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›› Chronique

A Hong Kong, la Chine fait face aux contradictions du schéma « Un pays deux systèmes »

Les 5 jeunes de la mouvance indépendantiste élus au LEGCO le 5 septembre. De gauche à droite Yau Wai-ching (25 ans), Nathan law (23 ans), Eddie Chu (Chu Hoi-dick) (39 ans), Cheng Chung-tai (32 ans), Sixtus Baggio Leung (30 ans).

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A Hong-Kong, le politburo chinois est peut-être en train de prendre la mesure des limites politiques du très subtil et très pragmatique concept « un pays deux systèmes » imaginé par Deng Xiaoping et proposé en 1997 pour Hong Kong et en 1999 pour Macao.

Les « indépendantistes » entrent au LEGCO.

Le 4 septembre, à l’occasion du premier scrutin législatif organisé dans la R.A.S depuis les incidents d’Occupy Central de l’automne 2014 qui précédèrent l’échec de la réforme constitutionnelle proposée par Pékin, suivies par la réplique violente du quartier de Mongkok de la nuit du 8 au 9 février 2016 où Pékin avaient dénoncé la présence de « séparatistes radicaux », 5 jeunes parlementaires sont entrés au Conseil Législatif de la R.A.S, le parlement de Hong Kong [1].

Tous âgés de moins de 40 ans, ils appartiennent à la nouvelle mouvance favorable à une séparation avec le Continent – dite « localiste », euphémisme destiné à éviter le mot trop sulfureux « d’indépendantiste » -.

Outre le fait qu’avec leurs alliés de principe de la mouvance démocrate, les nouveaux élus forment toujours un groupe de 30 députés (+2 par rapport aux dernières législatives de 2012) soit plus du tiers des 70 sièges qui les met en situation d’opposer un veto à tout changement constitutionnel pouvant réduire la marge de manœuvre de l’opposition, la nouveauté qui mérite attention, est l’émergence d’une force politique de rupture, remettant en cause le schéma de rétrocession définitif de l’ancienne colonie à la Chine en 2047.

C’est peu dire que la nouvelle a touché un nerf sensible à Pékin dont les représentants à Hong Kong et Macao ont aussitôt réagi en rappelant que les revendications d’indépendance violaient la constitution chinoise, à laquelle est articulée la Loi Fondamentale de Hong Kong.

Nervosité à Pékin.

Déjà, lors de sa visite dans la R.A.S en mai dernier, Zhang Dejiang, n°3 du régime et président de l’Assemblée Nationale, avait mis en garde les adeptes du « localisme » à Hong Kong en les menaçant de poursuites judiciaires pour « sécession » passible en Chine de la prison à vie. En amont des élections, la commission électorale a disqualifié 6 candidats dont la plateforme politique était trop ouvertement séparatiste.

Rien n’y a fait. Exprimant à la fois une sévère dissonance avec Pékin et une distance avec les caciques politiques à Hong Kong , y compris ceux de la mouvance démocrate, la poignée de jeunes entrés au Legco sont un pavé dans la marre du concept « un pays deux systèmes » dont les remous éclaboussent au passage les relations du Continent avec Taïwan.

Résultat de cette charge iconoclaste de la jeunesse héritière directe du mouvement « occupy central », le paysage politique de la R.A.S est entré en mouvement, brouillant les anciennes lignes de fractures entre « pro-Pékin » et « démocrates », créant un durcissement annonciateur de troubles.

La présence – même très minoritaire (8,5%) - dans le parlement de l’ancienne colonie de trublions indépendantistes crée en effet une tension nouvelle, non seulement à Pékin, mais également au sein de la mouvance démocrate. Pavant la route à de nouveaux affrontements, elle contribue à durcir le climat politique entre l’opposition et les inconditionnels du Continent tout en brouillant le message des démocrates.

L’opposition démocrate débordée.

La mouvance démocrate dont les ténors commencent à vieillir est désormais confrontée au défi d’une minorité en rupture avec les schémas en vigueur depuis 1997. Les spadassins de la nouvelle génération accusent en bloc l’oligarchie au pouvoir et le mouvement des démocrates de n’avoir pas assez prêté attention aux difficultés sociales de l’ancienne colonie et de les avoir sacrifiés à un projet politique incohérent concocté avec un régime politique que leurs parents avaient fui.

S’il est vrai que les 5 nouveaux députés restent fortement minoritaires, le dépouillement du scrutin que Pékin soupçonne d’avoir été influencé par les ONG américaines, montre que l’addition des voix obtenues par cette nouvelle mouvance, y compris en comptabilisant les suffrages des localistes battus, représente 19% du total des bulletins exprimés. Le résultat reflète fidèlement un sondage récent d’où il ressortait que 17% des Hongkongais soutenaient l’idée d’indépendance. Le pourcentage étant de 39% dans la classe d’âge des 15 – 24 ans.

Crispation des positions.

Contrecoup de cette tendance dissidente, le vote du 5 septembre a également fait émerger un groupe radicalement pro-Pékin, composé d’hommes d’affaires conservateurs, vieux patriotes héritiers du mouvement communiste souterrain de l’époque coloniale. Soigneusement courtisés par Pékin, ils sont profondément hostiles à toute dérive hors de la trajectoire de réintégration complète à la Chine en 2047.

Face à eux le nouveau paysage politique animé par une jeunesse en rupture s’articule autour de 4 groupes :

1) Le Hong Kong National Party (HKNP), créé le 28 mars 2016 et son mentor Chan-Ho-tin, candidat dans les Nouveaux Territoires mais disqualifié par la commission électorale ayant considéré que son programme séparatiste n’était pas constitutionnel ;

2) « AllinHK & Hong Kong Indigenous », dont Eward Leung déjà vainqueur d’une élection partielle en février, également rejeté par la commission. Ils sont alliés à 6 groupes héritiers du mouvement des « parapluies » regroupant des formations dont les noms traduisent un ancrage très local, un enthousiasme foisonnant et beaucoup d’improvisation : « Youngspiration », « Kwoloon East Community », « Tin Shui Wai New Force », Cheung Sha Wan Community Establishment Power », « Tsz Wan Shan Constructive Power » et « Tuen Mun Community » ;

3) « Civic Passion-Proletariat Political Institute – Hong Kong Resurgence Order », nébuleuse ayant présenté 5 candidats dans chaque circonscription géographique. En dépit de leur ancrage « localiste » tous ont été validés par la commission ;

4) Demosito dont on parle beaucoup, avec Nathan Law (23 ans) son chef de file candidat élu sur l’Île de Hong Kong. Il s’était allié à Eddie Chu (39 ans) de Land Justice League, candidat non inscrit élu dans les Nouveaux Territoires Ouest et, signe que les lignes sont encore floues, à madame Madame Lau Siu-lai (40 ans) de « Democracy Groundwork », déjà membre du Legco, candidate à Kowloon West, mais dont la plateforme politique annonce que la rupture avec le Continent est irréaliste.

C’est de cette mouvance à la fois vibrante, enthousiaste, peut-être naïve et présomptueuse, qu’ont émergé les 5 nouveaux députés en rupture avec le schéma de réunification. Leur présence très médiatisée au Conseil législatif place Pékin face aux limites du schéma « un pays deux systèmes » et laisse présager de nouvelles frictions à court terme. Il s’agit de :

1) Nathan Law, 23 ans, élu dans l’Île de Hong Kong. Séparatiste radical, issu de « Occupy Central », il est désormais le plus jeune député du territoire et réclame un référendum d’autodétermination ;

2) Cheng Chung-tai (32 ans) l’un des plus actifs membres de Civic Passion, Dr en sciences sociales de Beida, et diplômé de l’Université polytechnique de Hong Kong, il s’est distingué en prenant la tête de manifestations violentes à Mongkok en février 2016 pour réclamer l’indépendance. Il est élu à Lok Tsui contre le titulaire du siège, le démocrate Albert Ho (65 ans) et un candidat pro-pékin Junius Ho. Lui aussi réclame un référendum ;

3) Sixtus « Baggio » Leung (30 ans), à la tête de « Youngspiration », élu dans les Nouveaux Territoires Est, indépendantiste ayant protesté contre le tourisme des continentaux et suggéré que la R.A.S recherche l’indépendance en eau et en électricité.

4) Ms Yau Wai-ching (25 ans), localiste membre de Yongspiration élue à Kwoloon Ouest contre le démocrate Wong Yuk-man (65 ans) membre du Legco depuis 2010 ;

5) Chu Hoi-dick 38 ans, écologiste, ancien journaliste freelance, engagé dans de nombreux combats politiques et écologistes allant de l’indépendance à la protection culturelle du territoire contre l’invasion des « Continentaux »

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« Un pays deux systèmes », malentendus et non dits.

Le graphe montre la hausse régulière (en rouge) du nombre de Hongkongais ayant perdu la confiance dans le schéma politique « Un pays deux systèmes » et à l’inverse l’érosion (en bleu) du nombre de ses partisans. La bascule majoritaire ayant eu lieu entre 2013 et 2014.

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Le montage « Un pays deux systèmes » dont, à l’époque, tout le monde avait loué la sagesse et le réalisme empirique, accordait une large autonomie aux deux anciennes colonies de Hong Kong et Macao – à l’exception de la politique étrangère et de la défense placées sous la coupe de Pékin – les autorisant à continuer à vivre sous le système capitaliste et politiquement régis par la « common law » à Hong-Kong et le code civil portugais à Macao.

Durant ce demi-siècle, l’ancienne colonie devenue Région Administrative Spéciale, n’ayant cependant jamais connu le plus petit soupçon de démocratie sous la règle britannique, serait régie par les termes d’une mini-constitution dite « Basic Law » ou « Loi Fondamentale » reconnue par la constitution chinoise et établie après la déclaration sino-britannique du 19 décembre 1984.

Dans ce cadre d’une grande souplesse, les deux R.A.S de Hong Kong et Macao devaient jouir d’un haut degré d’autonomie garantissant la séparation démocratique des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire – ce dernier ayant le statut d’une juridiction en dernier ressort, protégeant le territoire d’une ingérence de la justice chinoise -.

Plus encore, en complète opposition avec le régime en vigueur en Chine, la mini-constitution garantit par son article 39, les droits fondamentaux de la convention internationale sur les droits civiques et politiques adoptée par les Nations Unies le 16 décembre 1966 et entrée en vigueur en 1976.

Ratifiée par 74 pays (la Chine l’a signée mais ne l’a toujours pas ratifiée), la convention reconnaît le droit à la vie, la liberté de religion, d’expression et de réunion, à quoi s’ajoutent le droit électoral et le droit de tous à une justice équitable, sans ingérence politique.

L’espace de liberté de la R.A.S n’est cependant pas total puisqu’en vertu de son article 158, la Loi Fondamentale stipule que le Comité Permanent de l’ANP dispose du pouvoir d’interprétation finale en cas de litige, tandis que l’appartenance complète à la Chine des deux territoires différée jusqu’en 2047 et 2049 ne peut pas être remise en question.

Sous le pragmatisme de la méthode et du système couvent cependant de puissants malentendus, tandis que réapparaissent à Hong Kong quelques unes des inquiétudes existentielles ayant précédé la rétrocession de 1997. Dans l’esprit des plus optimistes ou, selon certains, des plus naïfs, le délai de 50 ans devait permettre à la Chine d’assouplir son système pour lui permettre d’accueillir sans heurts une population rompue aux libertés politiques.

Or, depuis 2012 [2], nourrie par quelques embardées du système chinois inquiet des effets de la liberté d’expression et de la quête pour un suffrage universel sans contrainte, c’est l’impression inverse qui domine. Les pessimistes de plus en en plus nombreux chez les jeunes estiment que le trajectoire du Parti vise non pas à améliorer la démocratie et les libertés en Chine, mais au contraire à éroder celles de la R.A.S, opérant ainsi un nivellement exactement inverse à celui qu’ils espéraient.

Du coup, redoutant la perspective d’un retour dans le giron chinois synonyme de régression politique, un mouvement séparatiste est né, essentiellement composé de jeunes gens à qui le schéma « un pays deux systèmes » apparaît comme un arrangement dépassé. Prenant le Parti par surprise, cette mouvance s’est exprimée aux législatives du 5 septembre.

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L’apparition depuis 2014 d’une trajectoire politique de rupture radicalement dissidente, qui plus est entérinée par une élection démocratique, crée à Pékin un dilemme politique de première grandeur. Son acuité est d’autant plus vive pour le régime que le réflexe répressif et de mise aux normes est de nature à renforcer l’esprit de dissidence.

Ce dernier s’était déjà manifesté en 2003, lors de la loi sur la sécurité et le projet d’amendement constitutionnel de l’article 23 que le politburo avait été contraint de retirer.

Depuis 2012, une partie de la population de la R.A.S, majoritairement la plus jeune, ne cesse de se dresser contre les tentatives de rabotage de la liberté d’expression y compris par des intrusions policières chinoises ou l’utilisation des mafias engagées pour intimider des journalistes et les éditeurs. La mouvance d’opposition s’est également dressée contre la conception tronquée de la liberté électorale réfutant toute candidature dont l’arrière-plan est notoirement hostile au Continent.

Compte tenu de l’importance stratégique, économique, historique et psychologique de Hong Kong, dont les secousses se diffusent jusqu’à Taïwan, nimbées d’un arrière plan très nationaliste dont la sensibilité ne peut être sous estimée, il est très peu probable que le politburo restera sans réagir à la menace posée par le mouvement « localiste ».

A cet effet Pékin tirera profit non seulement des appuis de la communauté d’affaires et des segments de la population plus âgée craignant les désordres, mais également de l’existence, au sein même de la mouvance démocrate, d’une profonde méfiance à l’égard des témérités de la jeunesse que beaucoup considèrent comme une dangereuse utopie.

Il reste que si le Politburo refuse de prendre en compte le potentiel d’embrasement d’un mouvement dont les revendications sont aussi clairement sociales, écologiques et culturelles, il risque un accident.

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Lire aussi :
- Hong Kong : Pékin se cabre
- Hong Kong : un suffrage universel aux « caractéristiques chinoises. »
- Hong Kong. Pas de compromis. Risques de violences
- Zhang Dejiang dans l’arène de la R.A.S de Hong-Kong
- Hong – Kong sous influence

Note(s) :

[1Rappelons que le Conseil législatif de Hong Kong (Legco) est un organe parlementaire semi-démocratique composé de 70 membres dont seulement la moitié est élue au suffrage direct exprimant le vote de circonscriptions géographiques.

L’autre moitié est issue des votes d’organisations professionnelles à forte connotation commerciale ou d’affaires dont le collège électoral est trié sur le volet et, en général, favorable à Pékin. Selon l’article 68 de la Loi Fondamentale, le but des réformes politiques dans la R.A.S est de faire en sorte qu’à terme le gouverneur et les 70 membres du Legco soient élus au suffrage universel direct.

[2La crise de 2014 n’est pas la première qui frappe le territoire. Une tentative de Pékin pour limiter la liberté d’expression en contradiction avec les accords de 1997 avait déjà eu lieu en 2003. Une proposition de Loi rédigée dans les mêmes termes que celles du Continent et destinée à réduire la liberté d’expression pour des raisons de sécurité avait provoqué une manifestation de 500 000 personnes qui à l’époque avait poussé Pékin à faire marche arrière.

 

 

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