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›› Société

La grande sensibilité politique de la réforme des retraites

Si la proportion des plus de 60 ans n’est encore que 15%, elle atteindra plus de 40% d’ici 2050. Compte tenu de l’augmentation rapide du nombre des ayants droits, sans réforme, les caisses de retraite seront assez vite en faillite.

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Après les échecs de 1997 et 2006, le gouvernement remet une nouvelle fois sur le métier la réforme des retraites dont les défis sont bien connus : inégalité flagrante des régimes entre privés, ruraux et fonctionnaires ; considérables déficits financiers évalués en 2012 par des chercheurs chinois à 86 000 Mds de Yuan – 11500 Mds d’€- avec cependant les caisses des provinces riches de la côte est et du sud en meilleure situation comptable.

Précisément, le nouvel élan d’harmonisation inscrit au 13e plan vise à placer, d’ici 2020, sous une même gestion les fonds locaux des municipalités, des districts et des provinces. Dans l’esprit des planificateurs cette centralisation devrait faciliter les transferts des caisses en excédent vers celles en grave déficit.

Une tentative de fusion des caisses avait déjà échoué en 2011 sabordée par le refus des provinces riches de mettre leurs ressources dans un pot commun. Mais cette fois, des sources proches du pouvoir citées par Caixin, insistent sur l’implication personnelle de Xi Jinping.

Après les mises en garde de Ma Kai du printemps 2015 (lire notre article Le trou sans fond des caisses de retraite. Les groupes publics sur la sellette), le n°1 chinois aurait lui-même exigé qu’un projet de péréquation financière obligeant les provinces riches à basculer un partie de leur trésorerie aux plus pauvres, lui soit soumis avant la fin 2016.

Un exercice politiquement périlleux.

Mais il ne s’agirait là que de l’étape la plus facile. Après quoi viendra la mise en œuvre, partie la plus ardue du plan qui devra bousculer les fortes réticences locales, auxquelles s’ajoutent les doutes de l’administration centrale dont les vues sur l’harmonisation des ressources ne sont pas toutes uniformes. Pour le ministère des affaires sociales dont les soucis sont politiques, le projet de transfert des ressources est la seule solution pour remettre à flots le système et en assurer la stabilité à long terme.

En revanche, certains fonctionnaires très opposés au projet n’hésitent pas à nier les déficits des caisses mis à jour par les chercheurs chinois eux-mêmes, tandis que d’autres, notamment au ministère des finances, craignent, non sans raison, que la bascule des charges financières vers le sommet de l’État constitue un poids insupportable pour les finances du pays.

Chez les fonctionnaires locaux, les plus fortes oppositions se trouvent dans les provinces riches avec, en arrière-pensée, jamais évoquée officiellement, le fait que les caisses excédentaires sont souvent des réservoirs servant à abonder les budgets locaux, quand elles ne servent pas à des investissements hasardeux. Sujet éminemment politique et explosif.

Chacun se souvient du cas de Shanghai où, en 2006, un scandale autour des fonds de pension locaux précipita la chute de Chen Liangyu, n°1 du parti et membre du Politburo.

Réminiscences politiques fâcheuses.

C’est peu dire que l’épisode résonne douloureusement, non seulement dans la mémoire des planificateurs, mais également dans celle de l’actuel exécutif du parti engagé à la fois dans une tentative d’harmonisation des retraites et dans une très violente refondation éthique.

N°1 à Shanghai, membre du Comité Central et du Bureau Politique, Chen Liangyu avait en 2008, été condamné à 18 années de prison pour abus de pouvoir, trafic d’influence, corruption et délit d’initié. Surtout – et l’occurrence renvoie toute la classe politique aux actuels questionnements – il avait été convaincu d’avoir investi illégalement des capitaux des caisses de retraite dans des projets immobiliers locaux.

Enfin, on mesurera la sensibilité politique de la question si on se souvient que l’épisode avait été considéré comme une péripétie de la lutte de clans entre Jiang Zemin et Hu Jintao, mais surtout qu’il fut aussi l’une des ultimes étapes de la très rapide marche vers le sommet de Xi Jinping.

Après avoir été nommé en mars 2007 – 6 mois après la destitution de Chen - à la tête de Shanghai, ce dernier s’était signalé par son habileté à calmer les rivalités politiques locales dans le sillage du scandale – ce qui lui valut la reconnaissance de la machine politique -, avant de poursuivre sa trajectoire vers le sommet. Au 17e congrès, 7 mois seulement après sa nomination à Shanghai, il entrait au Comité Permanent du Bureau Politique à un rang plus élevé que LI Keqiang, alors successeur présumé de Hu Jintao et quittait la métropole de l’Ouest pour devenir le coordonnateur de la préparation finale des JO de 2008.

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Une quadrature du cercle aux ramifications explosives.

Fin mai 2016, Xi Jinping ici photographié avec les gardes du parc forestier de Xishui, était en visite au Heilongjiang, une province dont le déficit des caisses de retraite est de 1,4 Mds d‘€ alors que les caisses de Canton affichent une excédent de 10 Mds d’€.

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Aujourd’hui, voilà le n°1 du Parti engagé depuis 2012 dans la plus féroce lutte contre la corruption jamais tentée par le Parti, face à la quadrature du cercle de la réforme des pensions, dont l’histoire récente montre à quel point elle peut devenir un dangereux bourbier.

Alors qu’il y a exactement une année, le Parti à la recherche des moyens de renflouer les caisses, avait autorisé les fonds de pension locaux à investir en bourse 30% de leurs avoirs en caisse – une décision qui place les gestionnaires locaux déjà malmenés par la bataille contre les prévarications en situation de stress face aux risques portés par les aléas de la bourse – le système des retraites souffre toujours des effets de l’absence de rééquilibrage national, auxquels s’ajoutent les incohérences de l’ancien schéma de développement. Au cœur de ce casse-tête et à côté du déséquilibre des ressources entre les provinces que Xi Jinping tente de corriger, la question de la retraite des migrants.

Déséquilibre géographiques et survivances incohérentes.

La comparaison entre une province riche du sud et une autre déshéritée au nord du pays fournit un exemple instructif où se croisent les revendications sociales, les rivalités provinciales, le déséquilibre des caisses et, in fine, les risques politiques.

En 2014, la caisse de la province de Canton affichait un excédent de 77 Mds de Yuan (10 milliards d’€) accumulés en partie grâce aux cotisations des centaines de milliers de migrants venus des provinces pauvres, alors que celle du Heilongjiang ciblée par une étude de l’Académie des Sciences Sociales citée par Caixin le 27 juillet dernier, accusait un déficit de10, 6 Mds (1,4 milliards d’€).

A la racine de ces déséquilibres une incohérence du vieux schéma de croissance installée à l’époque où le vent de l’ouverture économique portait de tels espoirs d’amélioration des conditions de ressources, y compris pour les migrants, que personne ne se souciait des retraites et de l’équilibre des caisses.

Mais de nos jours, le vieillissement de la population, la baisse de la croissance et les risques de chômage ont changé la donne et créent un pessimisme qui pousse la société à s’inquiéter de l’avenir et les ayant droits à réclamer leur dû [1]. Sur la sellette, les arrangements anciens dont bénéficient les provinces riches qui touchent les cotisations des migrants, mais ne leur payent qu’une partie des prestations, en majorité versées par les provinces d’origine, toujours plus pauvres.

Plus encore, à ces inégalités géographiques nées dans le sillage de l’ouverture et du boom économique quand les provinces de l’est et du sud recrutaient une abondante main d’œuvre précaire venue de l’intérieur, s’ajoute le malaise et les réticences des administrations locales.

Les plus pauvres, calculant le rapport entre les retraites réclamées par les migrants et le déficit des cotisations impayées quand ils travaillaient ailleurs, considèrent que le retour au bercail de la main d’œuvre flottante n’est ni la bienvenue dans sa province natale, ni fondée à bénéficier d’une retraite, puisqu’elle n’y a pas cotisé. Quant aux plus riches, elles ne sont pas encore prêtes à accepter de gaité de cœur les transferts de rééquilibrage et traînent des pieds.

Les déficits sont encore aggravés par la brutale augmentation des prestations obligatoires versées aux personnes âgées décidées au début des années 90 quand fut créé le système général des retraites encore dans les limbes et alors qu’aucune cotisation n’avait jusque là été perçue par les caisses.

Madame Li Zheng, professeur de gestion à Renmin et partisane la réforme, voit également dans la survivance des pratiques anciennes qui attachent le droit à la retraite au lieu de travail, une des raisons de la rigidité de la main d’œuvre en Chine. Pour Zheng Bingwen, de l’Académie des Sciences Sociales, le droit à la retraite ne devrait plus dépendre de la bonne volonté des administrations provinciales ou municipales, parfois mêmes des districts, mais doit seulement être attaché à la cotisation et à sa durée, quel que soit le lieu de travail.

Sensibilité de la réforme et stratégie des petits pas.

Mais dans un contexte de forts déficits, encore aggravés par l’augmentation du nombre des ayants droits, à quoi s’ajoute la mentalité très peu partageuse des administrations provinciales les plus riches, il y a loin de la coupe aux lèvres. Comment, en effet, obliger les caisses en excédent à renoncer à leurs surplus ?

Certains comme Yang Yansui directeur du Centre de recherche sur la sécurité sociale de Qinghua, préconisent la méthode forte et prônent des sanctions infligées aux contrevenants. Mais pour l’heure, mesurant la sensibilité politique de telles mesures contre des fonctionnaires déjà traumatisés par la vaste lutte contre la corruption, le politburo préfère avancer avec prudence.

Un exemple de réforme mise en œuvre sur la durée est fourni par la tactique des petits pas qui devrait à la longue aboutir à un allongement de la durée du travail [2] alors que l’opinion y est violemment hostile. (En 2010, un sondage avait révélé que 92% des Chinois ne voulaient pas d’un allongement de l’âge de retraite, lui même à plusieurs vitesses puisque si dans les villes les femmes fonctionnaires partent à la retraite à 50 ans, à la campagne hommes et femmes partent à 60 ans). Après quoi le politburo avait prudemment fait marche arrière.

En 2010, à Shanghai la municipalité avait expérimenté à bas bruit, mais sans trop de succès des incitations aux fonctionnaires pour allonger leur durée de travail en favorisant leur recrutement au sein de sociétés locales. En 2013, les études sur le report de l’âge de retraite à 65 ans figuraient dans les recommandations du 3e plenum. Parmi les propositions, celle de Yang Yansui, déjà cité était de rendre l’âge de départ à la retraite après 60 ans facultatif au choix des ayants droits, mais tout en fixant la date butoir de 2030 pour un âge uniforme à 65 ans.

D’autres chercheurs proposèrent des incitations fiscales pour ceux acceptant de partir après 60 ans, tandis que beaucoup insistaient sur la nécessité de faire participer la population par des sondages et de considérer soigneusement toutes les implications, en partie l’impact de la réforme sur l’emploi des jeunes.

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Si la détermination du régime à réformer les retraites ne fait pas de doute, les souvenirs des échecs passés, les tumultes politiques du scandale de Shanghai et les réticences de la base, comme des responsables provinciaux, obligeront le politburo à avancer avec une extrême prudence.

Note(s) :

[1Aujourd’hui le système très inégalitaire, complément transitoire du système des retraites des fonctionnaires jusqu’à présent très privilégiés, ne couvre que 200 millions de Chinois non fonctionnaires, avec de fortes disparités entre les extrêmes des travailleurs urbains ayant cotisé à une compagnie privée ou publique, qui touchent 2000 Yuan par mois (265 €) et les fermiers au chômage payés 70 Yuan (9 €). Les déficits viendront d’une part de la généralisation de ces prestations à des populations n’ayant jusqu’à présent jamais été des ayants droits et d’autre part du vieillissement rapide de la population. Si aujourd’hui les plus de 60 ans ne comptent que pour 15% de la population, ils représenteront plus de 40% vers 2050.

[2Déjà en 2001, une étude avait établi que l’augmentation de la durée du travail de seulement une année permettrait des économies annuelles de 20 Mds de Yuan (2,6 Mds d’€).

 

 

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