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›› Société

Modernité et familles élargies. Emancipation des femmes et divorce

A l’occasion du Chunjie a eu lieu près du village de Shishe dans le Zhejiang un rassemblement monstre réunissant les 500 membres d’une famille portant le même nom de Ren 任 (signifiant « entrer en fonction » ou « assurer un poste »). Zhao Yashan, correspondant de la BBC, explique que tous les participants à cette fête s’enorgueillissent que leurs racines récemment mises à jour par les anciens du village, renvoient à plus de huit siècles en arrière, au temps où le sud de la Chine était gouverné par les Song (宋朝) dont la capitale était Lin’an, actuelle Hangzhou.

Pour le chef du village appartenant à la 26e génération et portant évidemment le patronyme de Ren, les participants à ce vaste rassemblement largement commenté dans la presse et les réseaux sociaux, sont venus de Pékin, Shanghai, du Xinjiang et de Taiwan. Tous avaient au moins deux objectifs communs : retrouver leurs racines et comprendre comment leurs ancêtres avaient essaimé dans toute la Chine.

L’occasion suggère de revenir sur la conception sociale de la famille en Chine dont les liens articulés autour du patronyme commun devenu un emblème, rassemble souvent des membres ne se connaissant pas, vivant loin de leurs origines, mais néanmoins attachés les uns aux autres, à leurs racines et à leur histoire. En même temps, même si la tradition reste vivace portant une forte charge sentimentale, l’héritage culturel qui reste aussi un puissant filet de sécurité social dans cette période de transition, est mis à rude épreuve par la bourrasque de la modernité.

Famille et confucianisme.

C’est peu dire que la famille (Jia 家), dont le caractère se décompose en deux radicaux, celui du toit au-dessus et celui des « suidés » (porcins) en-dessous, réminiscence de la ruralité et des traditions d’élevage domestique, est une des clés de la compréhension de la société chinoise.

En fait, le fond de la philosophie confucéenne spéculant sur la vertu mythique d’un État idéal sous l’autorité paternelle d’un Empereur mandaté par le Ciel, s’inspirait de l’aspiration d’harmonie familiale.

Celle-ci est obtenue grâce au respect des principes de la relation à autrui (relation du fils au père, modèle de la relation du sujet au souverain, du cadet à l’aîné, de l’épouse au mari, et entre amis) dont l’observance ayant un caractère rituel, 禮 Li ou 礼 (simplifié) ordonne la société autour de la confiance. Il n’est pas anodin que le premier phonème du mot chinois désignant la politesse Li mao 禮貌 soit aussi celui des rites.

Au passage, cette conception paternaliste laissait peu de place à la femme puisque, même après son mariage elle restait considérée comme étrangère à la lignée patriarcale. Quand elle était répertoriée dans le livret de famille traditionnel, ce qui n’était pas toujours le cas, son nom était précédé par un « 外 » (wai - extérieur ou étranger).

Familles élargies et modernité.

Même si la configuration souvent citée de 4 générations sous le même toit (四世同堂) était rare, la puissance du concept familial est telle que souvent les membres d’une même famille y compris les enfants adultes ayant eux-mêmes des enfants restent vivre à proximité des parents. Selon une étude sociale chinoise datant de 2012 portant sur des populations rurales et urbaines, plus de 60% des parents déclarèrent vivre avec leurs enfants, avec comme motivation essentielle, le partage des frais.

Quant à ceux dont l’existence professionnelle s’est développée loin des racines, ils avaient et ont toujours l’obligation morale de visiter leurs parents au moins une fois l’an. Durant les périodes troublées de la guerre civile, du grand bond en avant et de la révolution culturelle, ces solidarités familiales furent d’un grand secours aux Chinois.

La révolution communiste et la modernisation du pays n’ont pas effacé ces traditions encore très vivaces, mais elles exercent sur elles une forte pression. La croissance rapide de la partie Est du pays a entraîné les migrations vers les provinces les plus riches de travailleurs saisonniers. Sur leur lieu de travail dans l’Est, ils vivent en célibataires ou en couple, mais laissent leur enfant à la charge des grands parents dans l’arrière-pays. .

En dépit de l’émancipation de la classe moyenne, les plus jeunes sont toujours soumis au harcèlement des parents qui les incitent à se marier le plus vite possible et à avoir des enfants.

Enfin, s’il est vrai que l’emprise familiale reste toujours un des éléments marquant la vie des jeunes, à quoi s’ajoutent les effets de la politique d’une seule Chine faisant qu’après le mariage les quatre parents sont à la charge du couple d’enfants uniques, il reste que les formes de familles élargies sont multiples et évoluent.

Les nouvelles familles élargies.

Depuis 30 ans, la vie des familles et les valeurs qui y sont attachées se sont lentement modifiées. Avant les réformes, l’ancien système des communes rurales et des usines d’État procurait le minimum vital des besoins courants, tout en pesant lourdement dans la vie des particuliers, ne leur offrant qu’une mobilité professionnelle et géographique réduite.

Aujourd’hui, les disponibilités de logement, du marché du travail et les progrès de l’éducation font surgir de nouvelles opportunités de vie et d’enrichissement. En même temps, la transition en cours qui s’accompagne d’un puissant exode rural, apporte son lot de tensions et de défis.

Souvent la planche de salut reste la famille et la solidité des liens entre générations. De sorte qu’en Chine, même si toutes les études montrent que la famille nucléaire (grands-parents, parents, enfants avec un total de 4 à 6 personnes) ressemble en théorie à celle de l’Occident, les noyaux familiaux restent enserrés dans la « famille élargie  », lieu de vie collectif, préféré à l’individualisme des familles occidentales.

En dépit des poussées de la modernisation qui éclate les familles et les oblige souvent à vivre loin, le concept de famille élargie résiste. Alors que les facilités minima de l’ancienne société collective disparaissent, il joue un rôle essentiel durant le jeune âge des enfants et au moment de la vieillesse et de la mort.

Le schéma familial à la fois influencé par la grande tradition confucéenne, la modernisation du pays, l’exode rural et les réformes de l’après-Mao, n’est ni figé, ni monolithique et peut prendre des formes diverses dans un contexte où les filets sociaux sont encore insuffisants, parfois inexistants.

On trouve des « familles élargies temporaires  » où les chefs de famille sont les grands-parents, des « familles élargies “à deux têtes“ » parents et grands-parents vivant côte à côte, mais formant deux foyers. D’autres formes sont géographiquement éclatées, mais solidaires où les parents, tous deux migrants intérieurs, ont confié l’éducation, au moins primaire, de l’enfant unique aux grands parents, restés au pays.

Lire notre article : Urbanisation, mutations sociales et défaillances du lien filial

Émancipation des femmes et divorce.

Enfin, l’évolution de la famille traditionnelle reste subordonnée à deux variables encore mal étudiées par les sociologues chinois : la transformation du rôle et du statut de la femme ; l’instabilité croissante des familles nucléaires et l’augmentation du nombre de divorces.

La position de la femme chinoise reste enfermée dans une contradiction. La révolution maoïste a certes écarté la vision archaïque de la femme, les obstacles à son éducation et l’a priori d’infériorité légale, tandis que, depuis les réformes, on ne compte plus les femmes à succès, notamment dans la nouvelle nébuleuse des entreprises privées et les métiers de services.

Mais tout bien pesé, disent les organisations féministes, même si la Chine est bien placée dans le classement mondial des opportunités offertes aux femmes, il reste un soubassement d’inégalité freinant encore leur ascension sociale.

Comme en Occident, l’émancipation des femmes s’accompagne de plusieurs phénomènes ayant une incidence directe sur les familles : l’allongement de l’âge du mariage et l’augmentation des divorces, conséquence, parfois même condition et symbole de la quête d’indépendance et du désir d’accomplissement individuel et professionnel.

Les études sociales montrent que l’âge du 1er mariage recule. Chez les 20 – 24 ans, les célibataires qui n’étaient que 62,5% en 1990 sont aujourd’hui plus de 85%. Quant au divorce il touche plus de 20% des couples (près de 30% en zone urbaine), contre seulement 13% en 1997. La raison de cette floraison de séparations pour la plupart à la suite de l’adultère du mari, sont d’abord l’introduction dans les années 80 puis en 2003, des lois sur le divorce par consentement mutuel et la disparition presque totale de l’opprobre social autrefois attaché au divorce.

 

 

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