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Le nucléaire nord-coréen et l’illusoire solidarité face à Pyongyang. Réflexions sur un cul-de-sac stratégique

Le 9 septembre 2016 Pyongyang a procédé à son 5e essai nucléaire. Aussitôt, la présidente sud coréenne Park, aujourd’hui gravement mise en en difficultés pour corruption, avait déclaré : « Avec cet essai nucléaire, le régime de Kim Jong-Un ne fera que s’attirer davantage de sanctions et d’isolement […]. Une telle provocation va accélérer encore la voie vers son autodestruction.

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Pour la Corée du Nord, l’année 2016 aura été l’occasion de tensions accrues dans ses relations avec l’ONU et même avec la Chine, son unique appui dans la région. Après les tests nucléaires du 6 janvier et du 9 septembre qui s’ajoutent à plus de 20 essais balistiques en 2016, le Conseil de sécurité a en effet voté deux résolutions lui imposant des sanctions, le 2 mars (n°2270) et le 30 novembre 2016 (n° 2321).

La tendance est donc à un durcissement apparent, avec cependant en arrière pensée toujours des doutes sur l’efficacité des sanctions et, notamment, sur la détermination de Pékin à aller jusqu’au bout de la logique punitive tant elle craint un effondrement du régime ou une réaction brutale.

La dernière résolution - Il s’agit de la sixième série de sanctions décrétées contre Pyongyang depuis 2006 - impose une fois de plus des restrictions facilement contournables sur les transports, notamment maritimes vers la Corée du nord, tandis que les assureurs sont à nouveau invités à réduire leurs contrats au profit des navires nord-coréens « y compris ceux sous pavillons de complaisance » ; les opérations financières sont en théorie rendues plus difficiles par la réduction des comptes bancaires des ambassades et du nombre de leurs personnels désormais tous interdits de se livrer à des activités commerciales ; enfin, la surveillance des trafics de main d’œuvre, source majeure de revenus pour Pyongyang, est accrue, quoique, hypocrisie diplomatique, toujours pas formellement interdite.

Un durcissement en trompe-l’œil.

Mais la grande nouveauté de la résolution 2321 est l’imposition d’un plafond annuel en valeur d’exportations de charbon, de cuivre, de nickel, d’argent et de zinc. Prise après le test nucléaire du 9 septembre, la plus puissante des 5 explosions selon les experts qui l’estiment entre 20 et 30 kilotonnes, tandis que les renseignements américains affirment que la miniaturisation d’une tête balistique nucléaire, capable de frapper les États-Unis est en cours, la résolution constitue, au moins en théorie, un durcissement.

Appliquées dans toute leur rigueur, les mesures ont en effet de quoi mettre Pyongyang en difficultés. Elle comportent désormais le gel des comptes en banque et des interdictions de voyage infligées à plus de 80 administrations, entreprises et ressortissants nord-coréens dont le Parti des travailleurs lui-même, des proches de Kim Jong-un (ciblés par des sanctions spéciales de Séoul) et les anciens ambassadeurs en Égypte, au Soudan et en Birmanie, et priveraient Pyongyang de plus de 700 millions de $ de revenus annuels.

La résolution supprime en théorie l’ambiguïté des exportations dites humanitaires destinées à « la subsistance » des populations ayant en réalité permis à la Chine d’augmenter massivement et en toute bonne foi ses achats de charbon. Geste de bonne volonté symbolique et, peut-être, coup de semonce à Pyongyang, le 10 décembre la Chine annonçait qu’elle suspendait tous ses achats de charbon pour trois semaines.

Il reste qu’en réalité la décision de Pékin a toutes les chances d’être cosmétique. S’il est vrai qu’elle permet d’afficher un mécontentement, donnant l’illusion de la fermeté, son caractère temporaire n’est évidemment pas de nature à modifier les équilibres de survie du régime.

Persistance des anciens blocages.

Au total, il est peu probable que même ce coup infligé à une source majeure de revenus de Pyongyang soit suffisant pour l’inciter à abandonner ses programmes balistique et nucléaire dont il faut rappeler qu’à ses yeux ils constituent son assurance vie et ses principaux atouts de négociation pour parvenir à son objectif ultime : la reconnaissance du régime par Washington et la signature d’un traité de paix directement conclu avec les États-Unis. Ban Ki Mon, le Secrétaire général des NU a beau affirmer que la dernière résolution constitue un progrès dans la fermeté et l’efficacité des sanctions, il y a loin de la coupe aux lèvres et rien n’indique que la situation et ses blocages aient été notablement modifiés.

Au demeurant, la durée des tractations diplomatiques (82 jours) nécessaires pour parvenir à un accord sur la résolution en dit long sur les intentions cachées des acteurs et la distance qui les séparent d’un véritable consensus sur la question. S’il ne fallait qu’une preuve des faux semblants jetant une ombre sur la bonne foi des marchandages en cours, on citera l’omerta complète de la Chine sur ses exportations de pétrole à Pyongyang, tandis que le durcissement annoncé n’apporte que des modifications de procédures à une situation dont les principaux ressorts ne sont pas modifiés.

Au mieux – encore cette hypothèse optimiste est-elle très aléatoire tant l’aggravation des sanctions constitue un motif supplémentaire de crispation du régime – peut-on espérer que Pyongyang accepte de revenir à la table des négociations du dialogue à 6. Mais, dans un contexte où les anciennes postures articulées autour de menaces, méfiances et rancoeurs sont toujours à l’œuvre, la signature d’un accord reste toujours très improbable.

Crispation nord-coréenne et méfiance chinoise.

En dépit du refroidissement entre Pyongyang et Séoul au point que Kim Jong-un n’a jamais été reçu à Pékin, la Chine reste en dernier ressort un allié qui veillera toujours à la suivie du régime.

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A l’annonce des sanctions Kim Jong-un a, dès le lendemain, répondu en dirigeant personnellement un exercice d’artillerie simulant des attaques contre des cibles sud-coréennes. La démonstration de force accompagnait un discours inchangé depuis des lustres ponctué de menaces accusant le Conseil de sécurité de statuer selon des standards à géométrie variable violant la souveraineté nord-coréenne et le droit du pays à se défendre. Suivait une mise au point du ministre des Affaires étrangères : « Il n’y pas plus grande erreur que de croire qu’Obama et ses suiveurs pourraient par leurs lâches sanctions nous faire abandonner notre programme d’armement ou affaiblir notre statut de puissance nucléaire ».

Quant à la Chine, s’il est vrai qu’elle condamne les expériences nucléaires nord coréennes, elle a, par la voie de Liu Jieyi son ambassadeur l’ONU, accusé Washington et Séoul d’ajouter aux tensions en augmentant l’ampleur de leurs exercices militaires dans la région. Relayant l’hostilité de Pékin à l’augmentation de l’empreinte militaire américaine dans sa zone d’intérêt stratégique direct, Liu a aussi stigmatisé les projets de déploiement des missiles de théâtre en Corée du sud considérés par la Chine comme un obstacle à la dénucléarisation de la péninsule et à la stabilité de la région.

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Analyse des options stratégiques.

Missile Taepodong (portée 6700 km) présenté à Pyongyang en 2013 lors du 60e anniversaire de l’armistice. Dès lors que la Chine percevra que les stratégies américaines ne risquent plus de provoquer l’effondrement du régime, elle contribuera aux efforts occidentaux pour dénucléariser la péninsule.

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En haussant la réflexion d’un étage le dilemme nord-coréen pourrait être ramené à deux séries de questionnements enchevêtrés : 1) Ceux liés à la stratégie des États-Unis et à leurs alliés qui, selon les experts et le bord politique balancent entre 3 options. Allant de la plus dure à la plus souple, elles envisagent soit la frappe chirurgicale préventive ; soit l’alourdissement des sanctions ; soit, enfin, une reprise des négociations sur une base qui accepterait de considérer les soucis de reconnaissance et de sécurité du régime.

2) Le deuxième groupe de questions interroge l’influence de la Chine qui, bien qu’elle nie son autorité rémanente sur Pyongyang, constitue le passage obligé d’un règlement pacifique de la question.

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On éliminera l’option très irréaliste d’intervention militaire directe dont il faut cependant préciser qu’elle a récemment retrouvé quelques adeptes en dépit des risques d’emballement militaire dont le principal moteur serait que la Chine ne pourrait pas accepter une attaque américaine non provoquée à ses portes, d’autant que Pékin est toujours lié à Pyongyang par l’accord de défense de 1961.

Les deux solutions restant sur la table sont donc le resserrement progressif des sanctions ou, à l’inverse, ce qui constituerait une bascule stratégique majeure de Washington, un retour au dialogue à 6 à des conditions préalables acceptables pour Pyongyang et, variante prônée par certains aux États-Unis, à des négociations directes Pyongyang – Washington. Dans les deux cas, l’impact de Pékin serait essentiel.

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Le choix des sanctions, le plus classique et aussi le moins original montre ses limites depuis de longues années. Les difficultés du punitif sont presque toutes enracinées dans la détermination nord-coréenne de ne pas céder au chantage à quoi s’ajoute le souci de la Chine de ne pas provoquer la chute du régime qui ouvrirait une dangereuse boîte de Pandore stratégique.

En arrière plan, une claire différence d’appréciation de ce qu’est la Corée du nord. Selon John Delury professeur d’études chinoises à l’université Yonsei à Séoul, pour Washington et les Occidentaux, elle est un État irrationnel, pauvre et isolé, partie de « l’axe du mal » selon Bush, avec des goulags, l’omniprésence des polices secrètes, sans électricité et accablé de famines récurrentes.

Pour la Chine en revanche, à qui la Corée du nord renvoie sa propre image des années 60, le pays pourrait, à terme, s’ouvrir à de meilleures perspectives socio-économiques. Si les Américains sont persuadés que la Corée du nord s’effondrera, la plupart des experts chinois ne voient pas pourquoi le régime ne durerait pas autant que le leur.

Quoi qu’il en soit, même si Delury évacue la variable majeure de la différence de nature entre Coréens plus rigides et Chinois souples et pragmatiques, ce qui le conduit peut-être à surestimer la capacité d’adaptation du régime de Pyongyang, force est de constater que la combinaison de la détermination nord-coréenne arc-boutée à son indépendance et de la présence chinoise qui veille au grain, a permis la survie du régime bien au-delà de ce que tous les experts occidentaux de la question avaient prévu.

Ouverture et coopération obligée avec Pékin.

Le Commerce extérieur nord-coréen se fait en grande partie avec la Chine en rouge et, dans une bien moins large mesure avec la Corée du sud (en bleu.). Le commerce avec le reste du monde est marginal.

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Reste l’option d’une reprise des négociations articulée autour d’un schéma de réciprocité, mais que la plupart des conservateurs assimilerait à un Munich asiatique, doublé d’une reconnaissance implicite du statut nucléaire de la Corée du Nord.

Quant aux progressistes qui reconnaissent cependant la difficulté de négocier avec la rigidité nord-coréenne, ils estiment que le préliminaire d’un gel du programme nucléaire nord-coréen avec un retour des inspecteurs des NU sur les sites, devrait, pour convaincre Pyongyang, s’accompagner d’une concession américaine reconnaissant la volonté de survie du régime.

Selon le Dr Leon Sigal expert du contrôle des armements et directeur du North East Asia Cooperative Security Project au Social Research Council de New-York, ignorer cette exigence, c’est refuser la réciprocité de la négociation, prétendre imposer un marchandage aux seuls termes de Washington et paver une nouvelle fois la route au dialogue de sourds.

Surtout, Delury fait l’hypothèse que la solution de la souplesse recueillerait aussitôt l’appui de Pékin pour travailler dans le sens de la dénucléarisation, dès lors que l’hypothèque de la survie du régime nord-coréen serait levée. Il ajoute que la probabilité de la coopération chinoise est d’autant plus forte qu’experts chinois et américains sont d’accord sur le niveau de menace nucléaire posée par Pyongyang.

Selon Siegfried S. Hecker expert nucléaire à Standford qui fut l’un des derniers inspecteurs sur le site de Yongbyon en novembre 2010, l’appréciation chinoise du risque nucléaire nord-coréen recoupe celle des États-Unis : d’ici 5 ans Pyongyang aurait la capacité de frapper la côte Ouest des États-Unis ; et à très court terme la possibilité de frapper le Japon, la Corée du sud et même les bases américaines du Pacifique.

Par dessus ces choix stratégiques activement discutés aux États-Unis, planent les incertitudes nées de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, dont le radicalisme anti-chinois sur les questions commerciales pourrait être mis à rude épreuve, précisément par sa double prise de conscience de la menace nord-coréenne et de la nécessité de travailler étroitement avec Pékin sur une question majeure de sécurité.

Si Washington voulait s’engager sur cette voie pragmatique il lui resterait encore à désamorcer l’opposition chinoise à l’installation des missiles de théâtre en Corée du sud. Ce qui ne serait pas la moindre des difficultés.

 

 

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