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›› Politique intérieure

L’éveil de la classe moyenne. 225 millions de Chinois, objets des attentions du régime

Face aux controverses de la politique internationale, les jeunes de la classe moyenne urbaine expriment souvent un nationalisme sans réserve. Ici une manifestation autorisée par le régime face à l’ambassade du Japon en septembre 2012.

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Au moment où le Président Xi Jinping reçoit les pays du G.20 dans son fief de Hangzhou sévèrement encadré par la police et dont les industries ont été mises à l’arrêt pour tenir à distance les effets de la pollution, cette note fait le point sur la nouvelle classe moyenne et ses relations avec le pouvoir. La matière en est, entre autres, fournie par une série d’enquêtes de Mc Kinsey, appuyés sur des chiffres officiels chinois, de l’OCDE et du FMI, repris début juillet par une synthèse du journal The Economist.

Pour l’heure, toutes les prédictions ayant spéculé sur la libéralisation politique du régime à la suite des progrès socio-économiques se sont avérées fausses.

Par un habile mélange de répressions et de censure, de propagande nationaliste, de relances financières alternant avec la rigueur des comptes, à quoi se sont ajoutées les concessions sociales sur fond de lutte contre la corruption et la pollution, sujets de controverses emblématiques de la classe moyenne, le régime chinois est parvenu à garder la confiance de la nouvelle bourgeoisie urbaine, malgré l’activisme d’une frange d’intellectuels militant pour la démocratie.

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Formant les gros bataillons des Chinois ayant le plus bénéficié de l’exceptionnelle croissance depuis 30 ans, la classe moyenne en expansion rapide – 225 millions de foyers aux revenus annuels compris entre 10 000 et 50 000 € - constitue la base politique du régime solidement établie entre l’élite du régime et la masse des Chinois.

Un retour sur l’article publié par QC en 2011 (Les extraordinaires défis de la classe moyenne) permet de mesurer les évolutions de cette partie de la population objet de toutes les attentions d’un pouvoir exceptionnellement flexible ayant renoncé à la plupart de ses dogmes communistes pour répondre aux attentes de sa nouvelle bourgeoisie.

D’ici 2020, cette frange de la population, vivant en majorité en zone urbaine et, en moyenne, encore très jeune (50% des citadins a moins de 35 ans), approchera les 300 millions – soit l’équivalent de la population des États-Unis et les 3/5 de celle de l’UE - dont une proportion importante a été enrôlée dans les rangs des 88 millions d’adhérents au parti communiste chinois.

Une spectaculaire hausse du niveau de vie.

L’une de ses caractéristiques essentielles est que 80% d’entre eux sont propriétaires de leur appartement. Alors que la tendance accompagne le mouvement d’urbanisation rapide du pays, le détail est capital puisqu’il renvoie à la fois à un ajustement du dogme communiste revu et corrigé par la réforme du droit de propriété [1] et à la croissance dont une part non négligeable est attisée par les activités directement ou indirectement liées à la construction immobilière.

Au demeurant, le contexte général où, au cours des 10 années qui viennent, 1,5 millions de chinois quitteront chaque mois les campagnes pour s’installer en zone urbaine, est homothétique des migrations en cours sur reste de la planète. (Entre 1950 et 2015, la population urbaine du monde est passée de 800 millions à 3,8 milliards. L’ONU estime qu’en 2050, la population urbaine de la planète dépassera 6 milliards.)

Dernière observation qui fonde l’importance de la relation – classe moyenne – urbanisation – croissance –, le secteur de la construction est aujourd’hui au cœur des réflexions du pouvoir partagé entre la rigueur économique et la relance au risque d’enflammer à nouveau la spéculation immobilière, moteur de l’endettement et du retour des dettes toxiques, objet des récentes mises en garde du FMI [2].

Souvent propriétaire de son appartement et d’une voiture particulière, saisie d’une ardente appétence pour la découverte de la Chine, les voyages à l’étranger et le luxe, la classe moyenne, en très grande majorité composée d’enfants uniques choyés par les parents, protégés du souvenir des affres des secousses sociales et politiques chinoises du XXe siècle et des temps où la Chine était pauvre, exprime aussi une contradiction de taille.

A la fois très individualiste, en sérieux contraste avec les dogmes de solidarité véhiculés par le Parti et saisie d’un désir d’accomplissement personnel, elle est également plus consciente des défis à venir, ce qui pousse une partie de ses membres à s’impliquer dans des actions de solidarité à travers des organisations non gouvernementales.

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Entre nationalisme et peur de l’avenir.

Depuis 2012, Xi Jinping s’est appliqué à soigner son image dans la jeunesse.

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Ayant en moyenne 8 fois plus de chances d’être diplômés de l’université que les jeunes ruraux, connectés au monde par internet dont l’influence grâce aux VPN est importante en dépit de la censure, l’esprit plus tourné vers l’étranger que la majorité de leurs parents, les jeunes qui forment l’ossature de la classe moyenne urbaine, sont à la fois sensibles au discours nationaliste du « rêve chinois » et perturbés par les effets collatéraux du développement et de la confusion des affaires et de la politique que sont la corruption, les produits alimentaires frelatés et la pollution.

Beaucoup d’entre eux à la fois préoccupés par l’avenir, habités par la fierté d’appartenir à un pays puissant à la très longue histoire, s’essayent au civisme et commencent à s’intéresser à la mouvance des ONG et des associations étroitement surveillées par le pouvoir – soigneusement tenues à l’écart du G.20 – dont l’objectif affiché est d’améliorer le fonctionnement de la société et ses rapports avec le régime, mais que le politburo accuse, pas toujours sans raison, d’être manipulés par les États-Unis.

Il est vrai que les défis de la jeune bourgeoisie ne sont pas minces. Les plus éclairés ont conscience que la modernisation de la Chine n’est pas parvenue à tourner le dos aux anciennes pratiques sociales liant l’obtention d’un emploi et la réussite au moins autant aux diplômes qu’aux appuis des connexions sociales et politiques ; ils constatent que la relance immobilière a progressivement haussé les prix hors de portée de leurs ressources [3] dans un contexte où les prêts bancaires aux particuliers restent compliqués ; tandis qu’en dépit du sacrifice des parents, les retours sur l’investissement consenti pour les études n’est plus systématiquement au rendez-vous.

La crise aidant, le pessimisme s’installe. La génération des parents prend aujourd’hui conscience, comme ailleurs dans le monde développé, que leurs enfants pourraient ne pas connaître les progrès matériels dont eux-mêmes ont bénéficié depuis les années 80.

La stabilité politique en question.

A ce stade du cheminement au sein d’une classe moyenne enrichie, mais dont la frange intellectuelle est lucide sur les défis à venir pour elle-même et le pays, surgissent les hypothèses d’une bascule politique vers un système démocratique.

Mêlant d’une part les théories de Tocqueville sur le rôle de la bourgeoisie éclairée dans la révolution française et, d’autre part, l’analyse des évolutions démocratiques apaisées en Corée du sud et à Taïwan survenues après le développement d’une classe moyenne aisée comparable à celle des citadins chinois aujourd’hui, certains observateurs spéculent sur les perspectives d’une réforme politique. D’autres anticipent un changement de régime, y compris violent, comme si les succès socio-économiques et l’aisance de la classe moyenne pouvaient en être les déclencheurs naturels.

Au XXe siècle, ces aspirations surgies dans le sillage de l’ouverture économique se sont cristallisées à deux reprises en 1979 et en 1989. Chaque fois le Parti les a sévèrement réprimées. Aujourd’hui encore, un vaste éventail de censure, de répressions politiques et de propagande nationaliste contribue à encadrer et à cloisonner habilement les mécontentements, tenant à distance les velléités de changement de régime.

Popularité de Xi Jinping.

Pour autant, alors que la société chinoise est traversée par des tensions sur les salaires, les conditions de travail, les retraites, les inégalités de revenus, la corruption de l’oligarchie et les graves pollutions de l’environnement, il serait erroné de croire que la classe moyenne, base politique du régime, serait unanimement opposée au parti.

L’observation des faits oblige à constater qu’un habile mélange de souplesse politique et de répressions ciblées, sur fond crainte de retour au chaos idéologique et à la férocité des luttes internes, à quoi s’ajoutent les effets bénéfiques pour la légitimité du partie de la hausse considérable du niveau de vie, a contribué à maintenir la stabilité sociale et politique du pays.

Pour l’heure, s’il est vrai que le style de vie de la classe moyenne chinoise s’est aligné sur celui des pays développés démocratiques, il n’est pas certain que la pensée politique occidentale ait en Chine autant d’influence que certains l’espèrent. Il est exact que depuis 2012, la frange des intellectuels exprime une réelle déception face au corset impitoyable de la censure réduisant sévèrement la liberté d’expression, tandis que le retour de la propagande idéologique proto-maoïste teintée de nationalisme ferme le débat politique et interdit toute critique des politiques publiques qu’elles soient nationales ou internationales.

Pour autant, cette conscience paraît marginale face au sentiment général de fierté nationale habilement entretenue par le régime. Le fait est que la majorité des Chinois de la classe moyenne influente continue à soutenir le régime.

Au point qu’on peut en effet estimer avec The Economist que, si demain avait lieu une élection libre, Xi Jinping serait élu avec une confortable majorité et pas seulement parce que les oppositions politiques sont interdites. Depuis 2012, le n°1 du régime s’est en effet attaqué avec une détermination habilement mise en scène aux deux motifs de mécontentement les plus sensibles dans la société chinoise : la corruption de l’oligarchie et la pollution.

Dernière initiative en date ayant une portée globale, le politburo a, derrière Xi Jinping, fait ratifier par l’Assemblée Nationale aux ordres, l’accord de Paris sur le climat donnant à la Chine l’image pourtant quelque peu usurpée d’un pays en pointe dans le sauvetage de planète.
Lire : COP 21 : entre illusions et scepticismes. Réalités et limites des contributions chinoises

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Mais rien ne dit que l’embellie politique dont profite le Parti ne sera pas assombrie, tant il est vrai qu’en Chine comme ailleurs, les menaces de crise s’accumulent. Elles vont du ralentissement économique porteur de graves risques sociaux collatéraux à la conscience politique croissante d’une partie de la jeunesse de plus en plus portée à la contestation activiste, en passant par la fuite des élites et des capitaux. A quoi s’ajoute le creusement des inégalités traduisant une mauvaise répartition des fruits de la croissance.

En arrière plan, objet d’une très puissante omerta du régime, la sourde menace du terrorisme islamiste au Xinjiang connecté au radicalisme religieux du Moyen Orient, du Pakistan, d’Afghanistan et d’Asie Centrale sur lequel le régime ne peut avoir qu’une influence limitée.

Note(s) :

[1Un individu n’est pas autorisé à posséder un bien foncier, mais il peut bénéficier d’un bail dont la durée est variable qui lui donne un droit de propriété sur un appartement, mais pas sur les terrains sur lesquels il a été construit. Ces droits de propriété urbaine ont été progressivement amendés par des réformes des années 2000. En zone urbaine, un bien immobilier peut être cédé ou vendu en même temps que les droits qui y sont liés. Ce droit peut néanmoins être contraint par l’État qui peut en interdire le transfert, soit parce que la propriété se trouve sur une zone d’aménagement particulier ou en zone militaire, soit parce que la propriété administrative n’est pas établie par des documents légaux.

[2Entre l’automne 2015 et avril 2016, les prêts immobiliers en Chine sont passés de 300 à 500 Mds de Yuans – 40 à 60 Mds d’€ - soit +50% - (source Banque Populaire de Chine). Le relâchement de la politique de rigueur dans le secteur immobilier initiée avant 2012, aggravera les dettes des banques dont les comptes ont récemment été mis à mal par l’obligation qui leur a été faite d’éponger une partie des créances des administrations locales. Lire La face cachée de la dette.

[3Depuis l’été 2014, les prix immobiliers calculés pour 100 municipalités sont repartis à la hausse. Le phénomène s’accélère. Entre janvier et juillet 2016, la hausse annuelle est passée de 2,5% à 7,9% (source : statistiques chinoises).

 

 

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