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Taiwan, le « chiffon rouge ». Analyse de la stratégie des provocations

Dernier symptôme des tensions qui montent entre Washington et Pékin autour de la question de Taïwan après les prises de position de Trump, la réaction courroucée de la Chine suite à la rencontre de Tsai Ing-wen avec le sénateur républicain Ted Cruz, le 8 janvier à Houston, où elle a fait étape sur sa route vers le Honduras.

« La Chine s’oppose fermement à tout contact, sous le prétexte d’un transit, des officiels américains avec la dirigeante taïwanaise dont le but est d’affaiblir la relation sino-américaine », a répété le porte parole du Waijiaobu lors d’un point de presse de routine. Il fallait, a t-il ajouté, que « Washington respecte la politique d’une seule Chine et considère la question de Taïwan avec prudence. ».

Coutumier des prises de position nationale-populistes, le Global Times publiait le 8 janvier un éditorial cautionné par le régime par lequel il mettait en garde la future administration américaine contre le rejet de la politique d’une seule Chine. « Si après son investiture Donald Trump revenait sur les promesses de l’Amérique, le peuple chinois exigera du gouvernement qu’il riposte. » L’article ajoutait que, sur cette question, aucune marge de négociation n’étant possible, Pékin était prêt à rompre les relations diplomatiques avec les États-Unis.

La colère de Pékin a encore été attisée par une déclaration publique de Cruz qui, excédé, réagissait à une lettre du consulat général chinois à Houston rappelant au sénateur la sensibilité de la question de Taiwan dans les relations sino-américaines.

La prise de position de l’ancien rival républicain de Trump tendait, par sa liberté de ton et la liste des sujets abordés à rehausser le statut de Tsai Ing-wen au niveau d’un chef d’État, ce qui revient à agiter un chiffon rouge sous le nez du Politburo chinois. Cruz et Tsai ont en effet évoqué la nature de la relation entre les États-Unis et Taiwan, les échanges diplomatiques, le commerce bilatéral et l’ouverture du marché taiwanais aux agriculteurs du sud des Etats-Unis.

Surtout, après avoir évoqué les « deux Nations » en parlant des États-Unis et de Taiwan, faisant passer le chiffon au rouge incandescent et inflammable, bousculant au passage le vieux tabou de la relation sino-américaine qui ménageait la susceptibilité de la Chine en vue de l’objectif plus large d’un rapprochement stratégique, Cruz accusait Pékin de vouloir contraindre la Maison Blanche en interférant dans sa diplomatie.

« La République Populaire de Chine doit comprendre qu’en Amérique nous rencontrons qui nous voulons. La Chine n’est pas concernée quand il s’agit de nos relations avec Taiwan, un allié que la loi américaine nous oblige à protéger (…). Comme le Global Times, Cruz affirma que la relation des États-Unis avec Taiwan n’était pas négociable, fondée, a t-il dit, sur « une disposition constitutionnelle et des intérêts communs. »

Brouillage des anciennes balises.

A ce stade où se brouillent les principales balises diplomatiques qui, dans le Détroit et dans la relation sino américaine, empêchaient un accident, il faut s’interroger sur la valeur des postures nationalistes et la crédibilité des menaces, en partie proférées pour satisfaire l’opinion publique chinoise et les lobby pro-Taiwan aux Etats-Unis.

S’il est vrai qu’en Chine la question de Taiwan, reliquat toujours en attente de solution de la guerre civile inachevée et enjeu emblématique de la crédibilité du régime qui promet la réunification, est étroitement liée au prestige et à l’autorité du pouvoir communiste, il est faux de croire qu’une escale aux États-Unis et une rencontre avec un élu pourrait modifier la détermination de Tsai Ing-wen à tenir sa promesse de ne pas modifier le statuquo dans le Détroit. L’élue de la mouvance identitaire connaît trop bien les enjeux pour bousculer à ce point les précaires équilibres dans la relation avec le Continent.

Un nationalisme chinois à usage interne…

Partant, il est excessif que le politburo à Pékin en fasse à ce point une question de principe ponctuée par une menace de rupture diplomatique avec Washington. L’irréalisme de cette fixation politique irrationnelle apparaît clairement quand on s’intéresse à l’état de l’opinion à Taiwan. Dès lors que 57,2% considèrent que la Chine est hostile et que 75,8% affirment que l’Île est une nation souveraine et indépendante, l’actuelle stratégie de harcèlement contre Tsai Ing-wen et son gouvernement véhicule deux effets pervers : le raidissement de la population de l’Île et le réveil du lobby taiwanais aux Etats-Unis, ferments d’un enchaînement néfaste de crispations, exactement contraire aux intérêts du projet de réunification pacifique.

…Porteur de surenchères et de catastrophes.

Sauf à laisser le champ libre aux bellicistes qui imaginent une réunification par la force, bouteille à l’encre ouvrant sur un craquement stratégique de grande ampleur, dont les conséquences pour la Chine et la région seraient incalculables, le réalisme d’un projet de réunification commanderait la patience, l’apaisement des craintes taïwanaises, la séduction de l’opinion publique de l’Île et la confiance dans la force de rapprochement irrésistible des affaires dans le Détroit.

Quant à la menace d’une rupture diplomatique qui fermerait à la Chine le marché américain, source de devises et de technologies, elle porte en elle un potentiel de catastrophe pour des pans entiers de l’industrie et de l’agriculture chinoises. En 2015, selon les statistiques officielles américaines, la Chine était le premier exportateur aux États-Unis avec un flux annuel 4 fois plus important qu’en 2000, comprenant des machines électriques et des machines outils (237 Mds de $), des articles d’ameublement (28 Mds de $), des jouets et des équipements sportifs (24 Mds de $), des chaussures (17 Mds de $), des fruits et légumes (1 Mds de $) sans compter l’exportation de services (voyages, transports et R&D) dont la valeur a plus que doublé depuis 2005.

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Le choix de la bravade et ses limites.

Vu du côté américain, le raidissement nationaliste est tout aussi dangereux. L’administration américaine s’apercevra vite à la fois de la vacuité des rodomontades et de l’étroite interconnexion des problèmes. Dans la guerre des sanctions commerciales, Pékin qui détient 30% de la dette extérieure des États-Unis à hauteur de 1150 milliards de $, pourrait répliquer d’abord en réduisant ses prêts qui, jusqu’à présent, nourrissent la consommation de la classe moyenne ; ensuite en harcelant les intérêts américains en Chine (plus de 60 milliards de $ investis annuellement par les groupes américains).

Ni Pékin dont les industries dépendent en partie du marché américain à la fois pour leurs exportations et pour leur modernisation, ni Washington dont la consommation intérieure et le déficit budgétaire sont en partie alimentée et couvert par les finances chinoises, n’y gagneraient.

A l’étage stratégique, l’imbrication des sujets sensibles limite également les marges de manœuvre. Si les États-Unis veulent agir efficacement sur la question de la prolifération nucléaire nord-coréenne, le choix le plus avisé n’est pas d’engager un bras de fer avec la Chine qui détient, en dépit des dénégations de Pékin, la clé de l’efficacité des sanctions contre Pyongyang.

Enfin, il faut s’interroger sur la vulnérabilité même du nouvel exécutif américain et, partant, de sa capacité à engager le fer avec la Chine, dès lors que les intérêts d’affaires de Trump et de sa famille sont connectés aux finances chinoises ce qui installe une double fragilité, d’abord vis-à-vis de Pékin, ensuite au regard du droit par le truchement de l’accusation de conflit d’intérêt. Depuis l’élection du nouveau président, la grande presse américaine multiplie les mises en garde sur ce thème. S’agissant des relations avec la Chine on citera un exemple récemment mis à jour par de longues enquêtes du New-York Times [1].

Les vulnérabilités de la famille Trump.

Alors que Jared Kushner, gendre de Trump ayant fait fortune dans l’immobilier (7 Mds de $ d’acquisitions au cours des 10 dernières années appuyés sur des financements étrangers), dont le père avait déjà été condamné pour corruption, a été désigné comme conseiller spécial à la Maison Blanche, les connexions d’affaires avec la Chine des proches du président et leur exposition aux finances chinoises directement connectées avec la tête du pouvoir à Pékin, constituent une sérieuse limitation de la marge de manœuvre du nouvel exécutif et un sérieux brouillage des intérêts stratégiques américains sur la question très sensible des relations avec Taiwan.

Dans une enquête publiée le 7 janvier, le New-York Times révèle que le groupe immobilier dirigé par la belle famille du président est, depuis 6 mois, en négociation d’affaires avec le groupe chinois d’assurances Anbang dont la structure financière floue pourrait être directement connectée avec l’appareil politique chinois. Lire à ce sujet :
- La nouvelle agressivité des groupes chinois à l’international mise en perspective
- Jared Kushner, a Trump In-Law and Adviser, Chases a Chinese Deal

A la clé, selon le NYT, des investissements du groupe chinois dirigé par le très secret Wu Xiaohui dans les affaires immobilières de la famille Kushner dont 1 milliards de $ de dettes arrivent à échéance en 2019. Or l’article ajoute que parmi les investisseurs d’Anbang figurent, datant de l’union de Wu avec Zhuo Ran, une petite fille de Deng Xiaoping, des prête-noms en réalité connectés à la machine politique chinoise et à l’APL.

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Note de Contexte. Le Liaoning dans le Détroit.

Symbole de l’évolution des rapports de forces, alors que durant la 3e crise de Taiwan (1995 - 1996) le porte avions Nimitz de l’US Navy avait franchi le Détroit, cette fois c’est un PA chinois qui le 11 janvier naviguait entre l’Île et le continent, tandis que l’US Navy restait à l’écart.

Même s’il s’agit du 2e passage du Liaoning dans le Détroit - Il l’avait déjà fait en 2013 après avoir été livré par les chantiers navals à la marine -, cette fois l’incidence s’inscrit dans une crise directe. Signe de l’importance de l’événement, durant son voyage officiel au Honduras, Tsai Ing-wen s’est par deux fois tenue informée de la position du PA chinois, qui, quel que soit l’angle de vue exprime une menace.

En réponse, Taiwan a pour la 3e fois en 3 jours mis en alerte ses chasseurs de combat. Pour calmer le jeu, Liu Zhenmin, vice-ministre chinois des Affaires étrangères déclarait que le Détroit était partie des eaux internationales et que le passage du Liaoning n’aurait aucune incidence sur les relations entre Taiwan et le Continent.

Il n’empêche que la progression du Liaoning est suivie de près par la tête de l’exécutif chinois. Le 5 janvier, un article en première page du Quotidien de l’armée confirmait que les manoeuvres du PA retenaient l’attention personnelle de Xi Jinping.

Le 11 janvier, lors d’une conférence de presse, Ma Xiaoguang, porte parole du Bureau des Affaires taiwanaises contredisait les propos rassurants du Waijiaobu. Il anticipait en effet que les mois à venir seraient marqués par de « fortes incertitudes, des défis et des risques. », ajoutant que les manoeuvres séparatistes du gouvernement de Taiwan et des forces indépendantistes avaient sérieusement mis en danger la paix et la stabilité dans le Détroit. En conclusion il a prévenu que la Chine défendrait résolument la souveraineté et son intégrité territoriale.

Guerre des nerfs. Risques de dérapage militaire.

Un seul porte-avions chinois n’est certes pas de nature à modifier le rapport de forces. Mais son engagement dans l’actuelle montée des tensions constitue un symbole. En 1996, le monopole aéronaval américain neutralisait les avantages tactiques de l’APL sur l’Île que constituent le nombre et la proximité du Continent. Le surgissement dans le paysage stratégique d’un PA chinois, fût-il unique et démodé, annule en partie la suprématie américaine.

Tout comme il est vrai qu’en 1996, une agression directe contre un PA américain aurait ouvert une boîte de Pandore militaro-stratégique aux conséquences incalculables, 20 ans plus tard, il devient impensable que l’armée américaine s’attaque directement à ce symbole de la puissance chinoise et de ses ambitions, parties du « rêve chinois » que constitue le Liaoning. En même temps, chacun voit bien que, dans les actuelles circonstances où le futur président agite le nationalisme américain de la puissance face à la Chine, il est tout aussi impensable que Washington abandonne Taiwan en rase campagne.

Dès lors, répètent les diplomates raisonnables, la seule solution à la crise serait politique, marquée par des garanties et des concessions de part et d’autre. Il reste que l’irrationnel est toujours possible. La situation dans le Détroit et ses parages entre dans l’incertitude d’une guerre des nerfs. Plus celle-ci se prolongera, plus seront importants les risques de dérapage militaire.

Note(s) :

[1Le feu croisé des critiques qui accablent Trump et sa famille depuis sa nomination accusent aussi le gendre Jared Kushner membre d’une famille juive traditionnaliste de liens étroits avec la droite dure israélienne. Ils ajoutent que cette arrière-plan fut probablement à l’origine de la déclaration de Trump envisageant de déplacer l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem.

Toutes proportions gardées, ce pavé de la mare de l’imbroglio du Moyen Orient est homothétique de celui qui, en Asie, bouscule les non-dits de la question de Taiwan. Il reste à savoir si cette stratégie des provocations mises en œuvre au milieu de vulnérabilités financières de la belle famille de Trump exposées par le NYT a, dans la complexité des relations internationales, une chance de déboucher sur une solution des conflits enkystés depuis des lustres ou si, au contraire, elle ne conduit pas à leur aggravation.

 

 

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