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›› Chine - monde

Une guerre entre la Chine et les Etats-Unis est-elle possible ? Inquiétudes à Taïwan et en Asie

Depuis une dizaine d’années les néo-conservateurs américains revisitent la vieille politique américaine de partenariat positif avec la Chine inaugurée par Nixon en 1972. Dans nombre de cercles, la tendance est maintenant clairement à freiner la montée en puissance de la Chine. Elle s’oppose à celle de Kissinger et Brezinski visant à développer les coopérations les plus larges possibles avec Pékin. A Taïwan on observe avec attention un possible changement qui placerait l’Île à un moins haut degré de priorité de sécurité à Washington.

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La possibilité d’un conflit armé de grande ampleur entre la Chine et les États-Unis est le dernier sujet à la mode dans nombre de médias occidentaux. S’il est une population au cœur de la relation sino-américaine sensible à cette question c’est bien celle de Taïwan.

Ayant articulé leur projet politique de relations avec la Chine autour de l’improbable hypothèse du maintien du « statuquo », Tsai Ing-wen et son gouvernement sont d’autant plus attentifs à la montée des tensions entre la Chine et les États-Unis que la variable de la relation entre Pékin et Washington est un des points clés de la sécurité de l’Île face aux pressions militaires chinoises.

Il est vrai que, dans le Détroit, l’équilibre instable repose en partie sur la garantie du Taïwan Relations Act voté par le Congrès contre les velléités de reconquête de l’Île par le Continent. En réalité dans l’Île, face aux impatiences de Pékin, nombre de politiques, notamment parmi ceux en quête d’une identité séparée savent bien que la stabilité ne tient qu’au fil ténu d’une dissuasion américaine de posture.

Chacun voit bien que la crédibilité de ce montage repose sur l’alchimie déjà ancienne et complexe où se mêlent la garantie militaire du Pentagone et l’espoir que la Chine et les États-Unis parviendront à s’accommoder l’un à l’autre dans la zone du Pacifique occidental où chacun revendique un droit d’influence stratégique.

Le moins qu’on puisse dire est qu’aujourd’hui, alors que la Chine nie à Washington la moindre légitimité stratégique dans ce qu’elle considère être sa zone d’intérêt stratégique direct dans les espaces des mers de Chine de l’Est et du Sud, ce fragile équilibre articulé autour de la puissance militaire américaine, jusque là tempéré par l’aspiration à un apaisement entre Pékin et Washington, a volé en éclats.

Graves discordes entre Washington et Pékin.

La montée des tensions en mer de Chine du sud, la somme des rivalités commerciales, les accusations de vol de propriété intellectuelle, le flottement des pays de l’ASEAN hésitant affronter la Chine, les volte-face du président philippin et, dernièrement, les sanctions imposées par Washington – une première - à la compagnie chinoise Dandong Hongxiuang Industrial Development accusée d’enfreindre l’embargo infligé à Pyongyang, sont autant de facteurs contribuant à mettre en péril les équilibres stratégiques de la région et, partant, la fragile construction taïwanaise du statuquo, pierre angulaire de la politique chinoise de Tsai Ing-wen.

Cinq années après son lancement par Obama et Hillary Clinton, la bascule vers l’Asie de la puissance militaire américaine, appuyée par le projet commercial du Trans Pacific Partnership, se heurte à la prépondérance chinoise qu’elle devait canaliser. Pour compliquer le tout, imitant une vieille tradition d’autres membres du Conseil de sécurité tels que les États-Unis ou la Russie [1], Pékin refuse de se plier au verdict de la Cour Permanente d’Arbitrage de La Haye dans ses différends avec Manille en mer de Chine du sud.

Au contraire, le Politburo multiplie les déclarations martiales, annonce le renforcement de sa flotte de guerre autour des Paracel et des Spratly, poursuit l’installation de missiles sur les îlots et, moins d’une semaine après le verdict de La Haye, fait survoler l’Est des Spratly par un bombardier stratégique H-6K, version améliorée du soviétique TU-16 de la guerre froide. Simultanément, le régime répète ses accusions d’ingérence américaine dans ses affaires intérieures et réfute avec vigueur le principe de « compétence universelle » mis en avant par la justice américaine pour condamner la compagnie Dandong et lui infliger des sanctions.

A Taïwan l’inquiétude monte face à ce que certains considèrent comme une rupture de l’équilibre stratégique au profit de la Chine, véritable menace à la sérénité de l’environnement direct de Taipei et au statuquo, pilier de sa politique chinoise. Reflétant cette préoccupation, le 29 septembre, le Taipei Times a publié une analyse de Simon Tisdall éditeur adjoint du Guardian dont le titre sous forme de question ne pouvait qu’alerter la classe politique taïwanaise : « Une guerre entre la Chine et les États-Unis est-elle inévitable ? »

Le « piège de Thucydide ». Un chemin vers la guerre.

Parue dans Guardian le 25 septembre, l’article a été repris dans plusieurs publications occidentales peut-être avides d’augmenter leur tirage par une référence catastrophique à un conflit possible entre les deux puissances nucléaires rivales, membres permanents du Conseil de sécurité.

A Taïwan, l’intérêt portée à la réflexion du Guardian est encore augmenté par le fait que l’article commence par une évocation des pressions que Pékin fait subir à Tsai Ing-wen dont la popularité a chuté de 25% depuis son élection triomphale en janvier dernier. Un effritement que Tisdall attribue à l’ombre portée de la Chine limitant considérablement la marge de manœuvre de l’exécutif indépendantiste surveillé comme l’huile sur le feu par le politburo chinois.

La suite de l’article a de quoi alarmer les Taïwanais puisqu’il spécule sur la rupture des équilibres, conséquence de la faiblesse américaine et un glissement vers la guerre.

Tisdall exprime deux intentions :

1) Discréditer le président Obama accusé de mollesse pour n’avoir pas réussi à dissuader la démonstration de puissance de Pékin en mer de Chine du sud ; d’avoir échoué à stopper les explosions nucléaires nord-coréennes ; et manqué l’occasion de proposer une alternative crédible aux vastes projets commerciaux chinois le long de l’ancienne route de la soie ;

2) Souligner que la Chine devient un acteur avec lequel il est de plus en plus difficile de trouver un terrain d’entente et qui refuse de jouer « selon les règles internationales » qu’elle transgresse, non seulement par ses pressions sur Taïwan et ses provocations en mer de Chine du sud, mais également par nombre de ses attitudes commerciales ailleurs dans le monde.

La conclusion est limpide et coule de source. Renvoyant une fois encore à Thucydide dont l’évocation des causes du déclenchement de la guerre du Péloponnèse obsède les Centre de recherche américains, elle spécule que, comme Sparte avait défié l’impérialisme d’Athènes, la Chine puissance montante du Pacifique occidental défiera militairement son rival américain en déclin qui, pour garder son rang, ne pourra pas éviter l’affrontement.

Selon Tisdall, récemment la RAND corporation aurait même étudié un scénario de conflit. L’étude concluait qu’une guerre sino-américaine serait catastrophique pour les deux. Mais pour stopper la montée en puissance irrésistible de la Chine, elle « suggérait » une attaque préventive américaine au cas où, dit l’étude, « la guerre serait inévitable ».

Le pessimisme du Guardian et de certains cercles américains spéculant sur la menace militaire chinoise rappelle celui des années 80 quand le Pentagone et la CIA anticipaient la mainmise soviétique sur les États-Unis à partir de l’Amérique Centrale et l’invasion de l’Europe par les forces du pacte de Varsovie se ruant vers l’Ouest par la trouée de Fulda. Mais tout le monde n’a pas la même vision univoque que celle de l’éditeur adjoint du Guardian.

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Les priorités chinoises sont internes.

Le 1er octobre le Parti a célébré le 67e anniversaire de la République populaire. La photo montre les 7 membres du Comité Permanent du politburo. En amont du 6e plenum du Parti (octobre) et du 19e Congrès (novembre 2017), la direction politique du régime doit affronter de vastes défis internes.

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Le 30 septembre, un article du South China Morning Post publié à la veille du 67e anniversaire de la proclamation de la République Populaire faisait le point des fragilités politiques et socio-économiques du régime chinois et laissait entendre que la première préoccupation du Politburo n’était pas impériale, mais de politique intérieure.

Analysant les vents contraires, Zhang Lifan, ancien sociologue de l’Académie des Sciences Sociales cité dans l’article, rappelait le vaste éventail des mécontents (classe moyenne frustrée, migrants, écologistes, membres du Parti hostiles à la sévérité de la lutte anti-corruption, entrepreneurs privés déçus par la prévalence des conglomérats publics et des banques d’État) qui, dit-il, n’attendaient qu’un faux pas de Xi Jinping pour l’affaiblir.

Contrairement à Tisdall, Cary Huang l’auteur de l’article, analyste très introduit dans la nébuleuse politique du Parti, estime que le raidissement du régime après le jugement de la Cour Permanente d’Arbitrage, ne suffira pas à effacer les conséquences à moyen et long terme de ce qu’il considère être le pire échec diplomatique chinois en 60 ans.

…et des marges d’apaisement existent.

Enfin, dans un contexte où, contrairement à la mouvance néo-conservatrice américaine, la Chine ne cherche pas l’affrontement direct, mais se contente de « tester » la détermination de la Maison Blanche à maintenir ses positions dans le Pacifique occidental, tandis qu’elle développe une vaste stratégie d’influence et de contournement articulée autour de ses capitaux en appui de son commerce et ponctuée par ses projets d’infrastructures de transport et d’énergie, Walter C.Clemens, professeur associé à Harvard, prenait déjà l’été dernier le contrepied la théorie du « piège de Thucydide », dans un article paru simultanément dans le Japan Times et « The Diplomat ».

Fustigeant le caractère trompeur et dangereux d’une théorie auto-réalisatrice articulée à l’histoire très ancienne de la vieille Europe, il rappelait que les compétitions entre une puissance établie et sa rivale en développement rapide, n’avaient pas toujours dégénéré en conflit ouvert. En réalité, rares furent les enchainements inévitables dans les affaires du Monde. Les Anglais, dit-il, sont restés alliés des Américains et l’Union Soviétique, épouvantail de l’après-guerre, s’est évaporé sans combat.

Ajoutons à cela qu’en mer de Chine du sud, par exemple, compte tenu des divergences internes de la machine politique chinoise sur cette question (lire à ce sujet Mer de Chine du sud. Plongée dans la pensée paradoxale chinoise), il ne devrait pas être bien difficile, à la fois d’éviter une montée aux extrêmes que ni Washington ni Pékin ne souhaitent et de sauver la face du régime chinois pour que l’abandon de sa revendication improbable sur toute la mer de Chine du sud n’apparaisse pas comme un reculade face son opinion publique.

Hormis ce point très dur de la controverse sur lequel il serait en effet dangereux de céder, des marges de manœuvre existent. Les solutions sont dans les tiroirs depuis plus de 10 ans.

Mais elles sont restées lettre morte à la suite des rivalités d’intérêts et des suspicions générées par l’intransigeance nationaliste chinoise. Les riverains pourraient par exemple accepter le partage des ressources contre des financements chinois – une voie en cours d’exploration par Pékin et le nouveau Président philippin Duterte -, tandis que le Congrès américain surmonterait ses réticences et ferait le geste de ratifier la convention sur le droit de la mer [2]. Le Pentagone pourrait, quant à lui, renoncer à ses patrouilles de surveillance au-dessus des ZEE chinoises et Pékin s’engager à cesser la militarisation des îlots.

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Pour finir, rappelons que la situation des relations sino-américaines échappe au schéma binaire de la guerre froide ou à ceux des dernières grandes déflagrations mondiales attisées par des idéologies irréductibles animées par la haine et l’irrésistible pulsion d’en découdre. S’il est vrai qu’en Chine et aux États-Unis les peuples expriment parfois un nationalisme explosif, celui des dirigeants est contrôlé. En dépit des querelles et rivalités dont le nombre et la sévérité augmente, ni la Maison Blanche ni Pékin ne souhaite que les tensions dérapent.

Coopérations, échanges et soucis d’apaisement.

Rencontre entre deux capitaines de corvette, l’un américain à gauche l’autre chinois, le 8 août dernier à Qingdao lors de l’escale du Destroyer lance missiles Benfold, moins d’un mois après le jugement très défavorable à Pékin de la Cour Permanente de La Haye.

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En Chine après l’arbitrage défavorable à Pékin de la Cour de La Haye, le 12 juillet dernier, les excès du nationalisme anti-américains des réseaux sociaux ont été mis sous le boisseau par la censure. Récemment, un article du Global Times piloté par le régime faisait l’éloge du président Obama sur le départ.

Lorsqu’à Hangzhou le président américain a du subir l’affront d’une arrivée ratée, sans tapis rouge, quittant Air Force One par une porte technique, il a d’abord blâmé avec raison les excès autoritaires et intrusifs de la sécurité présidentielle américaine.

Alors que les médias étalent sans cesse les frictions entre les deux, la relation bilatérale est marquée par une longue liste de coopérations y compris technologiques indispensables à la modernisation du pays, tandis que les échanges commerciaux dont l’ampleur considérable (près de 600 Mds de $ en 2015) ne faiblit pas, créent une forte dépendance réciproque, moteur de l’économie chinoise et ballon d’oxygène des industries américaines qui délocalisent leur production avant de la réimporter aux États-Unis, une des causes du déficit commercial américain évalué à 365 Mds de $ en 2015.

Parallèlement, en détenant toujours 1241 Mds de $ de bonds du trésor, soit 30% de la dette extérieure américaine, la Banque de Chine soutient le Dollar et, par la même occasion freine la hausse de sa devise, favorisant ainsi ses exportations.

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Parmi les coopérations, la plus étonnante et la plus visible est peut-être celle entre les deux marines de guerre. Récemment elle a été utilisée par le Régime comme un démenti aux analyses alarmistes spéculant sur le caractère inéluctable d’un conflit. Le 12 juillet 2016, le jour même du jugement de La Haye, le Quotidien du Peuple publiait 7 photos en pleines pages des navires de combat chinois participant à l’exercice RIMPAC 2016.

Certaines des vues étaient prises dans le port de Pearl Harbor, quelques unes à bord du porte-avions américain John Stennis, d’autres encore lors d’exercices de la marine chinoise en route pour Hawaï.

Les échanges à ce niveau inédit entre les flottes de combat ne sont certes pas une garantie que les crises potentielles dans le Détroit de Taïwan ou dans les parages de la Corée du Nord ne dégénèreront pas. Mais en multipliant les dialogues entre responsables à tous les niveaux des deux marines, ils contribueront peut-être à réduire la part d’irrationnel du « piège de Thucydide ».

Note(s) :

[1Le cas le plus emblématique que Pékin ne cesse de souligner est le refus américain de se plier à une décision de la Cour datant de 1986 en faveur du Nicaragua qui accusait avec raison les États-Unis d’apporter leur soutien aux rebelles des « Contra » dans leur entreprise de minage des ports du pays. Un autre plus récent concerne le rejet par la Russie d’une condamnation de la Cour après la saisie en 2013 par la marine russe d’un navire de « Greenpeace.

[2Le Congrès refuse de ratifier la convention, d’abord parce que le législatif américain a toujours exprimé une grande méfiance à l’égard des traités ou conventions dont l’application ne repose que sur la seule bonne volonté des signataires et, corollaire, parce que la convention de Montego Bay n’est pas contraignante et propose des clauses de réserves qui, dans le cas de la mer de Chine du sud, permettent à Pékin de s’exonérer des arbitrages qu’elle réfute sur les questions de souveraineté.

 

 

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