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›› Lectures et opinions

Coup d’Etat à Pékin. Sexe, meurtre et corruption en Chine

Les éditions Slatkine & Cie viennent de publier en Français sous la direction de Vera Su une passionnante enquête sur l’affaire Bo Xilai qui secoua le parti communiste chinois en 2011 et 2012, en amont du 18e congrès.

Mise à jour pour le public français d’une première édition parue en 2013 en Anglais sous le titre « A Death in the Lucky Holiday Hotel », l’ouvrage, interdit en Chine, décrit avec force détails et le souci constant de croiser les sources, la plus grande embardée politique du régime chinois depuis l’élimination de la « Bande des Quatre » et, dix ans plus tard, le spasme de la répression de Tian An Men.

A la fois pédagogique et prudent, se tenant à distance des conclusions définitives, ce travail d’horloger mesuré et précis qui est aussi une accablante description des arcanes du système politique chinois, est l’œuvre de deux journalistes chinois émigrés aux Etats-Unis.

Ho Pin, 52 ans, fondateur il y a 25 ans à New-York de Mingjing News, source d’informations confidentielles sur la Chine, alimentant les médias occidentaux à partir de contacts immergés dans le sérail politique chinois ;

Huang Wenguang, journaliste et traducteur résidant à Chicago dont les articles sont publiés dans le Chicago Tribune, la Paris Review et Christian Science Monitor. Auteur d’un livre souvenirs « TheLittle red Guard », Huang a aussi traduit plusieurs ouvrages du dissident Liao Yiwu.

La traduction française de « Coup d’État à Pékin » à partir de la version anglaise est de Georges Liébert, qui a aussi co-traduit avec Béatrice Vierne, « Mao, l’histoire inconnue » de Jun Chang et Jon Halliday (Gallimard 2006). Il existe aussi une version en Chinois également parue en 2013, 中國 權貴的死亡 遊戲 « Jeux de pouvoir mortels entre dignitaires chinois »

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Alors que le parti s’apprête, lors du 19e Congrès, à faire entériner le renouvellement d’une partie importante de l’appareil, dont 5 membres du Comité permanent que le président XI cherchera à remplacer par des alliés politiques dont certains seront des candidats sérieux pour lui succéder en 2022, la lecture de l’ouvrage offre une vue saisissante de la réalité des luttes de clans dans les entrailles de la machine politique chinoise.

La puissance des secousses décrites dans l’enquête donne une idée de la fragilité de la transition et des efforts que chaque groupe d’influence devra consentir pour préserver la stabilité, l’un des héritages politiques majeurs de Deng Xiaoping.

Un explosif à retard devenu détonnant.

La mèche lente de la chute du n°1 de Chongqing, trame de l’ouvrage, s’est allumée quand, le 15 novembre 2011, une année exactement avant le 18e Congrès, le corps sans vie du consultant anglais Neil Heywood proche de la famille Bo a été découvert dans une suite de l’hôtel Bellevue à Nanshan, les collines situées à 5km au sud d’une des boucles du Yangzi au sud-est de la municipalité autonome de Chongqing au terriroire vaste comme l’Autriche et peuplée de 33 millions d’habitants dont Bo Xilai, le fils du vétéran maoïste Bo Yibo, était le secrétaire général.

En affaires avec la famille depuis l’époque où Bo était maire de Dalian, tuteur bénévole de leur fils Bo Guagua quand il étudiait à Harrow, Heywood était, suite à l’échec de plusieurs projets d’investissement, en litige financier avec Gu Kailai, deuxième épouse émancipée du secrétaire général Bo. Fille du héros révolutionnaire Gu Jingsheng, la mère de Bo Guagua était aussi une avocate à succès depuis qu’elle avait gagné un procès commercial aux États-Unis.

Après que la mort du consultant ait été une première fois classée sans suite, concluant au décès par arrêt cardiaque causée par une overdose, une deuxième investigation incrimina Gu Kailai accusée d’avoir éliminé Heywood pour protéger son fils sur qui l’Anglais faisait pression pour obtenir réparation financière de ses projets avortés.

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La première déflagration provoquée par la mèche allumée à Chongqing eut lieu trois mois plus tard au consulat américain de Chengdu où s’était réfugié Wang Lijun, l’incontrôlable chef de la police de Bo Xilai. Maître d’œuvre narcissique et tyrannique d’une très violente campagne d’éradication de la corruption et des clans mafieux de l’ancienne capitale de Tchang Kai-chek, Wang qui se présentait lui-même comme un guerrier incorruptible descendant de Gengis Khan, usait de méthodes arbitraires oppressives et violentes qui terrorisaient autant les clans mafieux que sa propre administration.

Mais sa relation avec Bo Xilai s’était soudain dégradée. Déjà destitué de sa fonction de chef de la police, ayant confié à son patron qu’il soupçonnait son épouse d’avoir assassiné Heywood, il craignait pour sa vie à la suite d’une violente altercation avec son chef.

Sa fuite à Chengdu transforma une affaire locale en crise internationale, mettant brutalement à jour la lutte de clans au sein du régime. Celle-ci était à ce point exacerbée entre le fief de Bo Xilai et Pékin qu’au sommet du pouvoir, le président Hu Jintao craignait un affrontement entre les polices de Chongqing et de la capitale, chacune d’elles voulant récupérer le fugitif pour le protéger des feux indiscrets de l’actualité et réarranger la vérité à sa manière.

La deuxième explosion provoquée par le grésillement de la mèche Heywood fut encore plus violente. Alors qu’à la fin de l’hiver 2012, ronronnait la réunion annuelle des assemblées - 两会 -, exercice pré-écrit figurant les apparences d’une démocratie parlementaire, le parti transgressa soudain toutes les conventions obligées de l’opacité et de la solidarité des instances du régime entre elles édictées par Deng Xiaoping après les affres de la révolution culturelle.

Le 14 mars, lors de la conférence de presse de clôture du premier ministre, répondant à un journaliste, Wen Jiabao qui exprimait la position arrêtée et dûment pesée en secret par le Comité permanent, consulta ses notes et signa l’arrêt de mort politique de Bo Xilai : « l’actuel Comité du Parti de la ville de Chongqing et l’administration municipale doivent sérieusement réfléchir à l’incident Wang Lijun et en tirer les leçons ».

Une féroce lutte de pouvoir.

Pour les auteurs, le meurtre de Heywood dont ils attribuent plus la responsabilité à Wang Lijun qu’à Gu Kalai marionnette manipulée devenue psychologiquement instable, n’était que le prétexte pour se débarrasser du flamboyant Bo Xilai. Depuis sa féodalité de Chongqing, le fils de Bo Yibo violait les conventions de façade de l’harmonie politique du système et défiait le pouvoir central par une bruyante politique sociale et populiste, d’inspiration maoïste.

Résumée dans le slogan « Chanter le rouge et briser le noir – 唱红 打 黑 », l’incartade politique qui réveillait chez nombre de caciques du régime les pires souvenirs de la révolution culturelle, était en réalité le stratagème ultime de Bo Xilai, lui-même à la fois corrompu et férocement ambitieux, pour contraindre, par la pression populaire de ses suiveurs, l’appareil à le coopter au sein du Comité permanent du bureau politique, le saint des saints du pouvoir chinois.

La suite est à l’image de la couverture du livre, une chute en cascade des grands « dominos » du pouvoir, entraînés par la descente aux enfers de Bo Xilai et de son épouse. Après la condamnation à mort avec un sursis de deux ans de Gu Kalai, son mari exclu du Parti écopa en septembre 2013 d’une peine à perpétuité. Non pas, comme on aurait pu le croire, pour complicité de meurtre ou dissimulation de preuves, mais pour corruption et conduite immorale ce qui, disent les auteurs, « ne manqua pas de satisfaire l’opinion qui déteste les responsables corrompus ».

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La chute de Zhou Yongkang.

En réalité l’affaire était la pointe émergée d’une impitoyable lutte de clans dont les secousses allaient encore frapper de plein fouet une autre figure de pouvoir, Zhou Yongkang, n°10 du Comité permanent, ancien patron du géant pétrolier CNPC dans sa féodalité excentrée de Daqing à 1000 km au nord de Pékin et devenu en 2007 le maître de l’appareil de sécurité chinois.

Déjà soupçonné par d’insistantes rumeurs d’avoir, quand il était n°1 au Sichuan, fait assassiner sa première femme pour épouser Jiang Xiaoye une présentatrice de CCTV de 28 ans sa cadette, Zhou ayant, par quelques prises de position manifesté son soutien à Bo Xilai, devint la plus emblématique victime collatérale de la pyrotechnie allumée à l’automne 2011 sur les montagnes de Nanshan à Chongqing.

Alors qu’il voulait faire du n°1 de Chongqing son successeur à la tête de la Commission des affaires juridiques au sein du Comité permanent, son étoile se fracassa brutalement emportée par les déflagrations successives du scandale, manifestations visibles de la bataille pour le pouvoir.

Le 6 décembre 2014, après une stratégie d’attaque circulaire ayant visé sa base politique et ses proches, alors que la machine politique du régime avait tourné la page du couple Hu Jintao Wen Jiabao et porté au sommet Xi Jinping, un fils de prince de la même génération que Bo Xilai, dont les bases politiques et familiales se trouvent au Fujian, au Zhejiang et au Shaanxi, Xinhua annonçait que Zhou Yongkang était exclu du Parti pour corruption, comportement immoral, divulgation de secrets d’État et violation de la discipline du parti en matière d’organisation et de confidentialité. La dernière charge retenue exprimait clairement que Zhou avait participé à des activités jugées factieuses menaçant le pouvoir du Président.

Son procès fut une rupture. Alors que celui de Bo Xilai avait tenté de présenter une image transparente de la justice, le jugement de Zhou renoua avec les habitudes de secret. La sentence qui le condamna lui aussi à perpétuité, a été prononcée à huis clos en juin 2015 à Tianjin. Prononcée par le régime plus de 2 ans après l’avènement de Xi Jinping, elle fut à la fois la queue de trajectoire de la lutte pour le pouvoir de 2011 et 2012 et un des premiers événements symboliques de la bataille sans pitié lancée par le nouveau Secrétaire Général pour éradiquer la corruption.

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Les victimes collatérales anonymes de ce violent spasme politique de la Chine moderne sont rarement évoquées par la presse occidentale. Il serait d’autant plus injuste de les passer sous silence que, toujours entourées de mystère, elles jettent un inquiétant brouillard sur le fonctionnement du régime qui, disent les auteurs, se comporte toujours comme s’il était encore à l’époque de la guerre civile, à la tête d’unités rebelles obligées, par sécurité, de protéger le secret de leurs manœuvres.

Le premier décès étrange évoqué par les auteurs fut celui de Mang Mingan, le procureur en chef du procès de Gu Kailai à Hefei, retrouvé mort dans l’immeuble résidentiel où, dit le rapport officiel de la police, il se serait pendu. L’autre mort inexpliquée renvoie à une des grandes plaies du fonctionnement de la machine politique, objet de la lutte contre la corruption : la soumission de l’appareil à l’influence des grands et petits lobbies de l’économie.

Les racines de la corruption endémique.

Aggravée par un système de promotion par cooptation et la collusion étroite entre les hommes d’affaires et le parti dont l’ampleur s’est développée sans limites après que Jiang Zemin successeur de Zhao Ziyang intronisé par Deng Xiaoping en 1989 ait, par le truchement du dogme des « Trois représentativités », autorisé le Parti à coopter les hommes d’affaires, la corruption est le fond de tableau de la mort suspecte à 44 ans dans une prison de Wuhan, le 4 décembre 2015, de Xu Ming.

Milliardaire basé à Dalian, ce dernier est, dans un chapitre entier du livre, décrit comme la « tire-lire de Bo Xilai », au cœur d’une vaste nébuleuse de trafic d’influence, d’appels d’offres frelatés, de pots de vin et de dessous de table.

Cette situation de grave délabrement éthique avait fait dire au sociologue Zhang Musheng, dans un ouvrage publié en avril 2011, intitulé « Modifier notre approche culturelle de l’histoire 改造 我们的文化历史观 - gaizao women de wenhua lishi guan - », « Aujourd’hui il n’y a pas seulement une collusion entre des bureaucrates corrompus, le capital et des intermédiaires parasites, il y a aussi les dirigeants qui se vendent et la manipulation du pouvoir politique corrompu par des réseaux criminels ».

Les dévoilements en cascade des turpitudes de l’oligarchie par la campagne anti-corruption diligentée depuis 2012 par Xi Jinping et Wang Qishan, le président de la Commission Centrale de discipline, confirment cette analyse.

Grande vulnérabilité du régime que Xi Jinping combat âprement depuis 2012, la corruption endémique est à la racine du penchant obsessionnel pour le secret dont font preuve tous les dignitaires inquiets que les révélations des malversations et écarts de comportement de certains entraînent des réactions en chaîne. Wen Jiabao, le premier ministre en a fait l’amère expérience puisque l’épisode Bo Xilai déclencha une sévère contre attaque dont il fut la cible.

Wen Jiabao, et Ling Jihua dommages collatéraux.

Alors qu’il s’était construit l’image publique d’un responsable à la fibre sociale, adepte de l’ouverture politique et de la possibilité donnée au peuple de contrôler l’action publique, Wen qui s’était depuis mars 2012 ouvertement présenté comme le principal ennemi des embardées populistes de Bo Xilai, fut durement touché par un article paru dans le New-York Times le 25 octobre 2012 étalant au grand jour les fortunes de sa femme et de son fils évaluées à « au moins 2,7 milliards de $ ».

Parfois, plus que les ennemis, c’est le sort qui se venge. Avant même l’affaiblissement de la figure paternaliste de « papi Wen – 温 爷爷 - », Hu Jintao fut lui-même éclaboussé par le scandale de l’accident le 18 mars 2012 de la « Ferrari noire » - à près de 800 000 $ - sur le 4e périphérique de Pékin, à bord de laquelle se trouvait le corps sans vie et déshabillé du jeune Ling Gu 23 ans, le fils de Ling Jihua, chef de cabinet du président.

Désintégrée par le choc, la carcasse de la Ferrari contenait également les corps désarticulés mais encore en vie de deux jeunes étudiantes tibétaines. Les enquêtes et les indiscrétions alimentant le site Mingjing News finirent par mettre à jour que Ling Jihua était un allié secret de Bo Xilai et son principal atout au cœur du pouvoir par lequel il espérait survivre aux attaques.

Yang Ji, l’une des deux Tibétaines ayant survécu à l’accident fut une autre victime collatérale des habitudes de secret du régime. Ayant commencé à « tweeter » à des amies sur WeChat sur les circonstances de l’accident, un jour, elle perdit soudain connaissance et mourut. Son corps fut immédiatement incinéré.

Cet épisode sinistre et dramatique qui révéla qu’un des fils de l’oligarchie roulait dans une voiture dont le prix représentait plus de 50 fois le salaire annuel d’un haut fonctionnaire, sonna le glas de l’influence de Hu Jintao et renforça la main politique Xi Jinping sur le pouvoir.

L’image de Xi Jinping renforcée.

Opposé à toute remise en question du rôle de Mao, animé par le sentiment d’urgence face à la gangrène de la corruption et soucieux d’augmenter l’efficacité de son mandat, le nouveau Secrétaire Général, nationaliste placide et sans états d’âme, a aussi tourné le dos au précepte de collégialité édicté par Deng Xiaoping.

Ce dernier est aujourd’hui battu en brèche et remplacé une gouvernance directe articulée autour de conseillers et d’une série de commissions dont le président a lui-même pris la tête. Son modèle : le « despotisme éclairé » qui prône à la fois le rôle dirigeant du secrétaire général, le contrôle de l’appareil judiciaire par le Parti, ainsi que le rejet des valeurs occidentales et de la démocratie.

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La continuité de histoire dynastique.

Ayant ainsi, par le fil conducteur d’une mèche lente allumée à Chongqing à l’automne 2011, devenue à partir de mars 2012 en cordeau détonnant aux effets dévastateurs, décrit quelques travers préoccupants du régime allant de la corruption endémique au secret, en passant par le poids des groupes d’influence dont la girouette s’oriente toujours au gré de leurs intérêts tantôt conservateurs, tantôt réformistes, les auteurs se sont aussi appliqués à relier les péripéties qu’ils racontent à l’histoire ancestrale de la Chine.

Comme si, en dépit de la rupture révolutionnaire, ils voulaient montrer la continuité de l’esprit dynastique, considérant les communistes ploutocrates comme un système de pouvoir dont le style impérial serait renforcé par les habitudes de secret et les féroces luttes de clans adverses à chaque Congrès. Tout au long de la lecture plusieurs exemples établissent ce lien avec la vieille histoire dont l’oligarchie raffole, y voyant peut-être le moyen de consolider par la longue histoire une légitimité populaire fragile.

Le mythe du guerrier et le destin des Kuli.

Dès les premières pages nous voilà face à Gengis Khan, modèle de Wang Lijun traduction chinoise de Ünen Bayatar qui signifie « héros authentique » en Mongol. Dans l’ouvrage, le préfet de police de Chongqing Wang renvoie aussi à la figure des « Kulis » - 酷 吏 - ces « exécuteurs de basses œuvres », tyrans étroitement associés aux rois et aux dirigeants despotiques, mais toujours écartés par leur maîtres quand ils devinrent un handicap, souvent persécutés par d’autres « Kulis » plus puissants qu’eux.

Page 109, on lit ceci « Les empereurs ont été déposés et le régime monarchique a été aboli il y a cent ans, mais le système totalitaire est resté le même. Les responsables communistes tels que Bo Xilai, gouvernent comme des empereurs. Il n’est pas surprenant que les « Kulis » continuent à prospérer et à mal finir ».

L’utopie d’une justice indépendante.

Une autre référence historique plus édifiante, mais qui renvoie à la quête de légitimité de l’appareil judiciaire, est celle de Hefei, capitale de l’Anhui, province d’origine de Hu Jintao, où se déroula procès de Gu Kailai. C’est en effet à Hefei que, sous les Song, vivait il y a plus de mille ans un juge illustre du nom de Bao Zheng, représenté dans l’opéra chinois par un masque noir, symbolisant « la rage » de la justice qui faisait couper les têtes des corrompus et des malfrats.

Avec son sabre offert par l’Empereur qu’il brandissait au tribunal, il pouvait, dit-on, décapiter même les membres de la famille impériale sans craindre de représailles. Sujet de nombreuses séries télévisées populaires, « Son nom est devenu synonyme d’équité et de justice. »

« L’eau empoisonnée » ou les « femmes renardes ».

Un autre repère mythique courant tout au long de l’ouvrage est celui de « l’eau empoisonnée – 毒水- » ou des « femmes renardes – 狐狸 精 - » esprits malins déguisés en jolies femmes dont l’influence malveillante sur les hommes engendre de grands malheurs. La plus célèbre image réelle de ce mythe dans l’histoire chinoise est Yang Yuhuan 杨玉環 ou Yang Guifei 杨 贵妃。

Après avoir été l’épouse d’un prince impérial, elle devint la maîtresse de l’empereur Xuanzong 玄 宗 des Tang (700 ap. JC) qui négligea ses devoirs et laissa la cour sombrer dans le désordre, prélude à la rébellion du général An Lushan dont la jolie concubine dut porter la responsabilité qu’elle paya de sa vie.

D’autres jolies femmes furent ainsi désignées à la vindicte comme Wang Guangmei 王光美, épouse de Liu Shaoqi 刘少奇, président de la République et rivale de Jiang Qing 江青, la femme de Mao. Durant l’année 1967, la belle Wang Guangmei dut défiler avec son mari devant plus 100 000 personnes rassemblées sur la place Tian Anmen où tous le deux furent humiliés et torturés. Gu Kailai fut, selon les auteurs « l’eau empoisonnée » de son mari qui l’accabla lors de son procès.

L’orphelin Zhao.

La dernière référence historique, sujet de l’épilogue, est aussi un essai de prospective de la vie du fils de Gu Kailai, Bo Guagua, que les auteurs comparent à l’orphelin Zhao 趙 孤儿 pièce de théâtre écrite durant la dynastie Yuan, dont le thème central est la revanche. Pourchassé après sa naissance, l’orphelin dont le clan fut anéanti par les rivaux de sa famille, resta caché dans les montagnes sous la protection d’un sage qui l’éduqua jusqu’à en faire, vingt ans plus tard, un érudit de grand talent et un vaillant guerrier.

Les auteurs voient une réminiscence de l’orphelin Zhao dans le fait qu’en 2012 certains ennemis de Bo Xilai réclamèrent l’extradition de Bo Guagua qui disparut un temps de la scène publique. Devenu avocat inscrit au barreau de New-York, il devrait s’installer au Canada. L’avenir dira si, comme le suggère l’imagination des auteurs, le fils du prince déchu de Chongqing, petit fils du général révolutionnaire Gu Jingsheng, sera l’un des héros d’une saga politique d’intrépides jeunes hommes revenant chez eux pour façonner la Chine de demain.

L’obsession maoïste.

Mais, le fil conducteur historique majeur de l’ouvrage est bien l’obsédante référence au Maoïsme dont la classe politique chinoise empêtrée dans les contradictions du développement inégal du pays ne parvient pas à s’extraire, soit qu’elle est un repoussoir, soit qu’elle exprime la quête d’une voie chinoise du progrès politique, en dehors des modèles occidentaux.

Avant la chute de Bo, l’expérience conduite à Chongqing n’avait certes pas l’approbation de Wen Jiabao. Il reste que, pour beaucoup, elle proposait une troisième voie originale et consensuelle, jusqu’ici introuvable, tout à la fois plus proche du peuple et capable de supprimer les abus, en réduisant les écarts de niveau de vie, réussissant aussi à opérer un ajustement durable du schéma de développement, dont le moteur reste toujours l’investissement public massif et l’export.

En même temps, tous ceux craignant qu’une vraie compétition électorale pût menacer le magistère du parti étaient rassurés que l’expérience restât prudemment éloignée des systèmes démocratiques supposant l’existence d’une opposition, elle-même organisée pour l’affrontement politique et la conquête alternative du pouvoir.

Du point de vue de certains à Pékin, la solution Bo Xilai - Maoïsme revisité en autogestion -, offrait au Parti, en dépit de tous ses dérapages, une solution bienvenue dans un contexte général où de nombreuses voix dont celle du Premier Ministre lui-même, expliquaient que les blocages et contradictions actuelles ne sauraient être résolus sans une réforme démocratique.

C’est bien cette aversion au risque démocratique que l’ambition de Bo Xilai, se présentant comme le sauveur du Parti, a tenté d’instrumentaliser pour forcer son entrée au Comité Permanent. La folie tyrannique et grandiloquente de Wang Lijun que Bo n’a pas contrôlé et les angoisses maternelles de son épouse ont eu raison de son orgueil de pouvoir.

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Les références maoïstes sont toujours présentes dans la pensée politique de Xi Jinping comme une assurance de sécurité pour le régime. Les auteurs indiquent qu’au cours de ces dernières années le Président s’est fréquemment rendu sur les « lieux saints » de la révolution. A chaque fois, il a fait l’éloge de Mao. Au nouvel an 2016, il était à Jingganshan, dans le Jiangxi « dont l’esprit » a t-il dit « transcende le temps et l’espace ».

Rappelons aussi que dans ses rapports avec l’APL, le secrétaire général a plusieurs fois fait référence aux racines maoïstes du régime.

Après la tempête des condamnations et des mises en examen dans l’armée qui frappèrent l’ancien Commissaire politique Xu Caihou et l’ancien n°1 militaire du pays Guo Boxiong à la retraite et sa famille, ponctuée par le suicide à l’automne 2014 de 3 officiers généraux de l’armée de terre et de la marine accusés de corruption, Xi Jinping a, en novembre 2014, retrempé les chefs militaires dans l’épopée maoïste par un séminaire à Gutian, dans le Fujian.

En 1929, dans ce lieu historique où Mao, à l’époque Commissaire politique au nom du Komintern, avait réaffirmé l’absolu contrôle du parti sur l’armée, celui qui, par la propagande, deviendra le « grand timonier » avait déjà abordé les thèmes toujours actuels des « fautes disciplinaires », des « tendances claniques et putschistes » et « des excès de démocratie ».

Par cette référence au passé révolutionnaire du pays, Xi Jinping entend à la fois redresser l’éthique et tenir à distance l’influence occidentale considérée comme toxique pour la survie du Parti. Pour Xi Jinping, l’histoire de la Chine moderne est indivisible et ne souffre pas d’être revisitée à l’aune des critères occidentaux de la vérité historique.

Convaincu du prestige rémanent du « Grand Timonier » et de la force de cohésion de sa mémoire, incarnation du renouveau national après un siècle de déclin et d’humiliations et, pour beaucoup, symbole de moins d’inégalités, le Président ne cèdera pas aux sirènes des modernes tentés par la rupture historique avec le passé révolutionnaire.

Lire : Xi Jinping, l’APL et les mânes maoïstes.

 

 

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