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›› Lectures et opinions

L’offensive chinoise en Europe

Le 6 avril 2016, un train de marchandises en provenance de Wuhan est arrivé Lyon Vénissieux. Avec la ligne Varsovie Chengdu inaugurée le 20 juin par le président Xi Jinping et son homologue polonais Andrzej Duda, 5 destinations de l’UE sont aujourd’hui directement reliées par voies ferrées à la Chine (3 en Allemagne - Duisburg, Leipzig, Hambourg venant de Chongqing, Shenyang et Zhengzhou – une Espagne Yiwu – Madrid).

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Récemment, Philippe Le Corre, l’un des deux auteurs avec Alain Sepulchre [1] de « L’offensive chinoise en Europe » Fayard, automne 2015, s’est entretenu avec Andrew Browne contributeur régulier du Wall Street Journal sur les questions chinoises, à propos de son livre et de l’état des relations commerciales et industrielles entre l’Europe et la Chine.

L’occasion permet de revenir sur la manière dont le politburo chinois voit l’Europe et, en contrepoint, sur les raidissements politiques moins favorables à la Chine qui montent à Bruxelles et dans les capitales européennes, notamment en Allemagne, dessinant une image de la relation trouble où se mêlent quelques réalités objectives et nombre de préjugés attisés par la crise européenne.

Il n’y pas de « plan chinois pour contrôler l’Europe. »

Philippe Le Corre ne voit pas que la Chine aurait, comme le pensent certains, un « projet global pour contrôler l’Europe », autre que celui de développer ses affaires, rechercher une influence et capter les technologies nécessaires à la modernisation de son appareil productif.

Mais il constate que la conjonction des deux séries d’événements que sont 1) les secousses ayant déstabilisé l’Union (crises de la Grèce et des migrants et choc du Brexit) et 2) l’élargissement progressif de l’empreinte chinoise depuis 2008, a provoqué une tension dans la relation et des réflexes défensifs de la part des opinions publiques européennes voyant dans l’alourdissement de l’influence chinoise une menace pour l’emploi et le futur de l’économie européenne
(voir notre article Chine – Europe. Bruxelles se cabre en plein « BREXIT »)

La discorde sur le statut « d’économie de marché ».

Après les manifestations du printemps en Europe contre l’acier chinois subventionné, la question de l’attribution à la Chine du statut d’économie de marché devient un sujet sensible et un dilemme pour la Commission.

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Le Corre ajoute que, pour l’exécutif européen, accorder le « statut d’économie de marché » à la Chine serait aujourd’hui une initiative suicidaire.

Les relations sont en effet compliquées par des élections à venir en France et en Allemagne où le débat politique est plombé par la montée des populismes, alors même qu’objectivement, Pékin n’a satisfait à aucun des critères caractérisant les économies ouvertes et respectueuses du marché.

La difficulté pour l’Union est que, selon les accords conclus avec l’OMC en 2001, le 11 décembre 2016 est l’échéance butoir à laquelle la Chine devrait, en toutes hypothèses, bénéficier du statut d’économie de marché. Mais des batailles d’experts sont en cours en Europe pour contourner cette obligation que nombre de juristes considèrent comme une présentation erronée.
Lire Granting Market Economy Status to China (document PDF).

Au passage, le dilemme est significatif des fonctionnements bureaucratiques qui plombent l’avenir de l’Europe et sont en partie à l’origine de la crise du Brexit et du désamour dont souffre l’Europe dans l’esprit de larges parts de la population européenne. Une décision prise il y a 15 ans par les appareils non élus de l’OMC et de l’UE devrait aujourd’hui s’imposer automatiquement comme un fait acquis juridique, en contradiction flagrante avec l’état réel des relations entre la Chine et l’Europe.

Les illusions à l’origine des occasions perdues.

A contrario, notons que tout se passe comme si les potentiels de coopérations profitables à tous, ont été gâchés par les illusions des négociateurs de l’époque pour qui la Chine accepterait de s’adapter sans contraintes aux lois du marché. Faisant volontairement l’impasse sur les conséquences que ces ajustements auraient sur la santé de ses groupes industriels et les équilibres sociaux du pays, le politburo allait, croyait-on, se plier sans broncher aux règles de la libre concurrence et de la transparence des comptes.

Selon Le Corre, le potentiel de synergies existerait bel et bien. Après la secousse de la crise des « subprimes », le fond souverain chinois avait offert sa participation, il est vrai très limitée et prudente, en créant un fonds destiné à aider les compagnies chinoises à investir en Europe, en partenariat avec la « Belgian Federal Holding Company ».

L’affaire, en réalité très anecdotique au regard des besoins européens et des capacités chinoises de financement, avait été suivie en haut lieu par des rencontres régulières avec 7 pays européens ayant signé des lettres d’intention pour participer aux initiatives chinoises des nouvelles routes de la soie « Yi Dai Yi Lu » et réunis annuellement autour du premier ministre Li Keqiang.

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Le progressif désamour chinois pour Bruxelles.

Au fil du temps l’espoir d’un partenariat sans accrocs et toujours « gagnant – gagnant » s’est progressivement délité.

L’élan initial était en partie nourri par l’idée que l’Europe pourrait constituer un contrepoids aux États-Unis. En 2003 Pékin avait même publié un Livre Blanc sur l’UE, le premier consacré à des relations avec un pays étranger. Mais l’engouement chinois a faibli à mesure que le politburo prenait conscience que le « Vieux Continent » n’aurait jamais le poids stratégique capable de balancer celui de Washington. En 2005, les ratés du traité constitutionnel en France et aux Pays Bas incitèrent Pékin à réduire ses élans européens.

Déjà, après le sommet Chine - Europe de décembre 2004 à La Haye, Li Zhaoxing, le ministre des affaires étrangères de l’époque, anticipant peut-être l’importance des problèmes internes à l’UE, avait indiqué que, si la cohésion politique de l’Union faisait défaut, Pékin continuerait à promouvoir ses intérêts auprès de chaque État membre. C’est bien ce que constatent Philippe Le Corre et Alain Sépulchre.

Pékin préfère le face à face avec les pays membres.

Photo du haut : Le 8 avril 2016, Alexis Tsipras et Xi Lirong PDG de COSCO signent un accord pour la cession du port du Pirée contre 368 millions d’€. En bas : Des dockers grecs inquiets pour leur emploi manifestent dans les rues d’Athènes.

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Désormais, la stratégie chinoise qui tire profit de la faiblesse des finances européennes a tendance à délaisser Bruxelles et à s’intéresser à chaque pays séparément, avec une préférence pour les pays de l’Europe Centrale et Orientale, prolongement naturel des investissements chinois en Grèce et dans le port du Pirée.

Ce dernier est désormais entièrement contrôlé par le géant chinois COSCO – seul candidat à la reprise - depuis qu’Alexis Tsipras qui y était pourtant opposé, a, le 8 avril dernier, signé un accord de vente avec le président Xu Lirong, pour un montant de 368,5 millions d’€.

En contrepartie, le Chinois est tenu de respecter quelques obligations. Un article du Monde du 8 avril 2016 expliquait que « selon les termes du contrat, Cosco achètera 51% du port du Pirée moyennant 280,5 millions d’euros, puis 16% au prix de 88 millions d’euros cinq ans après, en fonction des investissements obligatoires qui doivent y être réalisés. Le groupe investit 230 millions d’euros pour y construire un terminal supplémentaire. ».

Cosco y trouve certes ses avantages. Il reste que la transaction qui, vue d’Athènes, a toutes les allures d’un sauvetage dans un contexte économique grec dévasté, a suscité des commentaires alarmistes comme ceux d’Adéa Guillot qui, le 17 avril 2015, signait dans Le Monde un article intitulé « En Grèce le Pirée va devenir un protectorat chinois ».

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Il est un fait qu’entre l’UE et la Chine, l’ambiance n’est plus au beau fixe. Le commentaire d’Adréa Guillot à propos d’un investissement chinois tout de même vertueux et salutaire dans le marasme de l’économie grecque, préfigurait les récents raidissements des hommes politiques allemands contre la reprise par le Chinois MIDEA du groupe de robotique KUKA. Lire notre article La nouvelle agressivité des groupes chinois à l’international mise en perspective

Montée des tensions politiques.

Preuve que les crispations étaient attisées non seulement par la crainte des captations de technologies, mais également par des arrières pensées politiques, le rapport des investissements réciproques Chine – UE est très en faveur des compagnies européennes dans un rapport de 1 à 30.

Au total Le Corre en arrive aux mêmes conclusions que Federica Mogherini dans sa note politique à la Commission, citée plus haut. Dans leurs relations avec la Chine, Bruxelles et les pays membres de l’UE doivent se montrer plus solidaires et exiger la stricte réciprocité dans le droit des affaires et le respect des règles du marché.

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Enfin, Le Corre propose quelques commentaires qui méritent attention sur les conséquences directes du BREXIT.

Le centre des affaires de Londres restera un point d’attraction pour les investisseurs chinois qui l’utilisent comme une chambre de compensation et d’échange du Renminbi – mais des solutions alternatives existent déjà à Francfort, Paris et Luxembourg-.

Quant au marché britannique, il sera considéré par les Chinois pour ce qu’il est, celui d’une économie de taille moyenne, certes avec quelques opportunités, mais au total bien moins vastes que celles offertes par les 450 millions de consommateurs du marché européen.

En particulier le risque existe que le BREXIT dissuade les banques chinoises, comme l’avaient promis Pékin lors des récents sommets, de participer au financement des projets Northern Powerhouse d’aménagement territorial du nord de l’Angleterre (lire aussi Lune de miel entre Londres et Pékin. Le faste monarchique au service du pragmatisme

Avec tous ses défauts, l’UE reste pour la Chine un vaste et riche agrégat commercial, dont les interlocuteurs sont connus et disposent du puissant levier politique d’accorder ou non à Pékin le « statut d’économie de marché ».

Une reconnaissance qui, non seulement donnerait de la « face » au politburo à Pékin, mais ouvrirait aussi un large boulevard aux investisseurs et aux exportateurs chinois. Dans l’état actuel des relations commerciales et après les controverses sur l’acier chinois à prix cassés, le sujet sera l’objet de longues et âpres négociations, sur fond de menaces populistes qui plombent l’avenir de nombre d’exécutifs européens.

Lire aussi Chine – Europe. La guerre de l’acier et le statut d’économie de marché

Note(s) :

[1Philippe Le Corre, Alain Sépulchre, diplômé de l’Institut belge Solvay d’économie et de gestion, est expert au Boston Consulting Group et spécialiste en stratégies d’investissements. Il enseigne à l’Institut Solvay, à Paris Dauphine et à l’université chinoise de Hong Kong.

 

 

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