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›› Editorial

A Davos, la Chine, Trump et le ralentissement mondial, sur fond de colère des peuples

Selon les statistiques des douanes chinoises publiées le 13 janvier dernier, l’excédent commercial a, en 2016, accusé la plus forte baisse depuis 2011, évaluée à -14%, équivalent à plus de 500 Mds de $ en valeur.

L’indicateur est surveillé de près par la direction politique du régime, consciente que le surplus de la balance commerciale est l’un des moteurs de la croissance, lui-même principale marge de manœuvre économique et financière pour tenir à distance les désordres sociaux.

A Davos, Xi Jinping, sachant bien ce que la croissance chinoise doit au paradigme de la mondialisation sans limites, a vigoureusement défendu le libre commerce. Il l’a fait devant une assemblée de chefs d’entreprises multinationales acquis à sa cause, mais sous la pression de critiques et de mises en garde stigmatisant les effets pervers des frontières ouvertes aux vents de la cupidité, principal terreau du déclassement social et des inégalités qui montent partout dans le monde.

Le protectionnisme, ingrédient du freinage chinois.

Faisant la synthèse entre les décryptages du Conseil des Affaires d’État et ceux des experts étrangers, le magazine Caixin met en perspective la chute de 7,7 % des exportations pour la 2e année consécutive (elle avait été de 16% en 2009 durant la crise) et celle de 5,5% des importations (cependant mieux qu’en 2015, où elles avaient baissé de 14,2%).

En tête des explications, l’arrivée au pouvoir d’une forte tendance protectionniste aux États-Unis installant un climat commercial défavorable à la Chine. Elle fait suite à un mouvement identique en Europe et en Grande Bretagne à la suite du Brexit, à quoi s’ajoute l’avalanche des 119 enquêtes pour dumping, en hausse de 37% par rapport à 2015) mettant sur la sellette les exports chinois pour une valeur de 14,3 Mds de $.

Le recul des ventes chinoises est perceptible presque partout. Toujours selon les douanes chinoises, les exportations ont baissé de 4,7% vers l’UE et le Japon, de 7,7% vers la Corée du sud, de 10% vers Taiwan, de 7,8% vers l’ASEAN, de 19% vers l’Afrique du sud et le Brésil, de 5,9% vers les Etats-Unis, de 7,8% vers l’Australie, de 3,3% vers la Nouvelle Zélande et de 12,7% vers Hong Kong. En contraste, elles ont augmenté de 0,2% vers l’Inde et de 7,3% vers la Russie.

Quant aux importations elles ont décliné en moyenne de 5,5% en valeur, essentiellement à la suite de la baisse des prix des matières premières. En volume, la baisse des importations a surtout été sensible dans le secteur des céréales (-32,8%), des fertilisants organiques (-25,4%), des plastics (-24,1%) du pétrole raffiné (-18,3%). En revanche les chiffres signalent plus d’importations de soja ( +2,7%) de minerai de fer ( +7,5%), de cuivre (+28,2%), de charbon (+25,2%) de pétrole brut (+13,6%) de gaz (+22%), de caoutchouc (+23,1%) et de produits pharmaceutiques (+16,9%).

Elargissant l’analyse à la situation économique, Caixin rajoute que la compétitivité de la Chine a été diminuée par la hausse des coûts de production et les efforts des pays occidentaux pour rapatrier certaines usines délocalisées ou les replacer dans des zones plus attractives. La tendance se lit dans la moindre part à l’export des produits chinois à faible valeur ajoutée et à forte intensité de main d’œuvre, en baisse de 1,8% en Europe, de 1,2% aux États-Unis et de 2,1% au Japon. En revanche, la part de ces mêmes produits bon marché a augmenté dans l’ASEAN.

Dans un contexte global en mutation rapide.

Enfin s’il est vrai que la tendance protectionniste américaine articulée autour des enquêtes anti-dumping a, et continuera, d’avoir un effet sur les exportations, leur recul est également du au freinage de la croissance chinoise conséquence cumulée de la crise et des réformes d’ajustement, le tout s’inscrivant dans la baisse globale des échanges identifiée par la banque mondiale, dont le ralentissement chinois est un des facteurs. Mais la solution n’est peut-être plus à portée de main.

Un nombre croissant d’économistes considère en effet que le ralentissement n’est pas un phénomène cyclique, mais le signe que les forces qui furent le moteur de la globalisation sont en train de muter.

Après l’ajustement structurel chinois, premier facteur du ralentissement, le deuxième levier du déclassement de l’ancien paradigme global (délocalisation, désindustrialisations, réimportations par des flottes de porte-conteneurs de biens fabriqués ailleurs) est la mutation des nouvelles technologies. La globalisation qui s’annonce n’est pas celle des échanges de services eux aussi en récession. Elle prend la forme d’un échange sans limites de données numérisées dont le flot a été multiplié par 20 entre 2008 et 2016.

Au cœur de cette révolution industrielle, dit un article du Financial Times (accessible abonnés) du 3 mars 2016, la fabrication par les techniques de l’impression 3D qui permet déjà à General Electric de produire des injecteurs de kérosène, avec l’espoir qu’en 2020 ses usines produiront par ce moyen 100 000 pièces de moteurs d’avion. De telles innovations, ajoute l’article, nous rapprochent du temps où les échanges ne se feront plus par porte-conteneurs, mais par le truchement des nouvelles technologies transmettant instantanément une masse toujours plus lourde de données numériques.

Incertitudes et angoisses sociales

En attendant, globalement l’activité économique et les échanges ralentissent, tandis qu’en Asie et aux États-Unis, on tente de relancer la machine vertueuse de la mondialisation. Aux États-Unis, par le Trans Pacific Partnership dont la mise en œuvre reste suspendue aux ratifications du Congrès qui le conteste. En Chine, au moyen des « nouvelles routes de la soie ». Par son concept « Yi Dai Yi Lu – Une ceinture, une route, ou OBOR » Pékin qui, en 2010, a signé un traité de libre échange avec les 10 pays de l’ASEAN, reproduit l’expérience japonaise des années 80 en délocalisant les productions à faible valeur ajoutée, gardant chez elle les fabrications de haute technologie. En Asie du Sud-est, l’Inde et l’Australie lui ont emboîté le pas.

Tout ceci dessine un monde incertain en mutation technologique accélérée, marqué par la montée des inégalités et la destruction, créatrice d’angoisse, de dizaines de millions d’emplois, objets d’une mise en garde du Bureau International du Travail (BIT) de l’ONU. L’alerte a été assortie le 12 janvier d’un appel aux responsables politiques pour les inciter à freiner par tous les moyens la hausse du chômage, source de troubles sociaux et de migrations en augmentation rapide. La conclusion du BIT qui rejoint celle du FMI, craignant lui aussi une montée des révoltes sociales, plaide pour de vigoureuses relances, une solution à contrepied de la politique de l’offre que la direction chinoise a mis en place en accompagnement de ses réformes.

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A Davos, Xi Jinping, champion de l’économie globale.

Alors que partout montent les critiques d’une globalisation dont l’un des effets pervers fut le surgissement de Donald Trump aux États-Unis dont la société à double visage à la classe moyenne désemparée, a exprimé le profond désarroi d’une partie des Américains, Xi Jinping, premier président chinois à assister au forum de Davos, s’est résolument présenté en défenseur de la mondialisation. Ayant été le puissant moteur des progrès socio-économiques d’une grande partie de l’humanité, l’économie globale, a t-il dit, est devenue « qu’on l’aime ou non, un vaste océan auquel aucun pays ne peut se soustraire. »

Disant cela, et prenant soin de préciser que la globalisation devait être rééquilibrée au profit des plus pauvres, il s’est lui-même désigné comme le champion des économies ouvertes, alors qu’au même moment les Occidentaux, et notamment les États-Unis, où le futur président a promis un arsenal de taxes contre les exportations chinoises, tournent le dos à la liberté transfrontières des investissement et du commerce.

Le paradoxe est que tout en se faisant l’apôtre de la liberté d’entreprendre, la Chine a elle-même souvent violé les règles de l’OMC en introduisant des barrières non tarifaires, fermant de vastes secteurs de son marché aux concurrents étrangers et subventionnant lourdement certaines de ses exportations. Plus encore, c’est bien la Chine « usine du monde » qui fut à la pointe du mouvement des délocalisations et des productions de masse à faible valeur ajoutée en partie à l’origine de la destruction d’emplois dans les pays développés.

Le difficile passage obligé du numérique.

Aujourd’hui, les progrès socio-économiques conséquence de la manne globale dont le pays a amplement tiré profit, augmentent les coûts de production et obligent la direction politique à réviser son schéma de croissance pour moins d’investissements internes, moins de production de masse et une meilleure qualité de ses produits à l’export.

Mais il faut se rendre à l’évidence, la crise n’est pas cyclique. Elle est une mutation irréversible et les vieilles recettes ne suffiront pas à rester dans la course à la très haute valeur ajoutée. A Pékin, la direction politique l’a bien compris et place en tête de ses priorités la maîtrise des innovations numériques dont chacun sait que l’épicentre se trouve aux États-Unis, avec quelques répliques à Taiwan et au Japon.

C’est pourquoi l’ensemble de la classe politique chinoise est aujourd’hui dépitée que le nouvel exécutif à Taipei ait mis un veto à un investissement majoritaire de Qinghua Unigroup (紫光- Ziguang - ) dans le fabricant de semi-conducteurs taiwanais Powertech Technology In. (力 成 科技) allié au Japonais Elpida Memory et au Taiwanais United Microelecttronic Corporation 聯華 電子 associés dans un projet de développement de semi-conducteurs de dernière génération.

La nouvelle, rendue publique le 16 janvier croise à la fois la récente montée des tensions dans le Détroit et la quête de technologies du Continent, conscient que sa modernisation passe par la maîtrise de la high-tech numérique. Le projet qui avait reçu à Taiwan l’aval du Yuan Législatif, a été stoppé par Tsai Ing-wen qui, lors de sa campagne, avait mentionné la menace que faisait peser sur l’Île la captation de technologies sensibles par la Chine.

Initialement Unigroup envisageait d’investir 2,6 Mds de $ dans les trois compagnies associées pour créer un fabricant de semi-conducteurs de classe mondiale. Rappelons que la Chine, plus gros utilisateur de microprocesseurs de la planète, importe chaque année pour 200 Mds de semi-conducteurs américains, japonais et taiwanais. Pour l’industrie high-tech chinoise le blocage de la fusion est un coup sévère porté à ses projets de modernisation.

NOTE de CONTEXTE.

Davos 2017, l’aristocratie mondiale face à la plèbe.

Le 16 janvier, Gérard Baker signait dans le WSJ un saisissant raccourci de la situation sociale mondiale comparée à celle de la France prérévolutionnaire du XVIIIe siècle et de la Russie du début du XXe.

A Davos dit-il, s’est rassemblée comme chaque année, l’aristocratie mondiale composée de chefs de gouvernements, de banquiers internationaux, de PDG de grands groupes multinationaux, d’experts académiques et de medias dans le vent. Réunis pour faire le point de la situation mondiale telle qu’ils l’ont eux-même créée, ils débattent doctement de la manière d’améliorer son fonctionnement. Mais pour peu qu’elle ait un minimum de clairvoyance l’élite globale pourrait commencer à faire l’inconfortable parallèle de sa situation avec celle de ses prédécesseurs nantis du XVIIIe en France ou du début du XXe siècle en Russie.

En 2017, la vague de colère qui a submergé les principales économies de la planète en 2016, avec le Brexit, l’élection de D. Trump et l’audience de plus en plus grande des mouvements nationalistes et antisystème s’est invitée aux portes de la très huppée ville suisse de Davos.

Certes au milieu des toasts au champagne l’élite mondiale fait de son mieux pour banaliser la flamboyance du rassemblement. Mais l’événement rappelle tout de même les fêtes royales à Versailles ou celles du palais d’hiver de Saint Petersbourg. Pour l’aristocratie du XXIe siècle, les cloches du tocsin sonnent à toute volée, plus fort que jamais, au point que le rassemblement de Davos concentre à lui seul la colère et toutes les vindictes nationalistes.

Pourtant, ajoute Baker, Davos fut l’idée dominante de l’après guerre froide, selon laquelle le monde pouvait être à la fois un marché et un régime politique uniques, sans barrières, sans sentiments nationaux, tous placés sous la coupe d’institutions supra nationales devenues indispensables face aux grands défis de l’humanité allant du changement climatique, à la pauvreté en passant par les maladies chroniques. Tandis que les États Nations étaient méprisés suite à l’évaporation de leur pouvoir et même considérés comme de dangereux obstacles à la réalisation d’un monde uniforme dédié au commerce. Sans surprise, les participants à Davos furent les principaux bénéficiaires de l’idée.

Il reste que le fossé entre cette coterie de luxe et le reste du monde est frappant. Regroupée dans un prolétariat mondial où l’on retrouve des Américains du Wisconsin, des Britanniques du Linconshire, des Français de Calais, des Chinois de Chongqing et des Indiens de Gurajat, ayant entre eux plus de points communs qu’avec les aristocrates de Davos, la plèbe mondiale dessine les limites de l’exercice. L’idée a brillamment fonctionné au profit de l’oligarchie des globe-trotteurs planétaires. Mais pour les sédentaires laissés pour compte, mal éduqués, sans accès aux clés du succès dans une économie déprimée, les avantages ne sont plus évidents.

Certes, la globalisation a attisé la croissance rapide de l’économie mondiale au cours du dernier quart de siècle, extirpant de la pauvreté des centaines de millions de Terriens. Mais, pour beaucoup, notamment dans les couches traditionnelles du monde occidental, le prix à payer a été élevé, tandis que, pour la plupart des classes moyennes, le progrès d’une humanité sans frontières reste une idée abstraite. Au temps du terrorisme, les frontières nationales sont aujourd’hui moins perçues comme des obstacles au voyage et au commerce, que comme une sécurité contre une menace d’autant plus redoutable qu’elle est difficile à cerner.

Désormais se pose aux dirigeants réunis à Davos une question à deux faces :
1) Vont-ils continuer à ignorer les scrutins exigeant qu’on maintienne ou qu’on restaure les frontières, en qualifiant les électeurs de racistes, de xénophobes ou de néo-fascistes ? Ou sont-ils au moins prêts à reconnaître que les sentiments nationaux subjuguent l’idéologie mondialiste ?

2) Qu’ont-ils l’intention de faire à ce sujet ?

Si l’oligarchie de Davos refuse de répondre à ces questions dès 2017, tout ce qu’elle peut espérer est une version moderne moins violente mais pas moins significative des événements qui mirent fin aux règnes des Bourbon ou des Romanov.

 

 

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