne considère que l’extension territoriale des archipels et l’aménagement des installations serait une erreur. Les raisons avancées de cette assurance sont multiples en dépit des effets contraires.

Elles vont de l’amélioration des conditions de vie des personnels qui y sont stationnés à l’affirmation nécessaire d’une présence stratégique homothétique de la montée en puissance de la Chine sur un théâtre où d’autres riverains ne se sont pas privés et d’aménager les îlots et continuent à le faire aujourd’hui.

Du coup Zhang en arrive à la conclusion que les querelles autour des bétonnages au demeurant autorisés par la convention du droit de la mer et déjà effectués par d’autres manquent la partie la plus importante de l’image. L’essentiel est en effet plutôt que Pékin clarifie ses intentions et désamorce les soupçons d’une volonté hégémonique sur toute la mer de chine créés par la « ligne en 9 traits ».

Le politburo encore hésitant.

L’Amiral Dennis Blair, photographié en avril dernier à Tokyo, critique les réponses du « tac au tac » de la marine américaine autour des îlots bétonnés par Pékin. La photo du bas montre le destroyer lance missiles Lassen de l’US Navy croisant à proximité des Spratly occupés par la marine chinoise. [2]

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Pour l’auteur, l’existence même de plusieurs courants de pensée suggère que la position du politburo n’est pas arrêtée et qu’elle pourrait s’ajuster. Mais pour ce faire, dit-il, il faudrait que cessent les démonstrations de force de l’US Navy contribuant en Chine à conforter la position des radicaux qui y voient une stratégie visant à bloquer la montée en puissance de la Chine. En somme, explique Zhang, les réponses américaines du « tac au tac » isolent en Chine les modérés et installent un face à face avec ceux qui sont les moins disposés à négocier.

A cet égard, notons que la suggestion de prendre de la hauteur par rapport à la question des archipels est également présente dans certains cercles aux États-Unis. Au printemps 2015, l’Amiral Blair, ancien commandant en Chef dans le Pacifique au début des années 2000 jugeait irrationnelles les ripostes américaines consistant à systématiquement survoler les îlots des Spratly ou à croiser dans les espaces maritimes adjacents à mesure que Pékin modifie la structure des archipels. Lire notre article Mer de Chine du sud : au jeu de « Tape la taupe », la tension monte

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Enfin l’analyse de Zhang prendra toute sa pertinence quand, probablement avant la fin de l’été, le tribunal sur le droit de la mer aura répondu aux demandes d’arbitrages de Hanoi et de Manille que le politburo, faisant jouer le droit de réserve autorisé par la convention de Montego Bay, dit vouloir ignorer.

Il n’empêche que la Chine s’est mise en porte-à-faux sur trois points précis de la convention : 1) Sa réclamation sur toute la mer de Chine du sud ; 2) Son affirmation que des constructions artificielles peuvent générer des eaux territoriales ; 3) Son occupation de force du récif des Scarborough situé dans la ZEE des Philippines.

Enfin, les intrusions fréquentes des chalutiers chinois dans les eaux indonésiennes ont récemment provoqué un raidissement de Djakarta qui n’a pourtant aucun contentieux territorial avec la Chine.

Lire aussi : Mer de chine du sud. Mythes et réalités

Note(s) :

[1Docteur en relations internationales de la London School of Economics, Feng Zhang a aussi enseigné à l’université Murdoch de Perth (2010 – 2013) et à l’université Qinghua à Pékin (2009 – 2010).

[2Depuis octobre 2015 l’US Navy a conduit 2 missions visant à affirmer la liberté de navigation dans des eaux revendiquées par les Chinois autour des îlots artificiellement élargis. Sur la photo le lance missiles USS Lassen a, le 27 octobre 2015, effectué une mission à l’intérieur des 12 nautiques des récifs de Mischief et Subi bétonnés par la Chine.

Une autre mission du même type a été conduite le 10 mai 2016, à l’intérieur des 12 nautiques des récifs de Fiery cross dans les Spratlys, par l’USS Wiliam Lawrence. En riposte la Chine avait fait décoller 2 chasseurs de combat, tandis que 3 bâtiments de la marine chinoise suivaient la trajectoire du Lawrence.

Pour l’Amiral Blair ancien Commandant en Chef dans le Pacifique, la réponse aux avancées chinoises qui contreviennent au droit de la mer en s’appropriant des eaux territoriales autour de constructions artificielles ne devrait pas être militaire, mais s’appuyer sur une action diplomatique concertée avec les pays de la zone.

 

 

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