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›› Editorial

Pyongyang, Pékin, Washington, la quadrature du cercle atomique

Sur la péninsule coréenne, les tensions on atteint un niveau rarement vu depuis la signature de l’armistice en 1953. Signe sans équivoque que Pékin est saisi d’un alarme particulière, le 12 août, le président Xi Jinping a téléphoné à Donald Trump et fait publier une déclaration officielle appelant les États-Unis et la Corée du Nord au calme.

La Chine ne cesse de prêcher le dialogue et la reprise des pourparlers à six, mais les exhortations venaient jusqu’à présent du Waijiaobu, rarement de la tête du régime.

L’occurrence signale une prise de conscience après une suite d’échanges menaçants entre Pyongyang et Washington, eux aussi inédits, au moins de la part d’un chef d’État américain.

C’est Pyongyang qui a ouvert les hostilités verbales en menaçant de tirer 4 missiles Hwasong « autour » (la précision est importante) de la base américaine de Guam à 4000 km au sud-est, suite à la résolution des NU du 5 août imposant de nouvelles sanctions à Pyongyang après 2 tirs récents de missiles à capacité intercontinentale.

A quoi Donald Trump a répliqué en promettant à la Corée du Nord « le feu et la fureur », avertissement inouï dans la bouche d’un président américain qui repasse en boucle sur tous les médias de la planète depuis une semaine. Compte tenu des risques que la situation parte en vrille, les observateurs sont perplexes et les grands responsables du monde partagés.

Si la France et l’Allemagne ont, comme la Chine, choisi d’appeler au calme, l’ambassadeur britannique à l’ONU a réaffirmé la vieille solidarité de Londres avec Washington. En arrière plan de ces embarras et divergences de vues, la conscience que toute la région, depuis les populations civiles aux bases militaires, qu’elles soient américaines, japonaises ou sud-coréennes, sont les otages potentiels d’une riposte militaire de Pyongyang, nucléaire ou classique.

Le désir irrépressible de nucléaire militaire.

Mais l’inquiétude chinoise exprimée par l’appel de Xi Jinping à Donald Trump n’est pas seulement liée aux récentes menaces verbales que les médias montent en épingle autour du risque d’une montée catastrophique aux extrêmes.

Elle est l’aboutissement d’un long processus inauguré en 1994 avec la première crise nucléaire coréenne momentanément résolue par l’accord Kedo (Korean Energy Development Organization) destinée à équiper aux frais de la communauté internationale la Corée du nord d’un réacteur nucléaire à eau légère.

Dénoncé en 2005 par Pyongyang après que le régime qui continuait son programme nucléaire en secret ait claqué la porte du traité de non prolifération en 2003, la fin de Kedo ouvrait la porte à la 2e crise nucléaire.

Celle-ci eut lieu en 2006, avec la première explosion nucléaire suivie par 4 autres (en 2009, 2013 et 2 en 2016), toujours plus puissantes passées de 2 à 20 kt jalonnées par des sanctions votées par le conseil de sécurité (au total 11 séries de sanctions entre 1993 et 2017) qui ne parvinrent pas à freiner la détermination du régime à se doter d’une arme nucléaire opérationnelle.

La troisième crise est cours. C’est la plus grave.

Elle baigne dans la présomption de plus en plus crédible qu’en dépit de ses difficultés économiques (le PIB nord-coréen, estimé à 40 Mds de $ est 30 fois inférieur à celui de la Corée du sud), le régime qui consacre 25% de ses ressources à la défense et a récemment conduit une suite spectaculaire d’essais balistiques et 2 explosions nucléaires en 2016, est sur le point de se doter d’une capacité de première frappe atomique contre le territoire américain.

Selon les projections des experts américains, d’ici 2020 il pourrait, grâce à l’accélération de ses programmes balistiques et de miniaturisation des armes, avoir accumulé un arsenal équivalent à la moitié de celui de la France.

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Une dangereuse rupture capacitaire

Le bond capacitaire balistique et nucléaire nord-coréen a à la fois entraîné la rhétorique agressive américaine et l’inquiétude chinoise que la situation dérape vers une frappe préventive américaine dont tout le monde présage qu’elle dégénèrerait vite en un conflit généralisé sur la péninsule.

Le niveau de préoccupation de Pékin se mesure aussi au fait qu’après plusieurs déclarations sur lesquelles s’était aligné Moscou, rejetant les sanctions, Pékin les a quand mêmes votées le 2 juin dernier après le 9e essai balistique conduit par Pyongyang dans la seule année 2017 [1].

Consciente que les battements des tambours de guerre américains lui étaient aussi destinés pour l’inciter à mieux participer aux sanctions, y compris contre les réseaux de revenus commerciaux parallèles impliquant certaines sociétés chinoises, Pékin a cependant assorti son accord pour les sanctions onusiennes de ses appels au dialogue sans cesse répétés depuis qu’elle a inauguré les pourparlers à six en 2003 et dont Pyongyang s’est retiré en 2009.

La vérité est que, même si Kim Jong-un est celui des trois tenants de la dynastie des Kim au pouvoir depuis 1948 inspirant le moins confiance à Pékin qui ne l’a jamais invité en Chine, Pékin redoute les sanctions trop sévères portant le risque d’un effondrement économique du régime ouvrant la porte à une prévalence américaine sur la péninsule.

A ces craintes anciennes s’en ajoute aujourd’hui une nouvelle, celle d’un dérapage militaire catastrophique initié soit par Pyongyang aux abois, soit par les États-Unis tentés par des frappes chirurgicales ciblant les installations nucléaires militaires, les pas de tirs balistiques et peut-être la direction nord-coréenne elle-même si les renseignements d’objectifs sont assez précis.

Pékin et la quadrature du cercle atomique.

Mais, aujourd’hui, produisant un sentiment d’une angoissante impasse, la question est sortie des sentiers routiniers où, depuis un quart de siècle, on voit la progression inexorable des capacités nucléaires et balistiques de Pyongyang ponctuées de sanctions sans effet, condamnées par la Chine qui prône le dialogue, lui aussi sans effet.

Les experts américains rappellent que la Corée du Nord est, en vain, le pays le plus sanctionné de la planète, tandis que Kim Jong-un lui-même répète que ses programmes nucléaires et balistiques ne sont pas négociables [2] et que le seul objet d’un éventuel dialogue serait la signature d’un traité de paix et la reconnaissance par la communauté internationale de son statut nucléaire.

Cette situation de cul-de-sac n’est pas sans conséquence sur les réflexions stratégiques chinoises. Certes la récente montée des tensions en Corée du Nord et les déclarations enflammées des acteurs ont probablement modifié l’ordre des priorités de Pékin, faisant que la dénucléarisation migre vers le haut du classement de ses urgences.

Mais la stabilité du régime de Pyongyang et la préservation du statuquo d’une péninsule divisée restent encore dans bien des esprits chinois les premières clés de la paix dans la région. Une réalité enkystée qui préjuge mal de l’efficacité chinoise dans la solution du problème.

Le 3 août dernier Li Jiacheng, chercheur dans un Institut du Liaoning, écrivait dans le Global Times que dès lors que la négociation était inefficace et une attaque préventive par missiles très dangereuse pour tout le théâtre, les États-Unis pourraient être contraints « d’accepter une Corée du Nord nucléaire. »

*

Tel est donc le dilemme auquel la Chine est actuellement confrontée si elle veut à la fois affirmer son rôle de facilitateur dans le grave défi stratégique à ses portes et tenir à distance les risques d’un conflagration militaire. Sa formulation est simple : persuader Washington de l’utilité d’un dialogue visant à l’abandon des programmes balistiques et nucléaires qui, pour Pyongyang, ne sont pas négociables.

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Les défis de la médiation chinoise.

Parallèlement à leurs plaidoyers pour le dialogue et assumant que Washington et Pékin ont au moins en commun l’intérêt d’une péninsule coréenne sans arme nucléaire, les négociateurs chinois devront aussi persuader la Maison Blanche de tenir à distance les courants de pensées binaires du type « axe du mal » qui, aux États-Unis, plaident toujours pour un changement de régime à Pyongyang. Projet radical d’élimination de la famille Kim, la menace du changement de régime fut, depuis les exemples irakien et libyen, un des principaux adjuvants de l’accélération du programme nucléaire nord-coréen.

Autrement dit, pour jouer son rôle d’intermédiaire efficace, Pékin doit peser pour contre toute évidence, persuader Washington et Pyongyang que l’arme nucléaire est un sujet déconnecté de la sécurité du régime.

Cette quadrature du cercle pose aussi plusieurs questions liées aux attitudes de la Chine face aux sanctions, à sa capacité de dialogue avec le régime nord-coréen et, in fini, à la réalité de ses convictions concernant la dénucléarisation de la Corée du nord. Aux États-Unis, la question renvoie aux débats sur l’illusion d’un abandon des programmes nucléaires par Pyongyang, sans changement de régime. Tandis qu’en Corée du Nord, la réflexion croise le principe de la dissuasion nucléaire devenue pour la famille Kim la clé sa survie.

*

La Chine n’a jamais opposé son veto aux sanctions contre la Corée du Nord, mais une étude du MIT aux États-Unis a mis en évidence que, par le truchement d’intermédiaires chinois et de négociateurs chèrement rémunérés, Pyongyang a, en dépit des embargos, amélioré ses capacités à se procurer des pièces d’équipements sensibles. Dans le même temps, Pékin a fermé les yeux sur l’ouverture sur son territoire de bureaux de représentation de compagnies nationales nord-coréennes.

Ces incidences montrent que, sans s’opposer aux sanctions et tout en cautionnant officiellement l’objectif de dénucléarisation, Pékin ne l’avait jusqu’à présent pas considéré comme une priorité. Il n’est pas impossible que l’effervescence de la situation dont les risques sont amplifiés par les provocations de Pyongyang et les mises en garde claironnantes de D. Trump, changent cette donne.

Méfiant, Pyongyang recycle la dissuasion nucléaire.

Derniers éléments et non des moindres à prendre en compte pour mesurer les capacités de Pékin à jouer les conciliateurs, la réceptivité des Nord-coréens aux pressions ou aux arguments chinois et la place accordée aujourd’hui par la famille Kim et ses soutiens à l’arme nucléaire devenue à ses yeux la garantie suprême de leur maintien à la tête du pays.

Au fil des ans, la relation de confiance au sein de l’alliance entre Pékin et Pyonyang dont la proximité était, selon la propagande chinoise semblable à celle de « lèvres et des dents - 唇齿 », s’est effritée.

En 2011, l’avènement de Kim Jong-un qui, depuis, s’est attribué comme son père et son grand-père parallèlement à ses fonctions de chef de l’État, les titres de président du comité de défense nationale et de chef du parti des travailleurs, n’a pas amélioré les relations. Jamais reçu en Chine, ni par Hu Jintao, ni par Xi Jinping, Kim Jong-un éprouve aujourd’hui une profonde méfiance à l’égard des empiètements chinois dont dépend pourtant sa survie.

Peu après sa prise de pouvoir, la vague de limogeages et d’exécutions dont celle de son oncle par alliance Jan Song-taek fut dirigée contre les réseaux d’influence chinoise. (Lire notre article : Purge féroce à Pyongyang. Pékin exaspéré). En arrière plan, la crainte de la famille Kim et de l’armée qu’une évolution du régime à la chinoise, facilitant la naissance d’une classe moyenne d’affaires constituerait une menace politique pour la survie du régime.

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On le voit, sur la planète nord-coréenne la question de la perpétuation de la dynastie est au cœur des préoccupations de l’oligarchie. Héritier d’un État terroriste, auteur de plusieurs attentats restés dans toutes les mémoires [3], la Corée du Nord, a, pour obtenir un traité de paix, la reconnaissance internationale de son statut d’État nucléaire et tenir à distance les frappes américaines en même temps que les projets de « regime change », haussé le niveau de ses chantages terroristes par l’arme nucléaire jusqu’à prendre en otage toute la région, à laquelle elle vient d’ajouter l’île américaine de Guam, à portée théorique de ses armes balistiques.

En somme, une famille dynastique ayant pris ses voisins en otage et tenant sous le boisseau sa population dont le développement et les libertés sont contrôlés pour prévenir toute velléité de contrepouvoir, utilise la stratégie de la dissuasion nucléaire pour se protéger de l’agression du Goliath américain. Echaudée par les expériences des « regime change » en Irak et en Libye, la famille Kim ne renoncera pas si facilement à la clé de sa sécurité.

Cette réalité trace les limites des négociations et du dialogue à six réclamé par Pékin.

Quand, dans les années 60 le général De Gaulle et les théoriciens de la dissuasion nucléaire française menaçaient de représailles causant « des dommages inacceptables » aux grandes conurbations urbaines civiles d’un pays agresseur de la France, ils disaient les choses d’une manière plus policée que Kim Jong-un, mais le sens était le même.

Au delà de la seule question coréenne, cette mise en perspective signale la difficulté des projets d’un désarmement nucléaire de la planète.

Note(s) :

[1Il s’agissait de la 11e résolution depuis 1993. Elle impose de nouveaux gels des avoirs et un nouvel embargo aux voyages d’officiels coréens. La sanction a été prise après un essai balistique prouvant les capacités de frappe intercontinentale de Pyongyang.

[2En 2013, déjà, Kim Jung-un déclarait que son arsenal nucléaire était un « trésor qu’il ne négocierait pas même pour des millions de $ et dont il allait augmenter la puissance en quantité et en qualité. »

[3Le 9 octobre 1983, l’attentat de Rangoon contre le gouvernement sud-coréen tua 7 membres du gouvernement de Séoul et 4 Birmans. Le 29 novembre 1987, la destruction du Boeing de la Korean Air du vol KE 858 tua les 115 personnes à bord. Le 1er octobre 1996 l’assassinat de Choi Duk-keun, consul sud-coréen dans l’extrême orient russe ; le 13 février 2013, assassinat à l’aéroport de Kuala Lumpur du demi-frère de Kim Jong-un, Kim Jong-nam tué par application d’un mouchoir imbibé de neurotoxique.

 

 

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