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›› Economie

Xiongan la sœur jumelle de Pékin, nouveau grand défi de l’urbanisme chinois. Un enjeu socio-économique et politique pour Xi Jinping

Le 1er avril dernier, le gouvernement annonçait à grands renforts de publicité ce qui deviendra le projet urbain et socio-économique majeur du 2e mandat de 5 ans de l’actuelle direction politique : la délocalisation à 100 km au sud-ouest de Pékin dans une nouvelle capitale, de pans entiers de bureaux de 2e rang de l’administration centrale, d’entreprises publiques, de centres de recherches et d’innovation, d’universités d’usines et de zones résidentielles dont beaucoup seront dédiées à l’intégration des migrants dont les 22 millions d’habitants de l’actuelle capitale ne veulent pas et qui commencent à s’entasser dans des zones précaires à la périphérie de la ville.

Promu par Xi Jinping lui-même et élevée au rang de « projet du futur millénaire 千年 大计 », l’entreprise colossale destinée à désengorger et à dépolluer Pékin également aux prises avec un crise hydrique, se développe dans la province du Hebei et couvrira initialement une zone de 100 km2 dans la région de Baoding, englobant les districts de Xiong (雄) et Anxin 安 新 qui lui donnèrent son nom.

Grevé par de très lourds handicaps écologiques, l’entreprise, en réalité très différente des expériences des anciennes zones économiques spéciales, est un défi technique pour les planificateurs et un risque politique pour Xi Jinping.

Un projet porté par une puissante propagande.

La propagande entourant les projets portés par le sommet de la pyramide politique voit déjà la future mégalopole grande comme trois fois New-York (2000 km2), « modèle de croissance inclusive et durable, et le futur centre de l’innovation chinoise. »

Déjà la presse chinoise se couvre d’articles sur les futures liaisons TGV vers la zone, la création d’un centre de recherche high-tech par le ministère des postes et télécom, la construction par l’Université de Pékin d’un hôpital intégré à guichet unique avec un centre de formation de personnels soignants, les informations sur le lancement imminent des réquisitions de terres et le relogement des résidents expropriés et, incidence rare dans le secteur de l’infrastructure d’aménagement du territoire, le lancement d’appels d’offres internationaux coordonnés par la province du Hebei.

Le 9 juin, un article de Caixin rapportait même les considérations de géomancie d’un ingénieur en chef du projet notant que la zone se trouvait dans l’auspicieux axe nord-sud de la capitale chinoise.

Plus prosaïquement, assimilée au quartier de Pudong à Shanghai et aux zones économiques spéciales lancées par Deng et ses successeurs à Shenzhen, la nouvelle capitale doit – disent aussi les planificateurs [1] - intégrer la province du Hebei à la grande conurbation de Pékin – Tianjin et, selon les auteurs, « accélérer la mutation de la région vers l’économie de marché ». La force mimétique du marché joue en tous cas déjà à plein pour ce qui concerne l’immobilier et les cotations boursières.

L’engouement moutonnier des spéculateurs.

Depuis l’annonce officielle de la création de la nouvelle zone de développement, tous les titres boursiers domiciliés dans la zone de Pékin – Tianjin – Baoding dont la valeur était attisée par la nouvelle qu’il s’agissait d’un choix présidentiel, se sont envolés au point qu’après le 1er avril, la Commission de régulation boursière, cherchant à réduire la frénésie, a du stopper les transactions pendant deux jours. Bloomberg cite 15 titres domiciliés autour de la nouvelle zone dont la valeur cumulée avait bondi de 135 Mds de Yuan (18 Mds d’€) en 15 jours en avril dernier.

Par exemple, les actions du groupe Baoding Tianwei Baobian Electric.Co (保定天威集团) fabriquant d’équipements électriques qui ne possède pourtant aucun actif opérationnel dans la zone, ont augmenté de 10% pendant 6 jours consécutifs à la bourse de Shanghai, avant que les régulateurs stoppent leur cotation ; de même la cote de Tangshan Port Group Co. (唐山港集团) dont la direction est à Baoding, a bondi de 33%, quand bien même la Compagnie répétait qu’elle n’avait aucune affaire dans le Hebei.

La fébrilité moutonnière qui fut un des facteurs de la crise boursière de l’été 2015, est une des caractéristiques des bourses chinoises. Dans ce cas, elle est encore attisée par le soutien répété que la tête de exécutif exprime pour le projet, distillant l’impression que le pouvoir politique vertical et univoque est une garantie indépassable du succès de l’entreprise.

Le début d’hystérie influe également sur les prix de l’immobilier. Selon une agence de la région de Baigou, dans la grande périphérie de Baoding dont la connurbation compte 10 millions d’habitants, 3 jours après l’annonce publique du projet, les prix des logements ont bondi de 70% pour atteindre 1570 € le mètre carré.

Comme l’épidémie s’étendait à toute la région autour de Baoding, le comité de planification de Xiongan, rappelant que les logements « devaient être réservés à l’habitat plutôt qu’aux spéculations », a commencé à s’attaquer aux constructions et aux transactions foncières illégales. Rien ne dit qu’il parviendra à stopper l’engouement.

Pourtant, le chemin vers la fortune de la zone qui devrait attirer près de 7 millions de personnes dans les 15 ans et dont le coût de développement est initialement estimé à 300 Mds de $ est, c’est le moins qu’on puisse dire, handicapé par une série de graves problèmes qui vont de l’enclavement de la zone qui, au contraire de Shenzhen et Pudong, est éloignée d’un centre économique attractif, aux difficultés de trouver les financements nécessaires pour délocaliser les écoles, les universités, les hôpitaux et les transports.

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Le handicap de la pollution.

Surtout, la zone dont les sols et les rivières sont parmi les plus pollués de Chine, exigera d’abord des considérables investissements d’assainissement non directement rentables. Les atteintes aux sols et aux nappes phréatiques viennent de loin. Un ancien résident français en Chine raconte qu’en 1990 des coups de sondes géologiques pour un projet national de stockage de gaz souterrain mené par GDF Chine avaient révélé la présence de doses anormales de métaux lourds dans les nappes souterraines dont l’eau était devenue impropre à la consommation.

En 2006, une étude menés par le magazine Caixin avait conclu à la « mort biologique » des 143 petits lacs de Baiyangdian 白洋淀 situés à 50 km à l’Est de Baoding dont l’eau était à ce point polluée qu’elle ne pouvait même plus être utilisée pour l’agriculture. En 2014, CCTV avait diffusé une autre enquête intitulée, « 黑井水的痛苦, heijianshui de tongku – le calvaire de l’eau noire » qui confirmait les observation de 1990 sur l’état catastrophique des nappes phréatiques, seules réserves d’eau potable, gravement polluées.

Enfin, 15 jours après le lancement du projet, un rapport de l’ONG chinoise Liangjiang Huanbao, 两江环保, créée en 2010 à Chongqing et repris par plusieurs médias français, pointait lui aussi du doigt l’état écologique alarmant de la zone dont le gouvernement a lui-même reconnu la gravité, en même temps qu’il concédait que la dépollution des sols et des rivières serait longue et coûteuse.

Dans ces conditions, les questions sur l’avenir du grand projet de Xiongan ne manquent pas. Certains voient même dans tous les handicaps qui grèvent la zone, les prémisses d’une nouvelle cité fantôme comme il en existe tellement en Chine.

Ils ont probablement tort.

La force du volontarisme.

Ayant l’oreille du Président personnellement investi dans cette aventure, enrobée d’nun discours volontariste, le projet est à la croisée des grands problèmes d’urbanisme, de déficit hydrique et d’aménagement du territoire ; il est aussi le symbole aux portes du pouvoir des désastres écologiques, résultats de dizaines d’années de laisser-faire.

Solution d’urgence pour débarrasser la vieille capitale de ses handicaps qui flétrissent l’image du pouvoir central ; enveloppé dans un discours public positif et moderniste d’intégration urbaine, de développement durable et d’innovation, Xiongan ne sera pas abandonné par la bureaucratie sur qui pèse le poids d’une hiérarchie verticale dont, nous le savons depuis 2012, la main ne tremble pas. Pour s’en convaincre il suffit de se souvenir des puissantes secousses infligées à l’administration et aux armées par les réformes et la chasse sans pitié aux corrompus.

Enfin s’il est vrai que le volontarisme ne suffit pas pour venir à bout de problèmes accumulés pendant des années de laxisme, force est de constater que l’éxécutif n’a pas lésiné sur les moyens qu’ils soient financiers, techniques et humains. Outre que l’État a déjà débloqué 30 Mds de $, la détermination se lit quand on observe la densité et la richesse du comité de planification du projet.

Il n’est pas anodin de rappeler que cet aréopage est conseillé par Xu Kuangdi, l’ancien maire de Shanghai, celui-là même qui, il y a 30 ans, faisait émerger du néant et des marécages la nouvelle ville de Pudong aux portes de Shanghai.

Quant aux pollutions, le projet ne parviendra certes pas à les éradiquer complètement, mais au moins faut-il reconnaître que l’appareil politique s’y essaye avec une force et une détermination inhabituelles. Après tout, il ne s’agit pas de « déplacer les montagnes » comme le faisait le « vieux Kong », mais seulement de corriger les débordements des hommes, par la force de la bureaucratie petit à petit ramenée aux ordres.

Au fond, on retrouve dans ce projet l’un des arrières plans de la mandature de Xi Jiping : continuer à développer et à moderniser la Chine tout en corrigeant les effets néfastes des dérèglements antérieurs.

Mais le défi est ailleurs et probablement bien plus politique que technique.

Un défi politique pour Xi Jinping.

L’expérience de Xiongan, future sœur jumelle de Pékin à qui on espère que le désengorgement redonnera une attractivité impériale en partie perdue, est différente de celle de Shenzhen. Alors qu’aux portes de Hong Kong, le parti comptait sur la force de l’initiative privée instillée depuis la colonie britannique, à Xiongan, en revanche, la dynamique du projet est presqu’entièrement articulée à la puissance publique dont les rènes sont désormais fermement tenues par Xi Jinping.

Dans un article paru le 30 mai dans « The Diplomat » (« Xiongan : A New City for the Xi Jinping Era »), Georges Chen, chercheur associé à l’Institut Mercator pour les études chinoises (MERICS) soulevait ce point en soulignant que le projet Xiongan était, en dépit des apparences de l’engouement moutonnier des spéculateurs, une expérience bureaucratique dirigiste assez peu connectée à la spontanéité du marché.

Alors que son lancement est aujourd’hui entièrement dépendant de gros investissements pour dépolluer les rivières et les sols, le projet véhicule d’importants risques pour Xi Jinping dont le nom est associé à l’expérience.

Un échec démontrerait les limites du dirigisme voulu par le secrétaire général depuis 2012, où les alléas du marché restent contrôlés par l’appareil. Le succès, en revanche, porterait la preuve de la pertinence du « rêve chinois » à la même hauteur que les « nouvelles routes de la soie », démontrant que la réussite de la modernisation peut ne pas dépendre des recettes politiques et socio-économiques occidentales, mais qu’elle est possible en adoptant une voie spécifiquement chinoise.

Pour revenir sur le stress hydrique chinois, grand défi de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire : lire notre article Retour sur le stress hydrique chinois.

Note(s) :

[1Supervisée par Xu Kuangdi (80 ans) - ancien maire de Shanghai durant la création de Pudong, membre du Comité Central et ancien n°1 du parti de l’Académie des sciences de l’ingénieur – l’équipe de planification de la zone de Xiongan compte des architectes de l’Académie de planification urbaine de Qinghua et plusieurs dizaines de géographes et d’ingénieurs experts dans les secteurs de la préservation hydrique, de l’environnement et de l’énergie.

 

 

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