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›› Politique intérieure

L’arrestation du PDG des assurances Anbang, pointe émergée du labyrinthe financier et politique chinois

Le 13 juin dernier, on apprenait l’arrestation de Wu Xiaohui, PDG des assurances Anbang. Milliardaire hors norme, étroitement connecté au pouvoir politique chinois, divorcé de Zhuo Ran, la petite fille de Deng Xiaoping, Wu s’est, depuis quelques années, distingué sur le marché financier chinois en tirant profit des règles floues du secteur des assurances, proposant à ses clients des contrats « mixtes » mêlant primes d’assurances et investissements lucratifs à court terme déguisés en placements à long terme.

A l’étranger, il fut un temps le symbole de l’agressivité financière des hommes d’affaires chinois et des OPA hostiles contre des actifs internationaux de renom.

Connecté à l’exécutif américain par le truchement de Jared Kushner avec qui il était, jusqu’à la fin mars, en négociation pour la relance commerciale de la tour Manhattan au n°666 de la 5e avenue de New-York, Wu Xiaohui symbolise à lui seul la complexité enchevêtrée du système financier chinois dont les racines plongent dans l’oligarchie et les clans rivaux, créant une nébuleuse intouchable opérant en limites des lois.

La nouvelle de sa détention a d’autant plus secoué le monde politique chinois que le 27 avril, il donnait une interview dans ses bureaux au journal « Nouveau Pékin – 新 北京 日报 », lié au pouvoir.

A cette occasion, alors que couraient déjà les rumeurs sur sa mise en examen, il avait tenté d’effacer son image de spadassin cynique de la finance opérant dans les zones grises des lois et de redorer son blason en promettant d’investir dans le système de santé chinois et l’assurance vieillesse. A cette date, la plupart des analystes jugeaient, malgré les bruits courant sur son compte, que l’épisode n’était qu’un accident de parcours dont Wu se relèverait sans dommages.

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Avant d’explorer les causes et les implications politiques de cette arrestation jugée invraisemblable il y a seulement quelques mois, il faut une fois de plus revenir sur le contexte trouble du système financier chinois objet de l’attention des observateurs partagés entre la prudence et l’inquiétude.

Cette perplexité se lit dans la récente dégradation de la note de la Chine par Moody’s qui jugeait cependant de manière plutôt contradictoire « les perspectives chinoises stables ». Une appréciation de la Deutsche Bank était tout aussi ambiguë « Nous continuons à croire qu’un accident financier interne reste une perspective éloignée, à moins d’une erreur majeure de l’exécutif ».

A l’analyse, le paysage révèle plusieurs facettes contradictoires.

D’une part l’extraordinaire succès des fonds de gestions d’actifs cœur de la finance grise dont les liens avec les banques publiques sont tolérés par les commissions de régulation qui autorisent les établissements bancaires à combler les éventuels déficits des placements à risques ; à quoi s’ajoutent les injections de liquidités par la banque centrale.

D’autre part, les efforts de régulation répressive des pouvoirs publics qui tentent de freiner les débordements, mais dont l’action est précisément limitée par la crainte des conséquences socio-politiques de mesures brutales à vaste échelle. Du coup, les redressements opérés par les pouvoir publics tendent à se concentrer moins sur le cœur des finances grises que sur les parties les plus visibles des débordements.

Dans ce contexte, trois phénomènes coexistent : la mode irrestible des fonds de gestion d’actifs ; le flot des capitaux publics destinés à éviter un assèchement du crédit ; la répression ciblée des débordements.

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Les piliers contradictoires des finances chinoises.

Le premier pilier évoqué plus haut, est l’augmentation rapide de la part des capitaux injectés dans des fonds d’investissements évaluées en avril dernier à 9000 Mds de $ par Bloomberg dont l’ampleur approche les 100 % du PIB.

50% d’entre eux concernent les fonds de gestion d’actifs aux risques largement sous estimés par le public chinois toujours persuadé que l’État viendrait au secours des fonds en difficultés. Pour l’heure en amont du Congrès, la tendance officielle du gouvernement préoccupé par la nécessité d’éviter toute crise financière pouvant déboucher sur des secousses sociales, donne raison aux investisseurs.

1.- La mode irresistibles des gestions d’actifs.

Si le public entend bien les mises en garde du pouvoir affimant qu’il ne viendra pas au secours des fonds en difficulté, il n’y croit pas. Il n’a pas pas tort. En dépit des déclarations évoquant une plus grande rigueur, le mouvement dominant des autorités financières reste cependant de veiller à un niveau de liquidités suffisant pour maintenir le rythme l’activité économique.

Lire l’article de Bloomberg : China Is Playing a $9 Trillion Game of Chicken With Savers

Sérieux obstacle aux mesures de redressement, selon Bloomberg l’importance des fonds de gestion d’actifs correspondant à 80% du PIB (4200 Mds de $ - chiffres de la Commission de régulation boursière -). Ce qui rend peu probable leur régulation publique plus sévère. D’autant que, pour les investisseurs, ils restent rentables, attractifs et sûrs.

Il est facile de comprendre pourquoi explique Bloomberg dans une analyse publiée le 11 avril dernier. Alors même que l’équilibre financier des fonds investissement dans des actifs volatils tels que l’immoblier où les obligations émises par les entreprises publiques est aléatoire, les retours des fonds de gestion d’actifs sont, en dépit des risques sous-jacents, remarquablement stables.

Sur les 181 000 produits financiers arrivés à maturité en 2015, seulement 44 dont la plupart avaient été achetés par des banques étrangères, ont enregistré des pertes. Aujourd’hui, les garanties moyennes de retour annuel des fonds de gestion d’actifs sont de 4,3%, contre 1,5% proposés par les banques publiques. Mais la réalité, moins florissante, renvoie aux vastes non-dits du système financier, dessinant une relation trouble entre le public, les banques et le pouvoir.

S’il est exact que les interventions de l’État pour tenir la tête hors de l’eau des fonds en difficultés sont rares, la vérité oblige à dire que, lorsque des produits financiers manquent à leurs promesses de retour sur investissement, les banques qui les distribuent, toutes liées à la puissance publique, mettent la main à la poche pour combler les différences.

2.- Le vaste flot des capitaux publics.

Dans cette logique, le deuxième pivot du sytème est l’important effort de la banque centrale pour maintenir le flot des liquidités disponibles et éviter un assèchement brutal du crédit. La tendance était en partie documentée par une dépêche de Xinhua du 2 mai dernier annonçant l’injection dans le système financier de 4000 Mds de Yuan (586 Mds de $) par la Banque Centrale et la Banque de Chine par le truchement de prêts à court et moyen termes de 6 mois à un an et différentes facilités de crédits.

Mais, selon la Deutsche Bank qui se réfère aux données officielles chinoises, les injections sont bien plus importantes. La valeur des seuls prêts à court et moyen termes est passée de 1000 Mds de Yuan en mai 2015 à 4000 Mds de Yuan en mars 2017, tandis que les autres crédits accordés aux banques sous diverses formes atteignent 5000 Mds de Yuan. Le total des facilités accordées aux banques et aux investisseurs du secteur industriel (9000 Mds de Yuan soit 1300 Mds de $), dessine un système de crédit dont l’exposition aux risques augmente régulièrement.

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Face à ce dilemme le pouvoir ne reste pas inactif, mais compte tenu de l’ampleur du phénomène, sa marge de manœuvre est limitée. Récemment la Banque Centrale a augmenté les taux d’intérêt. La nanoeuvre freine la tendance des fonds d’actifs à emprunter à court terme pour tenir leurs échances et leurs promesses de retour. Elle a également rehaussé le taux des obligations des entreprises publiques, principales cibles des spéculateurs des fonds d’actifs qui comptent sur la réactivité publique pour rattraper les éventuelles mauvaises performances de leurs produits financiers industriels.

3.- Repression ciblée des débordements.

Dernière offensive en date contre la finance grise, dont on voit bien qu’elle est consubstantielle du système financier chinois, le pouvoir s’est brutalement attaqué aux abus les plus flangrants récemment identifiés dans le secteur des assurances. S’il est vrai que ce dernier ne représente qu’une faible part des 9000 Mds de $ des actifs des fonds de gestion, il est aussi celui dont les débordement ont récemment été les plus manifestes.

Ainsi, à côté de l’avalanche de capitaux injectés dans les fonds de gestion d’actifs ; parallèlement aux efforts publics pour ne pas assécher les liquidités, le 3e phénomène observable aujourd’hui faisant la une de la plupart des journaux de la planète, est l’assaut brutal du pouvoir contre le groupe d’assurances Anbang dont le président Wu Xiaohui, bien connu des lecteurs de QC, a été mis sous les verrous le 13 juin dernier. Lire notre article La nouvelle agressivité des groupes chinois à l’international mise en perspective.

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Le 14 juin dernier, un article du New-York Times proposait une analyse à la fois technique et politique des raisons ayant poussé le pouvoir à cibler directement Wu. Depuis plusieurs années les stratégies aventureuses du magnat des assurances flirtent avec les limites sensibles de ce que le régime est prêt à accepter de la part de ses hommes d’affaires. Qu’il s’agisse du respect des lois et règlements internes ou des règles non écrites de la prévalence absolue du Parti sur la scène internationale.

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Les triples transgressions du groupe Anbang.

La fortune d’Anbang s’est d’abord construite en investissant des capitaux aux origines imprécises que beaucoup soupçonnent d’être liées aux fortunes des dirigeants, dans des primes d’assurance mêlées aux fonds de gestion d’actifs dont les retours lucratifs sont, sous le manteau, éventuellement garantis par les banques publiques.

La stratégie facilitée par une réglementation indulgente et relâchée du secteur des assurances récemment mise en lumière par la chute du régulateur Xiang Junbo et l’offensive publique contre les assurances Qianhai, avait permis une explosion extraordinairement rapide de la fortune de Wu à plus de 200 milliards de $.

Lire notre article Moody’s dégrade la note de la Chine, mais juge les perspectives chinoises « stables ».

Infractions aux règlements des assurances.

Début juin, après la mise à pied de Xiang Junbo, la Commission de régulation avait, premier coup de semonce, interdit à Anbang la mise sur le marché de produits financiers décrits comme des investissements à long terme mais n’étant en réalité que des spéculations à court terme sur des fonds de gestion d’actifs.

En même temps, tout le secteur des assurances était placé sous surveillance. « Life Insurance -恒大人寿保险 » et Huaxia Life 华夏人寿保险 ont été contraints de fermer leurs canaux d’investissements en ligne ; les assurances Foresea Life – 前海 -dans le collimateur de la Commission depuis décembre 2016, durent elles aussi fermer leur canal d’investissement en ligne et mettre un terme pour trois mois à leurs propositions de contrats d’assurance mixtes ; le PDG de « Sino Life Insurance -中国人寿保险 », Zhang Jun, objet d’une enquête de la Commission de discipline était appréhendé en mai 2017.

Entorses aux limites d’investissement à l’étranger.

Poussé par sa témérité ambitieuse et tirant profit du flou des règlements, Wu a aussi franchi les limites autorisées par les régulateurs fixant à seulement 15% des actifs les investissements à l’étranger des compagnies d’assurance. Après l’achat en 2014 du Waldorf Astoria payé 1,95 Mds $ au groupe Hilton, Anbang s’est agressivement engagé dans une suite d’acquisitions dans l’hôtellerie et l’immobilier.

Même les secousses boursières de juin 2015 ne l’arrêtèrent pas, ce qui obligea le gouvernement luttant contre la fuite des capitaux à durcir le contrôle des changes et à installer des mesures de plus en plus sévères d’encadrement des mouvements financiers vers l’étranger.

L’arrestation de Wu coïncide avec une nouvelle régulation applicable à partir de septembre 2017, selon laquelle les banques seront tenues d’adresser journellement à la Commission de régulation bancaire toute dépenses de leurs clients dépassant 1000 RMB, soit 147 $.

Faute politique.

Enfin dernière transgression, peut-être la plus grave aux yeux du Parti, en 2016, la presse internationale a amplement rendu compte des projets d’investissement des assurances Anbang dans l’immeuble de Manhattan appartenant à la famille Kusnher, soulevant nombre de soupçons et de commentaires publics sur les éventuelles influences de Pékin dans la politique américaine.

La manœuvre touchait à un tabou en général scrupuleusement respecté par les groupes chinois à l’étranger : « ne jamais se mêler de politique étrangère sans l’aval formel et explicite des dirigeants du régime »

Interrogé sur le sujet, Zhang Lifan historien et sociologue, ancien chercheur à l’Académie des Sciences Sociales dont il a démissioné, accréditait l’arrière plan politique de l’arrestation du PDG de Anbang, qu’il considère comme puissant message adressé en amont du Congrès aux opposants politiques et aux groupes, connectés à l’oligarchie ou pas, se mettant en travers des efforts d’assainissement entrepris par Xi Jinping.

 

 

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