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Arbitrage de la Cour de La Haye. Tensions et perspectives d’apaisement

La Cour permanente d’arbitrage à La Haye.

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Le 12 juillet 2016, 3 années après la demande d’arbitrage formulée par Manille dans le différend qui l’oppose à Pékin en mer de Chine du sud, la Cour Permanente d’Arbitrage de La Haye, a rendu son verdict.

Au-delà des crispations qui accompagnent l’arbitrage, des marges de négociation existent entre Pékin et Manille pour peu que les deux parviennent à maîtriser leurs factions les plus nationalistes. Mais un véritable apaisement sur le sujet ne sera possible qu’après le règlement du statut du récif des Scarborough que l’arbitrage n’a pas abordé, et à la condition que Pékin accepte de renoncer à la souveraineté sur toute la mer de Chine du sud.

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Du communiqué de presse de 13 pages qui résume une sentence de 501 pages, on retiendra :

1) Que les droits historiques dont se réclame la Chine ont été éteints, étant donnés qu’ils sont incompatibles avec les Zones économiques exclusives prévues par la convention du droit de la mer.

2) Qu’il n’y a aucun fondement juridique pour que la Chine revendique des droits historiques sur des ressources dans les zones maritimes à l’intérieur de la ligne en 9 traits. En dehors des eaux territoriales, les espaces marins sont en effet considérés comme la « haute mer ».

3) Que la convention accorde clairement aux Philippines des droits souverains dans sa zone économique exclusive dont font partie les récifs de « Second Thomas » et des « Mischiefs », ainsi que le haut-fond de « Reed ».

4) Que la Chine y a entravé les activités des Philippines d’exploration pétrolière et de pêche tout en protégeant les activités des pêcheurs chinois dans ces zones et en construisant des installations et des îles artificielles sur le récif des Mischiefs sans l’autorisation de Manille, violant ses droits souverains sur son plateau continental et dans sa zone économique exclusive.

5) Qu’autour du récif des Scarborough, la Chine n’a pas respecté les droits de pêche traditionnels des pêcheurs Philippins, la cour faisant remarquer qu’elle parviendrait à la même conclusion s’il s’agissait des droits de pêcheurs chinois entravés par les Philippines puisque les droits de pêche traditionnels n’ont pas été éteints par la convention.

NB : Sur la question des récifs de Scarborough, l’arbitrage confirme : 1) que l’ensemble, situé dans la ZEE des Philippines, étant toujours viable à marée haute, génère des eaux territoriales de 12 nautiques ; 2) que les droits traditionnels de pêche ne sont pas éteints et que la Chine a illégalement interdit aux pêcheurs philippins d’opérer dans ses parages. En revanche, le tribunal n’a pas statué sur les vues de Manille considérant que l’atoll lui-même ne permet pas de développer une activité économique et ne peut, par conséquent, pas générer une Zone Economique Exclusive.

6) Que les activités récentes de réclamation de terres et d’extension à grande échelle par la Chine sur 7 éléments des îles Spratly ont causé des dommages graves aux récifs coralliens contrevenant ainsi aux articles 192 et 194 de la convention imposant de préserver les écosystèmes fragiles et l’habitat des espèces menacées, notamment les tortues de mer, les coraux et les palourdes géantes exploités sans retenue par les pêcheurs chinois.

7) Que, contrevenant à la Convention qui enjoint aux parties en litige de s’abstenir d’aggraver ou d’étendre les différends objets de la demande d’arbitrage, la Chine a construit une grande île artificielle sur le haut fond des Mischief situé dans la ZEE des Philippines, infligé des dommages irréversibles à l’écosystème des récifs coralliens et détruit de façon permanente les preuves de l’état naturel des structures en question.

Arbitrage : https://pca-cpa.org/fr/cases/7/

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Les prétentions chinoises sévèrement remises en cause.

Ce croquis montre les points controversés abordés par le jugement. 1) la ligne en 9 traits en pointillés rouges ; 2) Les travaux sur 7 îlots des Spratly ; 3) Le récif des Scarborough (ne figure pas sur la carte), situé à 313 nautiques au nord des Mischiefs et 175 nautiques des côtes de Luçon sur la souveraineté duquel le jugement ne statue pas, mais où il condamne le non respect du droit de pêche des Philippines par la Chine.

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Quoi qu’en disent les différentes déclarations très irritées rejetant le jugement exprimées par Xinhua, le Quotidien du Peuple ou le Ministre des Affaires étrangères, la précision légale de l’arbitrage qui tranche avec le flou des revendications historiques chinoises, notamment sur sa « ligne en 9 traits », met Pékin en porte à faux.

Le contraste explique largement la virulence des réactions du régime face à une opinion publique chauffée à blanc par le politburo sur ce thème très nationaliste et générant des émotions internes qui, à l’évidence, entravent la marge de manœuvre de Pékin.

Compte tenu de l’acrimonie des ruades chinoises, il est illusoire de croire que le verdict fermera le différend. Tout indique au contraire qu’il ouvre, au moins dans un premier temps, une période de tensions, avec peut-être une épidémie de nouvelles demandes d’arbitrages par d’autres riverains [1].

En tous cas, le ton des réactions chinoises avait été donné par Madame Fu Ying, présidente de la Commission des AE de l’Assemblée Nationale, ancien ambassadeur au Royaume Uni, en Australie et aux Philippines, dans un article publié dans Foreign Affairs le 10 juillet : « la position de Pékin est claire : refus de l’arbitrage, refus de participer au jugement, refus de l’appliquer ».

Fu Ying explique que la Chine est fondée de faire jouer la clause de réserve mise en avant en 2006 dans une note verbale adressée aux NU par laquelle elle s’exonérait d’un jugement sur les questions de souveraineté. Par ailleurs, elle ajoute qu’un arbitrage sur ce cas, demandé unilatéralement par Manille était illégitime, la Chine, contrairement aux Philippines, ne considérant pas qu’il y avait litige, condition nécessaire d’une action en justice à la Cour de La Haye.

Mais l’arbitrage du 12 juillet répond à ces objections en précisant que l’arbitrage demandé par Manille ne concernait pas la souveraineté sur laquelle elle ne se prononce pas (notamment sur la question du récif des Scarborough).

En revanche, elle porte sur la question de savoir quelle zone maritime un État a le droit de réclamer dans des espaces marins où plusieurs zones se chevauchent, c’est-à-dire sur un différend qui n’est pas nécessairement lié à une querelle frontalière. Par ailleurs, le jugement ajoute que, même si la Chine n’a pas clairement exposé sa position, on ne peut nier qu’un différend existe découlant de sa conduite ou de l’absence de réactions de Pékin aux réclamations de Manille.

Risques de tensions.

Avant l’arbitrage l’APL a organisé des exercices à tir réel dans la périphérie des Paracel. Ici le destroyer Guangzhou tire un missile anti-aérien HQ-9.

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Alors qu’avant le jugement, Pékin avait réussi à diviser l’ASEAN pour l’empêcher d’adopter une position commune anti-chinoise, effectué des manœuvres navales à tir réel autour des Paracels et rallié une quarantaine de pays à sa cause niant la pertinence du tribunal [2], la sentence du 12 juillet réduit de manière importante la marge de manœuvre chinoise, puisqu’elle autorise les navires transitant en mer de Chine du sud à s’approcher sans restriction des deux îles artificielles construites par Pékin dans les Spratlys.

En même temps, ajoute Jeremy Page dans le Wall Street Journal, il met au défi Washington et Manille de faire respecter la décision par la diplomatie, en évitant un dérapage militaire ce qui, compte tenu des tensions nationalistes en Chine et aux Philippines, deviendra de plus en plus difficile face au raidissement martial chinois.

Les récentes injonctions de Washington qui, par la voix du porte-parole du Département d’État, exhortait Pékin à se comporter en « puissance globale responsable » n’auront que peu d’effet.

Alors que Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères, a qualifié la sentence de « farce » et que Shen Dingli, professeur des relations internationales à Fudan constate justement qu’ignorer complètement le jugement pourrait conduire à des affrontements armés, tandis que son application littérale est impossible du fait de l’état de l’opinion [3], les observateurs analysent les réactions de Pékin et calculent ses prochains coups.

Parmi les plus probables notons une accélération des constructions sur le récif des Scarborough, un blocus imposé à la marine de Manille empêchée d’accéder au récif Thomas (Thomas Shoal) dans les Spratly, l’instauration d’une Zone Aérienne d’Identification au-dessus des Spratly, le déploiement de missiles anti-navires et anti-aériens, à quoi s’ajouterait le pré-positionnement d’avions de combat dans les Spratlys utilisant les nouvelles pistes construites sur Fiery Cross (où des tests d’atterrissage sont en cours depuis le 2 janvier 2016) et celles bientôt achevées des Mischiefs et de Subi Reef.

Ces actions conduiront, par escalade, à des raidissements américains et à la crispation des riverains, y compris de l’Indonésie, tandis d’autres pays pourraient être conduits à demander l’arbitrage de la Cour. Il est évident que ces postures fermées pourraient déboucher sur un dérapage militaire.

Lire : Mer de Chine du sud. Plongée dans la pensée paradoxale chinoise

Voies d’apaisement possibles.

Très nationaliste, le nouveau président philippin Duterte a affirmé sa volonté de défendre la souveraineté des Philippines, tout en se disant prêt à négocier avec Pékin. Le jugement du tribunal le met en position pour le faire. Sous certaines conditions, la Chine qui a toujours prôné les négociations bilatérales pourrait accepter.

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A plus long terme cependant - le jugement n’ayant pas statué sur l’existence ou non d’un ZEE autour des Scarborough -, des marges de négociation existent déjà avec le nouveau président philippin Duterte dont la position a été renforcée. Depuis plusieurs semaines, également animé par le souhait de se démarquer de Washington, il fait savoir qu’il serait prêt à une rencontre bilatérale avec Pékin.

Le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi est sur la même ligne. La liberté des campagnes de pêches chinoises et philippines serait un bon axe d’approche, avant d’envisager le développement conjoint des ressources. Aux Philippines comme en Chine, les responsables auront cependant à tenir compte des réactions des plus nationalistes peu disposées au compromis, tandis que la question de la ZEE du récif des Scarborough restera une pierre d’achoppement.

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Pour autant un véritable apaisement de la question ne pourra pas surgir si Pékin ne renonçait pas à s’approprier la totalité de la mer de Chine, véritable clé de la question. Signe que le politburo a bien compris la nécessité de contrôler les émotions nationalistes, sur les réseaux sociaux chinois la censure a commencé à supprimer les messages les plus radicaux, tels que ceux se réjouissant d’un prochain conflit avec les États-Unis.

Enfin, l’indication la plus rassurante que les esprits ne sont pas arc-boutés autour de la probabilité d’un conflit, est peut-être que le 12 juillet, le jour même de la publication du jugement de La Haye, le Quotidien du Peuple publiait 7 photos en pleines pages des navires de combat chinois participant à l’exercice RIMPAC 2016.

Certaines des vues étaient prises dans le port de Pearl Harbour, d’autres à bord du porte-avions américain John Stennis, d’autres lors d’exercices de la marine chinoise en route pour Hawaï. Après sa première participation en 2014, cette année la marine de l’APL a dépêché le destroyer lance missiles Xi’an (7000 tonnes) équipée de 48 missiles anti-aériens HQ-9 et de 24 missiles anti-navires C-805, HN2 et Y-J, la frégate anti-sous-marine Hengshui (4000 tonnes), le navire logistique Gaoyouhu, le navire hôpital Peace Ark, le bâtiment d’assistance aux sous-marins, Changdao et 3 hélicoptères.

Lire : Entre raison, émotions et rivalités stratégiques, la marine chinoise participe à RIMPAC

Note(s) :

[14 pays de l’ASEAN (Brunei, La Malaisie, les Philippines, le Vietnam) et Taïwan sont, avec la Chine, partie prenante des controverses sur les îlots. Parmi eux les Philippines et le Vietnam on demandé l’arbitrage de la Cour de la La Haye.

[2A la mi-juin, après une réunion à Kunming des ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN et de la Chine, l’association avait été obligée de se rétracter après une déclaration rendue publique par la Malaisie qui faisait état de « sérieuses préoccupations » des membres à propos de l’aggravation de la situation en mer de Chine du sud.

Retiré de la circulation du fait de l’opposition du Laos et du Cambodge, le document expliquait qu’il était « impossible d’ignorer les événements en mer de Chine du sud devenant un problème important de la relation entre l’ASEAN et la Chine ».

Aux pro-chinois de l’ASEAN, s’ajoutent Vladimir Poutine et une quarantaine de pays dépendant de l’aide économique chinoise qui nient à la Cour de La Haye le droit de statuer sur les différends en mer de Chine du sud.

[3Le 13 juillet, Xinhua mettait de l’huile sur le feu de l’opinion déjà très échauffée en déclarant que le jugement était le dernier stratagème des Occidentaux pour bloquer le développement de la Chine, répétant un mot de Xi Jinping « la Chine ne cherche pas des ennuis, mais elle n’en a pas peur ».

 

 

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