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›› Chine - monde

La Chine, l’Europe, l’Allemagne et la France

Le 24 juin, la Commission Européenne et la Haute Représentante pour les Affaires étrangères de l’UE adressaient une note conjointe au Conseil européen et au parlement dans laquelle ils appelaient à la cohésion des États membres face à la Chine afin de mieux promouvoir les intérêts de l’Europe et de ses citoyens.

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Au fil des articles parus depuis février 2016, QC avait signalé le durcissement de la relation Chine – Europe autour de la guerre de l’acier et du statut de l’économie de marché réclamé par Pékin, mais que les Européens sont aujourd’hui de plus en plus réticents à lui accorder, en dépit de la date butoir du 11 décembre 2016 à laquelle, selon Pékin, le statut devrait lui être attribué automatiquement en vertu de l’article 15 du protocole d’accès de la Chine à l’OMC.

Le point d’orgue du raidissement européen face à Pékin, coïncidant avec le Brexit, fut, le 24 juin dernier, une note politique conjointe de la Commission de l’UE et de la Haute Représentante pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité adressée au parlement et au Conseil européen (Sommet des chefs d’État).

Après une longue partie décrivant les opportunités et les espoirs de la relation Chine – Europe, le texte qui insistait sur la nécessaire solidarité des membres de l’UE à l’international, pointait du doigt l’évolution et la puissance des stratégies extérieures chinoises et affirmait la nécessité pour les pays de l’Union d’agir « en un bloc cohérent et efficacité » afin, disait le texte, « de promouvoir les intérêts de l’Europe et de ses citoyens ».

S’il est une relation qui symbolise cette évolution ayant migré de la confiance réciproque entre Pékin et l’UE vers une crispation suspicieuse c’est bien celle entre la Chine et l’Allemagne. Ancien allié privilégié de Pékin en Europe, Berlin, considéré par la Chine comme le pays le plus utile à sa montée en gamme technologique, s’est récemment plusieurs fois cabré pour tenir à distance les risques de transferts de technologies acceptés sans retenue pour des raisons commerciales ou/et financières [1].

« Chine – Allemagne, la lune de miel est finie », titrait le 16 novembre dernier un article de Klaus Larres dans The Diplomat. Historien allemand professeur de sciences politiques, expert des rapports Chine – Europe ayant enseigné la relation transatlantique aux États-Unis et en Grande Bretagne, Larres note que Berlin, ayant pris conscience que le partenaire économique chinois est devenu un sérieux rival sur la scène internationale, a « brutalement mis fin » à sa longue relation privilégiée avec la Chine.

Pour autant, dans son article, Larres interroge la pertinence de la stratégie allemande, brutale et sans nuance. Constatant que, lors de sa récente visite en Chine, le ministre allemand de l’économie allemand Sigmar Gabriel avait mis de l’huile sur le feu au lieu de tenter un adoucissement diplomatique, l’auteur se demande si, face au monstre économique et commercial chinois, une telle brusquerie est à la fois sage et visionnaire.

Enfin chacun aura noté que le durcissement de l’ancien partenaire privilégié de Pékin en Europe s’est produit au moment même où le ministre des Affaires étrangères français effectuait en Chine un voyage placé sous le sceau de la bonne entente et de la coopération fructueuse et confiante dans l’avenir.

Le moins qu’on puisse dire est que la conjonction de ces deux stratégies opposées jette un doute sur la cohésion de l’UE qui, une fois de plus, se présente hésitante et divisée face à la Chine.

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La relation Chine – Allemagne face au protectionnisme.

Au cours de son voyage en Chine Sigmar Gabriel, vice-chancelier allemand et ministre de l’économie et de l’industrie a exprimé sans trop de nuances aux Chinois ses reproches de relations très déséquilibrées et les craintes d’une captation par la Chine des technologies qui font la puissance des exportations allemandes. Il a cependant modéré ses propos lors d’une conférence de presse à Chengdu le 3 novembre.

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La crise entre Berlin et Pékin doit être remise dans la perspective de la montée, en Allemagne comme en Europe, sur fond d’une série de scrutins menaçant les partis traditionnels, de ce que nombre d’analystes appellent des « populismes », en réalité le sentiment d’une part importante des Européens et des Allemands sous la pression de la plus importante vague de migrants allogènes depuis 1945, d’être les perdants de la mondialisation libérale.

Face à la Chine, cette angoisse agitée par les hommes politiques européens pris dans les tumultes des compétitions électorales, est objectivement attisée par une série de faits incontestables dont la synthèse cumulée donne l’impression d’une relation sino-européenne déséquilibrée au profit de l’industrie et de l’économie chinoises tirant largement profit du libre commerce pour s’approprier des technologies sensibles tout en limitant l’accès à plusieurs secteurs de son marché.

Alors que, selon l’OCDE, les intérêts chinois jouissent en Occident d’une vaste liberté de manœuvre, la Chine est, de loin, la puissance industrielle la plus fermée de la planète où les marchés publics sont rarement attribués à des groupes étrangers. Les péripéties des récentes tensions entre Pékin et l’Allemagne furent l’expression de ces rancoeurs sous-jacentes.

La déclaration intempestive de l’Allemand Günther Öttinger (63 ans), commissaire européen pour l’énergie connu pour ses gaffes verbales qui, en octobre dernier, avait, lors d’un colloque avec des chefs d’entreprise à Hambourg, traité les Chinois de « bridés », « peignés au cirage noir », n’a pas contribué à alléger l’ambiance. L’accélération spectaculaire des investissements chinois en Allemagne a fait le reste.

Larres rappelle à ce sujet que, durant les 6 premiers mois de 2016, les capitaux chinois ont fait l’acquisition de plus de 40 sociétés allemandes et pris des parts minoritaires dans 6 autres. Au point que 17% des investissements chinois en Europe l’ont été en Allemagne. La percée s’inscrit dans un élan global ayant doublé l’empreinte économique et commerciale chinoise à l’étranger depuis 2014 (lire notre article Investissements chinois à l’étranger. Arrêt sur image).

77 Mds $ de capitaux chinois on été investis en Europe – dont 12,1 Mds de $ en Allemagne (15%), entre janvier et août 2016, soit 8 fois plus que durant le premier semestre 2015). Cette dynamique a fait que l’Allemagne est, après 2015, devenue la première destination des capitaux chinois en Europe, devant le Royaume Uni. Fait important, la plupart des entreprises ciblées par la vague chinoise sont des fleurons de technologies de pointe ou considérées comme telles par la classe politique allemande.

Lire aussi :
- Sommet Chine – Europe. Quelques avancées dans un climat de défiance
- Chine – Europe. La guerre de l’acier et le statut d’économie de marché
- Chine – Europe. Bruxelles se cabre en plein « BREXIT »

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Échéances électorales et méfiances anti-chinoises.

Le siège de la société Aixtron à Herzogenrath au nord d’Aix la Chapelle. Le gouvernement allemand a attisé la colère chinoise en revenant sur l’autorisation de sa reprise par le fond d’investissement chinois, Fujian Grand Chip Investment Fund LP. La nouvelle selon laquelle la marche arrière aurait été provoquée par une information de la CIA retransmise à la société allemande par la puissante commission américaine sur les investissements étrangers a contribué à enflammer l’exaspération chinoise.

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Trois affaires récentes ont alimenté la polémique dans les médias allemands et en Europe. Celui du fabricant de robots Kuka racheté par Midea le géant Chinois de l’électroménager, d’autant plus étonné par le raidissement allemand, que l’offre chinoise très avantageuse n’avait pas de concurrence, en dépit des appels de Sigmar Gabriel pour un investisseur européen. Lire notre article La nouvelle agressivité des groupes chinois à l’international mise en perspective

Un autre épisode a fait monter la tension d’un cran suite à une valse hésitation des autorités allemandes. Après avoir donné son accord à l’achat du fabricant de puces électroniques high-tech Aixtron [2] par le Chinois Fujian Grad Chip Investment Fund, le gouvernement allemand est revenu sur son autorisation.

Facteur aggravant pour Pékin, la marche arrière allemande aurait fait suite à une mise en garde de la CIA sur l’appropriation par la Chine d’une technologie utilisée par l’industrie de défense. Le recul allemand a été d’autant plus mal compris à Pékin qu’Aixtron vend essentiellement ses produits en Asie et en Chine. Immédiatement, l’intrusion supposée de la Centrale du renseignement américaine dans la transaction a été interprétée par Pékin comme une manœuvre politique destinée à freiner la concurrence chinoise dans le secteur des microprocesseurs dominé par les Américains.

Alors que Sigmar Gabriel faisait d’autres déclarations soupçonneuses à propos du rachat d’un fabricant de lampes LED, filiale du géant allemand du secteur Osram, lui-même peut-être dans le collimateur des Chinois, sa visite tombée au milieu de campagnes électorales allemandes marquées par la montée des mouvances anti-immigration attachées à une meilleure surveillance des frontières et à la protection du patrimoine technologique, fut l’occasion d’une série de discours très peu diplomatiques.

Les thèmes abordés pointèrent l’absence de réciprocité dans les relations commerciales, l’exigence de respect des règles du commerce international, les pratiques commerciales déloyales et les intentions politiques cachées de l’accélération des investissements, leviers de l’influence stratégique chinoise.

En contrepoint, Shi Mingde l’ambassadeur de Chine à Berlin qui réagissait aux controverses autour de la firme Aixtron, signait un article dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung regrettant la montée du protectionnisme en République Fédérale, accusant l’Allemagne de ne pas se comporter en véritable partenaire commercial.

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Angela Merkel en première ligne avant S Gabriel.

En juin 2016 lors de son 9e voyage officiel en Chine, Angela Merkel avait déjà durci le ton face à son homologue Li Keqiang.

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Les tensions perceptibles lors du voyage de Gabriel avaient déjà percé la surface des discours diplomatiques en juin à l’occasion du 9e voyage officiel en Chine d’Angela Merkel : « Notre point de vue est que les groupes étrangers opérant en Chine devraient avoir accès aux marchés publics chinois et que les marques, les licences et les données confidentielles des industries étrangères devraient être protégées », avait-elle martelé lors d’un discours en présence de Li Keqiang.

En réalité, les nombreux participants au voyage, membres du gouvernement allemand, remarquèrent assez vite qu’au-delà des efforts pour contenir les déclarations dans les limites d’une amitié diplomatique de bon aloi, l’ambiance contrastait avec la chaleureuse convivialité des visites précédentes.

Créant le sentiment d’un dialogue de sourds, écoutant sans réagir les critiques de Berlin sur le déséquilibre des échanges marqués par l’absence de réciprocité et dominés par la crise des surplus d’acier et d’aluminium avec l’UE et les États-Unis, les Chinois ne paraissaient cependant motivés que par le seul souci d’obtenir de Bruxelles la reconnaissance du statut d’économie de marché.

Une requête à laquelle Angela pressée par son électorat et les manifestations des aciéristes européens, n’avait pas pu répondre. L’ambiguïté nouvelle de Merkel sur le sujet signale un flottement de l’Allemagne. Initialement favorable avec Londres à l’octroi du statut à la Chine, elle y est aujourd’hui, élections obligent, plutôt réticente.

Un incident particulier avait à la fois traduit la nervosité chinoise et une affirmation de puissance, manque de courtoisie, à la limite de l’arrogance, très inhabituelles dans un événement de ce type. Lors de la conférence de presse conjointe au Grand Palais du Peuple, à une question adressée par un journaliste à la Chancelière sur la mer de Chine du Sud, Li Kekiang lui brûla la politesse et prit sur lui de répondre lui-même, terminant son intervention en précisant que la question était close. Mais Angela réagit sèchement en précisant qu’elle devait répondre elle-même à une question qu’on lui avait posée.

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Les bonnes grâces de Jean-Marc Ayrault.

Jean-Marc Ayrault était en Chine en même temps que Sigmar Gabriel. La bonne ambiance de son voyage stimulée par les promesses chinoises d’ouvrir les marchés publics aux entreprises étrangères et les perspectives de coopérations à l’export avec le nucléaire chinois, contrastait fortement avec celle plutôt tendue du voyage du ministre allemand.

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En très fort contraste avec la visite de Sigmar Gabriel, celle de Jean-Marc Ayrault au même moment (du 29 octobre au 1er novembre) à l’invitation du MAE chinois Wang Yi eut, en revanche, lieu dans une ambiance bien plus positive.

Elle fut notamment placée sous les auspices favorables de la coopération nucléaire conjointe à l’export matérialisée par le projet de construction à Hinkley Point au Royaume Uni de 2 réacteurs EPR auquel Theresa May, un moment hésitante après le Brexit, à donné son accord le 15 septembre 2016.

Baignant dans un contexte diplomatique et industriel très positif, le voyage du MAE français s’inscrivait à contre courant des durcissements de l’UE et de Berlin. A l’appui de sa stratégie et pour justifier le parti-pris de confiance, le Quai d’Orsay commentait la visite en insistant sur les engagements de Wang Yi selon lequel les marchés publics chinois seraient progressivement ouverts à la concurrence étrangère. Alors que Berlin argumentait sur les faits, Paris préférait spéculer sur les promesses. Lire aussi Fragilités d’EDF et d’AREVA. Le nucléaire franco-chinois menacé par les écologistes et l’après Brexit

Le nouvel élan de coopération franco-chinoise ayant des intentions à l’export sera appuyé par un fonds d’investissement commun de « quelques centaines de millions d’Euros » créé par la France a annoncé Jean-Marc Ayrault.

Pour l’heure, au-delà des deux réacteurs EPR, la Chine compte sur la caution politique et technologique française pour faire homologuer en Grande Bretagne son réacteur pilote Hualong 1, réplique de l’EPR, premier réacteur nucléaire de conception complètement nationale, débarrassé des contraintes du droit de propriété et futur concurrent sur le marché mondial des réacteurs russes, américains, canadiens et français. Le projet dont le Chinois CGN (China General Nuclear Power Corporation) détiendra 66,5% des parts sera examiné prochainement dans le cadre d’un appel d’offre des pouvoirs publics britanniques.
Lire notre article Coopération nucléaire franco-chinoise : une page se tourne

L’importance que Pékin accorde aux résultats de cette compétition industrielle et commerciale qui ferait pénétrer l’industrie nucléaire chinoise sur le marché nucléaire occidental s’est exprimée par le commentaire de l’Ambassadeur de Chine à Londres, Liu Xiaoming sur le site internet de l’ambassade : « Le gouvernement britannique a plusieurs fois répété qu’il accueillerait favorablement la technologie de Hualong 1 et que la commission d’étude de l’offre chinoise effectuera son travail en toute indépendance et selon les procédures internationales. L’ambassadeur exprimait aussi ses espoirs que la procédure sera sans heurts et que « Hualong 1 prendra pied au Royaume Uni, aussi vite que possible. »

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Quelle stratégie chinoise de l’UE ?

Au moment où les stratégies chinoises de l’UE et de l’Allemagne semblent se durcir dans un cadre européen suggérant que la meilleure approche de la Chine devrait être cohérente et groupée, le cavalier seul franco-anglais sur un projet aussi vaste et aléatoire que l’entrée du nucléaire chinois sur le marché de l’énergie britannique, apparaît comme un quitte ou double risqué. Il pose une fois de plus la question de la cohérence européenne et de la meilleure manière d’aborder la relation avec la Chine.

Si on accepte d’envisager que la Chine parviendra à réaliser tout ou partie de ses projets high-tech énoncés par « 中国 制造 - made in China 2025 » dont la maturité qualitative a été fixée en 2049, année du centenaire de la naissance de la RPC, la sagesse commanderait de considérer que la meilleure stratégie de relations avec un partenaire incontournable, serait à la fois la cohésion de l’UE et une approche à mi-chemin entre les élans coopératifs français et la brutalité de Sigmar Gabriel.

En somme, un moyen terme entre la confiance naïve et le clair rappel périodique de la nécessité de respecter les règles de droit et de réciprocité commerciale. Une manière pour les Français et les Européens d’installer un partenariat fructueux sans y laisser trop de plumes technologiques. Et pour Areva et EDF de ne pas nourrir une concurrence chinoise risquant de les tuer sur un terrain où les couteaux sont déjà tirés.

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Note de Contexte

La Chine et l’économie de marché.

Le 12 mai 2016, constatant les réactions des aciéristes européens à l’invasion des aciers chinois à prix cassés, le parlement européen a voté contre l’octroi du statut d’économie de marché à la Chine, sans attendre la proposition que préparait la Commission, rendue publique le 24 juin.

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Faut-il accorder à la Chine le statut d’économie de marché ?

Au sein de l’UE, ramené à ses points concrets visibles, le débat actuel, tant politique que commercial, concerne 2 points : 1) La définition de l’économie de marché, la réalité de son observance par la Chine et les implications économiques sur l’UE d’une reconnaissance du statut ; 2) la pertinence de l’automaticité à la date du 11 décembre 2016 exprimée par l’article 15 du protocole d’accès de la Chine à l’OMC.

En arrière plan, le raidissement adverse de l’UE, notamment de son parlement et les nouvelles hésitations de l’Allemagne, dans le contexte de freinage de l’économie européenne et de chômage, sur fond de montée des sentiments protectionnistes attisés par le phénomène migratoire.

L’affaire est importante puisque la Chine est le 2e partenaire commercial de l’UE après les États-Unis avec un volume d’échanges de 520 Mds d’€ et que la part européenne du marché chinois est passée de 7% en 2002 à 15% en 2015.

En même temps, la Chine a en 2015 été de très loin la principale cible des enquêtes anti-dumping par les instances européennes, (document PDF), avec 53 condamnations contre 6 en moyenne pour les autres pays (Indonésie, Taïwan, Russie, Inde, Malaisie). Les secteurs concernés furent les cycles, les céramiques, les produits chimiques, les panneaux solaires et les aciers.

Les critères d’une économie de marché

S’agissant des critères du marché, la Chine ne se conforme qu’à une seule des 5 règles (celle du respect du marché des changes) établies par l’UE en l’absence d’une définition universelle par l’OMC.

1) Les prix proposés par les entreprises sont arrêtés en tenant compte de l’offre et de la demande, sans intervention significative de l’État ;

2) Les documents comptables des entreprises ayant fait l’objet d’audits indépendants doivent être accessibles et répondre aux normes internationales ;

3) L’état central ne doit pas intervenir dans les coûts de production et dans les finances des entreprises ;

4) Les lois sur le dépôt de bilan et la propriété doivent garantir aux intervenants sécurité juridique ainsi que stabilité financière, industrielle et commerciale ;

5) Les opérations de change doivent être exécutées au taux du marché.

Comme le souligne la Fondation Robert Schumann dans une étude d’avril 2016, « la non-conformité de la Chine aux critères européens d’une économie de marché est reconnue par l’ensemble des acteurs économiques et politiques. »

Conséquences possibles d’une reconnaissance

Alors que, selon la fondation Schumann, quelques 250 000 emplois seraient directement concernés par la levée des mesures antidumping spécifiquement liées à la question de l’économie de marché de la Chine, une étude du Economic Policy Institute également citée par la fondation, datée de septembre 2015 signée de Robert E. Scott (Docteur en économie de Berkeley et Xiao Jiang, professeur assistant d’économie à l’université privée de Denison (Granville, Ohio, États-Unis) prévoit que l’attribution sans précautions du statut d’économie de marché à la Chine aurait les conséquences directes suivantes :

1) Augmentation des importations venant de Chine et accroissement du déficit commercial de l’UE évalué entre 71 et 142 Mds de $, ayant une conséquence directe sur le PIB qui serait réduit de 1 à 2% (114 à 128 Mds de $) dans les 3 à 5 ans.

2) Destruction de 1,7 à 3,9 millions emplois et menace sur au moins 537 millions autres. Les secteurs les plus fragilisés seraient les textiles, les produits électroniques, l’optique, la métallurgie et la grande distribution. Parmi les pays les plus touchés : l’Allemagne, l’Italie, le Royaume Uni et la France, suivis des Pays Bas et des Pays d’Europe Centrale et Orientale.

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Si tous les pays s’accordent sur la probabilité de conséquences adverses d’une reconnaissance du statut d’économie de marché à la Chine, il n’y pas d’unanimité sur leur ampleur.

Surtout, rares sont les acteurs qui nient les avantages d’une relation apaisée avec Pékin dont une des premières conséquences positives fut la contribution chinoise de 10 Mds d’€ au plan d’investissement dit « plan Junker » de 315 Mds d’€ porté par la Commission depuis juillet 2015.

Cécilia Malmström rappelle en outre que 3 millions d’emplois en Europe dépendent de la vente de biens et services à la Chine, elle-même destinataire de 127 Mds d’€ d’investissements européens (stock), contre seulement 75 Mds d’€ d’investissements Chinois en Europe.

Quant aux flux annuels, ils restent encore supérieurs dans le sens Europe – Chine avec 6 Mds d’€ au cours du premier trimestre 2016, contre seulement 4 Mds d’€ dans le sens Chine – Europe. (Un accord bilatéral d’investissements est en cours de négociations depuis 2012. Il achoppe précisément sur la réciprocité et la sécurité juridique à long terme des investissements en Chine).

Importante pour l’Europe, la relation l’est également pour la Chine qui exporte annuellement vers le Vieux Continent plus de 300 Mds d’€ de biens divers et y trouve des gisements de hautes technologies nécessaires à sa modernisation.

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C’est dans ce contexte que, le 11 décembre 2016, la Chine pourrait prendre au pied de la lettre l’article 15 du protocole d’accès à l’OMC pour se déclarer par automaticité « économie de marché » en dépit du désaccord du parlement et de la majeure partie des juristes européens considérant que le protocole OMC ne prévoit pas l’octroi automatique du statut d’économie de marché et que la charge de la preuve de sa conformité aux critères européens continuera à incomber à la Chine.

Compte tenu de la faible cohésion des États membres [3] et des inévitables controverses à venir générées par la différence d’interprétation de l’Art 15, la Direction générale des politiques extérieures du parlement européen a, en décembre 2015, suggéré 4 hypothèses d’action également évoquées par Cecilia Malmström.

4 hypothèses.

1) La Chine n’acquiert pas le statut d’économie de marché de manière automatique et l’Union européenne peut continuer à utiliser sa méthodologie appliquées aux pays « analogues » [4]. Cette interprétation estime que la conformité de la Chine aux 5 critères européens d’une économie de marché est la condition d’une attribution du SEM et d’un changement de méthodologie.

En agissant ainsi, l’Union ferait primer ses intérêts politiques et économiques, mais prendrait un risque juridique, puisqu’un recours à l’OMC laisserait à une instance tierce le soin de décider quels instruments de défense commerciaux elle devrait mettre en œuvre.

2) La Chine n’obtient pas automatiquement le statut mais, pour réagir au dumping, l’UE cesserait d’utiliser la méthode de pays analogue et créerait un instrument parallèle ad-hoc de défense commerciale ayant pour effet de réduire son ouverture aux produits chinois.

3) La Chine obtient le statut et la possibilité de traiter la Chine comme une non-économie de marché (NEM) disparaît. Là aussi Bruxelles créerait un instrument parallèle ad-hoc de défense commerciale ayant pour effet de réduire son ouverture aux exportations chinoises.

Cependant la Direction politique étrangère du parlement européen estime « qu’octroyer le statut d’économie de marché à la Chine est juridiquement non obligatoire, politiquement inenvisageable et économiquement téméraire. »

4) Le statut d’économie de marché est déterminé au cas par cas, selon les secteurs/entreprises concerné(e)s. Si des distorsions de prix sont avérées, des ajustements peuvent avoir lieu.

Toutefois, cette méthode est actuellement contestée par plusieurs partenaires commerciaux. La section de règlement des différends de l’OMC doit rendre une décision à ce propos.

Ce scénario revient à renvoyer le problème du cadre général au cadre spécifique. Étant donnés les délais nécessaires des déterminations au cas par cas, et compte tenu des limites juridiques de cette option, l’hypothèse du cas par cas paraît peu envisageable.

Note(s) :

[1Le transfert des secrets technologiques est en général accepté par les compagnies occidentales en échange d’une participation chinoise à leur capital ou/et de leur accès au marché chinois.

[2Aixtron cotée à Francfort et au Nasdaq fabrique des microprocesseurs à haute performance composés de plusieurs très fines couches de silicium obtenues par la technique complexe dite du « dépôt chimique en phase vapeur – DCPV - »

[3Certains, très impliqués en Chine craignent des représailles commerciales en cas de mesures européennes trop sévères. « Les États membres », dit la Fondation Schumann « ne sont pas tous concernés à la même hauteur : 5 000 entreprises allemandes sont enregistrées en Chine contre seulement 1400 françaises. En fonction de leurs tissus industriels et du poids de leurs exportations, leurs perspectives, leurs objectifs et leurs craintes divergent. »

La Chine a d’ailleurs déjà pris les devants et menacé de représailles les États qui refuseraient de se conformer à son interprétation de l’article 15, stipulant selon elles, un accès automatique après 15 ans au statut d’économie de marché.

[4Les prix intérieurs en Chine étant réputés biaisés par des ingérences des pouvoirs publics sur le marché, les dispositions de l’OMC (et les règles antidumping de l’UE) permettent d’utiliser, à la place de celles de la Chine, des données provenant d’un autre pays à économie de marché — appelé « pays analogue » — comme base de calcul.

C’est ce qu’on appelle la « méthode du pays n’ayant pas une économie de marché » ou méthode du « pays analogue ». Dès lors que le statut d’économie de marché aurait été formellement reconnu à la Chine, ce moyen de calcul des mesures anti-dumping ne pourrait plus être appliqué.

 

 

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