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›› Editorial

« Hong-Kong n’est pas la Chine ». Le slogan qui exaspère Pékin

Le 12 octobre, lors de sa prestation de serment au Conseil Législatif, le nouveau député indépendantiste Leung Chung-hang alias Sixtus Baggio Leung s’était enveloppé d’une banderole affirmant « Hong-Kong n’est pas la Chine ». Il a été définitivement invalidé par Pékin et en appel par la haute cour de Hong Kong qui a également disqualifié la députée Yau Wai-ching.

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Après les échauffourées du mouvement Occupy Central de l’automne 2014 qui protestaient contre les aménagements au suffrage universel proposés par l’ANP filtrant les candidats au poste de gouverneur en fonction de leur allégeance pro-Pékin, suivies dans la nuit du 8 au 9 février 2016 par de violents affrontements du quartier de Mongkok où les autorités chinoises dénoncèrent la présence de « séparatistes radicaux », le bureau politique est bien décidé à ne pas laisser instiller le moindre ferment pouvant, à la faveur de l’arrangement sino-britannique « Un pays deux systèmes », remettre en cause le retour complet en 2047 de la Région Administrative Spéciale à la Chine.

A la fin octobre et au début novembre, une tension a surgi au Conseil Législatif quand Yau Wai-ching (25 ans) et Leung Chung-hang alias Sixtus Baggio Leung Leung (30 ans), deux des nouveaux députés exprimant la rupture radicale de séparation avec le Continent tentèrent pour la 3e fois de prêter serment sans faire référence à l’appartenance de Hong-Kong à la République Populaire, brandissant au contraire une banderole qui affirmait « Hong-Kong n’est pas la Chine ».

Le 2 novembre, après un série d’incidents émaillés de violentes critiques formulées par la mouvance des députés pro-Pékin, Yau et Sixtus Baggio ont été expulsés de la salle du Conseil par le Président, Andrew Leung, appartenant à la mouvance d’affaires pro-Pékin et successeur de Jasper Tang démissionnaire.

Le Conseil Législatif sous tension.

Il n’a pas fallu longtemps pour que le nouveau président du Legco soit placé face aux contradictions d’une situation où s’affrontent, d’une part, le radicalisme d’une revendication d’indépendance inacceptable pour Pékin complètement à rebours des accords sino-britanniques de 1984 et d’autre part la détermination de la direction chinoise qui, par son bureau de liaison à Hong-Kong et ses puissants appuis au Conseil législatif, affirme sans ambages sa détermination à protéger sa souveraineté sur l’ancienne colonie britannique.

Le 18 octobre, le président invalidait les serments de Yau et Sixtus Baggio après avoir d’abord accepté ceux des 3 autres indépendantistes élus le 4 septembre, avant de revenir sur sa décision. Le lendemain, tous les législateurs pro-Pékin quittèrent la salle du Conseil protestant contre les hésitations du Président et s’offusquant de l’autorisation donnée aux indépendantistes de prêter serment. Le 27 octobre, Leung était en revanche pris sous le feux adverses des critiques « démocrates » qui lui demandèrent de démissionner pour « incompétence ».

Déjà, son élection avait entraîné un tumulte quand la mouvance démocrate qui voyait la main du bureau de liaison de Pékin sur le scrutin, mettait implicitement en question son indépendance en dénonçant ses intérêts dans 11 compagnies cotées en bourse et l’interrogea sur ses liens avec Londres, alors qu’il venait, la veille, de renoncer à sa nationalité britannique. Furieux, les démocrates déchirèrent leurs bulletins de vote et quittèrent le Conseil en trombe avant le vote.

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Pékin fait peser son influence.

Li Fei, président de la Commission de la loi fondamentale de Hong-Kong à l’ANP, estime que la clause de l’indépendance de la justice accordée à Hong Kong ne peut être invoquée dès lors que la loi fondamentale elle-même a été violée. Cette analyse est, dit-il, conforme à l’article 158 de la Loi fondamentale accordant à l’ANP à Pékin le droit d’interpréter en dernier ressort la constitution du territoire. Derrière lui le gouverneur Leung qui termine son mandat au printemps prochain est exactement sur cette ligne.

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Le 7 novembre, soit deux mois après les élections législatives qui virent surgir dans le paysage électoral de la R.A.S, 5 indépendantistes purs et durs élus au Conseil Législatif, l’Assemblée Nationale Populaire votait une résolution interdisant à Yau Wai-ching et Sixtus Baggio Leung de siéger. La décision stipulait que les élus devaient, sous peine d’être disqualifiés, jurer solennellement allégeance à Hong-Kong, partie intégrante de la Chine.

Encouragée par une déclaration du département d’État américain s’inquiétant de l’interférence chinoise, la mouvance démocrate à Hong-Kong s’offusquait de la violation du principe d’indépendance des pouvoirs dans la R.A.S.

Ce faisant, le Département d’État et les démocrates à Hong Kong ignoraient le fait que le radicalisme des jeunes indépendantistes tentait de remettre en cause les termes mêmes des accords sino-britanniques et le principe « un pays deux systèmes » dont l’épine dorsale est le retour complet de la R.A.S à la Chine en 2047.

C’était aussi sans compter sur la détermination de Pékin qui fait aujourd’hui valoir son droit d’interprétation en dernier ressort de la Constitution de Hong-Kong. Réuni dans la capitale chinoise, le Comité Permanent de l’ANP rappelait en effet l’article 104 de la Loi Fondamentale stipulant que les élus du Legco devaient prêter serment « loyalement et de manière solennelle. »

Enfin, le 30 novembre, la Cour d’appel de Hong-Kong confirmait le premier jugement de disqualification de Yau Wai-ching et Sixtus Baggio Leung rendu après que le gouverneur ait assigné les jeunes parlementaires en justice. Les deux jugements étaient en tous points alignés sur la résolution prise par l’ANP.

Plus encore, le jugement en appel leur interdisait de prêter à nouveau serment, ce qui annule leur élection. Dans ses attendus, la Cour précisait que la séparation des pouvoirs au nom du droit ne pouvait être invoquée en cas de violation de la constitution qui est elle-même une entorse au droit.

Après la disqualification de Yau et Baggio Leung, qui faisait suite à l’invalidation de 6 autres candidats « démocrates » avant le scrutin du 4 septembre, Lau Siu-lai une autre activiste, pourtant moins clairement positionnée dans la mouvance indépendantiste, est aujourd’hui elle aussi sous le coup d’une menace de disqualification après son élection.

Le 2 décembre, la R.A.S lançait une deuxième action légale contre Leung Kwok-hung de la Ligue des sociaux démocrates, Nathan Law de Demosistō, Yiu Chung-yim, architecte paysagiste et Lau Siu-lai, éducatrice sociologue pour attitude inconvenante durant leurs prestations de serment. Tous ont perdu leur mandat de député.

Les lignes bougent. Avis de tempête dans la R.A.S.

Déjà impopulaire, le gouverneur Leung Chun-Ying avait été mis en porte à faux lors de la disparition de plusieurs éditeurs de la R.A.S kidnappés par Pékin. La photo est un montage du South China Morning Post qui le montre sur fond de protestations populaires sur divers sujets.

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Le désordre au Legco fomenté par les jeunes radicaux indépendantistes ne cautionnant pas la subtile transition d’une séparation politique et juridique imaginée par leurs aînés dans l’attente d’une réunification complète et définitive, est un prélude à d’autres tensions à venir dont l’étape suivante aura lieu le 26 mars prochain lors de l’élection du nouveau gouverneur.

Après l’échec de la réforme constitutionnelle torpillée par les échauffourées d’Occupy Central de l’automne 2014, le gouverneur sera, cette fois encore, désigné par les 1200 membres de la Commission électorale en grande majorité composée d’hommes et de femmes directement ou indirectement affiliés à la communauté d’affaires proche de Pékin, parfois membres actifs de l’ANP ayant constitutionnellement le dernier mot en cas de litige d’interprétation de la Loi fondamentale qui régit le territoire.

Complètement à rebours des idéaux démocratiques prônés par la jeune mouvance radicale prête à renverser la table contre leurs aînés plus réalistes et plus prudents, le mode d’élection du gouverneur contraste aussi avec la projection de l’article 68 de la Loi Fondamentale stipulant qu’à terme les élections législatives et celles du gouverneur devront s’appuyer sur le suffrage universel direct.

Compte tenu de l’évolution des mentalités dans la R.A.S où, selon une enquête réalisée par l’Université de Hong-Kong, la proportion de la population qui ne croit plus au schéma « un pays deux systèmes » ou s’en méfie atteignait 50% en juin dernier, le politburo considère aujourd’hui que la question de Hong-Kong véhicule une menace de première grandeur pour l’unité de la Chine, et son système politique.

C’est la raison pour laquelle il fera feu de tous bois pour adapter la nature du suffrage universel et en corriger les effets en tenant à l’écart la mouvance séparatiste. Il ne transigera pas non plus avec le critère imposé aux candidats de faire allégeance à la Chine.

Un symbole inflammable.

La rétrocession de Hong Kong, le 1et juillet 1997 fut une réparation des humiliations subies par la Chine. Les Chinois n’oublient pas. En 2014, Zheng Wang jeune chercheur et professeur à l’Institut Kissinger du Wilson Center publiait un livre intitulé « Never forget national humiliation » en Chinois 勿忘国耻 - Wuwang Guochi » Ces caractères sont gravés sur de nombreux monuments dans toute la Chine. Ils sont une référence patriotique, identitaire et nationaliste pour tous les Chinois, jeunes et moins jeunes. Souvent ils conditionnent le rapport des Chinois au reste du monde.

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Enfin pour bien mesurer la sensibilité du sujet qui porte en lui un important potentiel de frictions, il faut prendre conscience du symbole. Hong-Kong reste en effet, dans l’esprit des élites chinoises, quelles qu’elles soient, la représentation la plus tenace des humiliations subies par la Chine au XIXe siècle.

A cet égard, le préambule de la Loi Fondamentale du territoire est explicite : « Hong-kong est partie du territoire chinois depuis les temps anciens. Elle a été occupée par la Grande Bretagne après la guerre de l’opium en 1840 »

Dans l’ancien territoire britannique, la référence à la patrie chinoise retrouvée fut un des éléments de la contestation par Pékin du colonialisme anglais. Elle fut aussi un des arguments de Deng Xiaoping dans l’élaboration du processus de transition. Un aménagement à l’unité de la Chine temporairement toléré en vertu du nationalisme pro-chinois des Hongkongais, supposé immuable garant de l’allégeance populaire au Continent.

Avec le surgissement des indépendantistes dans le paysage de la R.A.S et l’évolution de l’opinion, cette équation est aujourd’hui brouillée. S’il est vrai que le radicalisme des nouveaux venus recèle un fort potentiel de rejet, il n’en reste pas moins que, pour Pékin, le défi est complexe pour deux raisons :

1) La Loi fondamentale (Basic Law en Chinois 中华 人民共和国香港特别行政区基本法) envisage elle-même à terme, dans son article 68, une évolution des scrutins vers le suffrage universel. (voir le texte en Anglais, document pdf)

2) La marge de manœuvre répressive est étroite puisque tout durcissement porte en lui le risque d’augmenter encore la désaffection populaire à l’égard de la réunification définitive dans 30 ans.

Le premier indice d’une crispation à venir est déjà perceptible dans l’intention de l’ANP de remettre sur la table l’article 23 sur la sécurité nationale dont on se souvient qu’il avait suscité une telle réaction adverse dans la R.A.S que Pékin avait été contraint de la retirer (lire notre article Hong Kong : grande manifestation contre « l’Article 23 »).

La perspective provoque déjà des fêlures dans le paysage politique à Hong Kong. Le gouverneur Leung, sur la même ligne que Pékin, y est favorable compte-tenu, dit-il, du nouveau risque posé par les indépendantistes. En revanche, le secrétaire à la justice du territoire, Rimsky Yuen Kwok-keung , y est opposé. « Même si je comprends les positions contraires à la mienne, j’estime que la controverse des prestations de serment peut et doit être jugée au sein des tribunaux de Hong-Kong ».

Pour l’heure le dernier mot revient à Li Fei, président de la Commission pour la loi fondamentale de Hong Kong à l’ANP, « il n’est pas possible d’invoquer l’indépendance de la justice du territoire quand la loi fondamentale est elle-même violée. »

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Mais l’affaire est loin d’être close. Il serait dangereux pour Pékin de négliger les ferments démocratiques à l’œuvre dans la R.A.S. Ceux-ci avaient été exprimés par la très respectée Anson Chan (Chan Fang On-sang), ancienne chef de l’exécutif à Hong Kong à la fois sous la règle britannique et après la rétrocession en 1997, lors d’un discours le 30 août dernier au Foreign Correspondant Club de Hong Kong.

Elle y fustigeait l’érosion de la liberté de la presse, les menaces pesant sur l’université, la politisation des tribunaux et de la justice à quoi s’ajoute l’interventionnisme du gouverneur s’autorisant à fixer quels sujets étaient tabous et interdits de débat.

Surtout elle questionnait la légalité de la disposition du Legco imposant aux candidats de signer une déclaration d’allégeance supposant la permanence du statut de Hong Kong comme partie de la Chine. « Que certains candidats qui ne se sont pas soumis à l’obligation d’allégeance aient été autorisés à se présenter tandis que d’autres furent exclus montre que toute la procédure était arbitraire et politiquement biaisée. »

 

 

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