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›› Lectures et opinions

Entre démocratie libérale et valeurs chinoises, les hésitations de la classe moyenne

Crée en 2013, l’Institut Mercator pour les études sur la Chine contemporaine, (sigle anglais MERICS) domicilié à Berlin sous le parrainage financier de la fondation privée Mercator établie en 1996 par la famille Schmidt-Ruthenbeck, entrepreneurs privés de la Ruhr, vient de publier une étonnante étude sur la complexité des réactions de la société chinoise à l’idéologie nationaliste de Xi Jinping.

Le travail met à jour la diversité des idées de la classe moyenne urbaine indiquant que la narration politique du président ne fait pas l’unanimité. Il suggère aussi que le choix de société entre valeurs chinoises et occidentales par les jeunes qui conditionnera le futur de la Chine n’est pas encore arrêté.

Enfin il met en garde les démocraties occidentales contre la puissance attractive du modèle chinois, plus unitaire et plus efficace, pouvant par ces temps de tempête, séduire de nombreux dirigeants politiques estimant que la démocratie libérale n’est plus adaptée aux défis.

Le nationalisme des « caractéristiques chinoises »

A cœur de la démarche du Président se trouve sa quête pour une « idéologie consensuelle », pouvant remplacer celle à bout de souffle très matérialiste et très individualiste ayant baigné la Chine des réformes économiques.

Les concepts de « la voie chinoise » et du « rêve chinois », se conjuguent pour suggérer la puissance à venir d’une Nation capable à la fois d’assumer un rôle de mentor planétaire et d’offrir une alternative au capitalisme de marché et à la démocratie libérale.

Celle-ci est d’autant plus facilement critiquée par la propagande et les penseurs du Parti, qu’elle est confrontée à une crise visible dans les plus vieux pays démocratiques. A cet effet, l’administration et les outils de gouvernance mis en place par le Président ne se contentent pas d’accentuer la censure et la répression des dissidences. Ils développent une puissante « stratégie persuasive » par les canaux modernes des réseaux sociaux recrutés sans réserve par le pouvoir.

L’épine dorsale de cette « narration » politique avance que « seul un système de parti unique est en mesure de transformer la Chine en une Nation prospère et hautement développée ». A cet effet, le régime « recycle la pensée confucéenne et les vieux slogans des fondateurs de la révolution communiste, y compris ceux du Léninisme, qui donnent à la lutte anti-corruption les couleurs d’une nouvelle “lutte de classe“ ».

Avec un fond de discours rappelant sans cesse les principes léninistes précisément articulés à la nécessité de toujours s’adapter aux changements du monde, le discours « attrape-tout » intègre à la fois l’urgence des progrès technologiques ; il y rajoute chaque fois que nécessaire, l’ouverture (partielle) à l’économie de marché, dans un système cependant resté puissamment centralisé ; enfin, il va jusqu’à utiliser les notions de « liberté » et de « démocratie » empruntées aux valeurs occidentales mais recyclées en Chine dans le cadre « intra-parti » rejetant la pluralité politique remplacée par le concept de « prises de décisions consultatives ».

L’internet, outil moderne de propagande.

Pour parvenir à diffuser cette nouvelle “idéologie de masse“, « s’éloignant du style rigide et compassé du sino-marxisme ayant si longtemps marqué la communication du Parti, les experts de la propagande ont imprimé à leur discours un ton résolument moderne ».

La panoplie de la nouvelle communication du Parti sur les réseaux sociaux qu’il contrôle étroitement, comprend notamment des bandes dessinées pour les plus jeunes, diffusées par les « microblogs », relayés par la centaine de milliers de comptes de particuliers sur WeChat et SinaWeibo massivement utilisées par la machine politique et administrative du régime. A l’occasion, pour optimiser la communication, celle-ci fait appel à des sociétés privées de design et de conseils.

Le tout est étroitement surveillé par la censure « qui supprime toute intervention sur la toile considérée comme “hostile“ augmentant ses pressions sur les institutions académiques, les journalistes et les avocats. Chaque fois que possible la propagande agite le nationalisme en glosant sur des événements particuliers lui permettant de discréditer les acteurs étrangers ».

Les infrastructures de la domination idéologique centralisée sont en place. Elles s’articulent aux nouvelles procédures obligatoires d’enregistrement exigeant la conformité aux vues officielles, à quoi s’ajoutent les rassemblements exprimant collectivement la loyauté au Parti, la dénonciation des « ennemis » et la remise à l’honneur des sessions d’études idéologiques pour chaque citoyen.

La manœuvre baigne dans la promotion tapageuse des qualités de Xi Jinping et de sa sagesse, la critique des choix de vie réputés « individualistes », les restrictions aux études à l’étranger et le contrôle des compagnies étrangères des nouvelles technologies obligées de s’associer à un groupe public chinois.

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Pour autant, « la répression ne crée pas l’adhésion populaire et porte le risque d’une réaction de rejet, tandis que le montage idéologique, même recyclé ne paraît pas en phase avec la vie quotidienne de nombreux citoyens ». Il est un fait que la manœuvre par l’Internet contrôlé par le haut n’a pas produit les résultats escomptés.

L’idéologie a du mal à s’imposer.

En étudiant la « toile chinoise » et les réactions sur les réseaux sociaux, les auteurs constatent que le régime n’a pas réussi à construire un consensus sur le choix du futur de la Chine démarqué de l’Occident en mesure de contester les valeurs « universelles » qu’il rejette.

En un mot, le travail fouillé effectué sur les messages des internautes et par des enquêtes en ligne, montre que le nouveau « canon idéologique » nationaliste proposé par Xi Jinping dont le but est, en réalité, de conforter la mainmise du Parti sur le pays, condition de sa survie, est loin de faire l’unanimité.

Au contraire, « la pluralité des vues reste remarquable » dit l’étude de MERICS, « en dépit du rôle envahissant de la propagande ». Les idées exprimées par les internautes montrent en effet « l’existence de courants de pensée rivaux dont certains constituent un défi à l’orthodoxie socio-politique du pouvoir ».

MERICS reconnaît cependant que les enquêtes sur les réseaux sociaux et le sondage effectué à l’été 2016 sur 1550 participants en ligne n’ont qu’une valeur indicative partielle d’une situation ne présentant pour l’heure aucun risque politique sérieux pour le Parti.

Les auteurs ne sont pas dupes non plus des distorsions de résultats provoquées par la censure et la manipulation des réseaux sociaux par la propagande, ajoutant au demeurant qu’aujourd’hui, 18 mois après les enquêtes en ligne, une telle étude ne serait plus possible du fait du resserrement de la censure.

Il reste que le travail met en évidence que l’opinion des citoyens urbains éduqués de la classe moyenne, base politique du pouvoir, est bien plus diverse que ne l’annonce la propagande laissant croire à une unanimité derrière « le rêve chinois ».

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Des réactions internautes très variées.

Schématiquement, le spectre des opinions mis à jour par l’étude se partage entre deux extrêmes : D’un côté « les Pro-Américains enthousiastes » (« US Lovers ») et, de l’autre, les « Combattants du Parti » (« Party Warriors ») . Entre les deux, l’étude identifie 11 degrés d’adhésion plus ou moins affirmée à l’idéologie du Parti–État.

Si les « Combattants » sont les plus étroitement alignés à l’idéologie diffusée par le régime, les « thuriféraires de la Chine », les « Traditionalistes », les « Industrialistes » et les « Patriotes » expriment d’autres variantes du nationalisme. Ces derniers approuvent « les caractéristiques chinoises », mais ne cautionnent pas nécessairement les choix politiques du Parti.

A l’autre bout du spectre les « Adeptes du marché » qui critiquent de plus en plus durement le nationalisme économique de l’État, s’opposent aux « Maoïstes » et aux « Défenseurs de l’égalité sociale » qui réprouvent les écarts de revenus. Encore plus loin de l’idéologie de la « voie chinoise », les « Adeptes de la démocratie » et les « Humanistes » qui s’ajoutent aux « Pro-américains enthousiastes » prônent la liberté d’expression et les valeurs universelles. Ils sont clairement la cible la plus directe des répressions et de la censure.

Concrètement, ces positionnements idéologiques enchevêtrés et complexes éloignés de l’uniformité supposée à la remorque du discours sur le rêve chinois, produisent des prises de position symptomatiques très variées des internautes, avec cependant la prédominance des courants de pensée nationalistes plus ou moins téléguidés par le pouvoir dont le flux sur internet représente de 30 à 56% des messages selon les thèmes.

On les voit proposer de « boycotter Kentucky Fried Chicken », accorder la prévalence à la voie chinoise et à la politique plutôt qu’aux experts (ce qui rappelle le vieux slogan maoïste « le rouge vaut mieux que l’expert » et s’opposer au pluralisme et à la loi du marché, tandis que certains suggèrent même un embargo éducatif sur les « valeurs occidentales ».

Flottement de l’opinion.

Par contraste, s’il est vrai que les opposants à la « voie chinoise » idéologiquement divisés sont loin d’avoir généré un front uni d’opposition au Parti, la ligne officielle n’en subit pas moins des attaques de toutes parts, suggérant que l’idéologie dominante ne fait pas l’unanimité. Par exemple, la propagande du parti qui critique les démocraties aux prises avec leurs difficultés socio-politiques, n’a, à l’inverse, pas réussi à conforter l’attractivité du système chinois dans l’opinion.

Après avoir répondu à 60% au sondage en ligne que la Chine devait mieux s’affirmer sur la scène internationale, 75% se sont quand même fait les avocats des « valeurs occidentales ». Ce qui montre, disent les auteurs, que le nationalisme chinois n’est pas anti-occidental et que « l’Ouest » reste attractif pour les Chinois, dans un contexte où les internautes pointent par ailleurs du doigt que la Chine ne propose pas de meilleure alternative.

Crise des démocraties et attractivité du modèle chinois.

Au total, dit l’étude, la diversité de la classe moyenne chinoise, même au sein du Parti est telle que la diffusion par le haut d’une idéologie rigide et sans nuance ne fonctionne pas. Mais elle reconnaît que le choix entre les valeurs chinoises et le modèle occidental, notamment par les jeunes, sera un élément déterminant du futur de la Chine. La compétition systématique entre « l’Est et l’Ouest » sera aussi un des facteurs déterminants de l’avenir de la planète.

Alors que nombre de pays en développement hésitent entre les deux systèmes, une diffusion du modèle nationaliste chinois articulé à un autocratisme politique interne, exporté dans les zones d’influence de la Chine et même en Europe constituerait un défi pour les démocraties libérales.

Plus encore, alors que l’impression du déclin de l’Amérique est de plus en plus partagée, un discours international chinois bien argumenté autour des avantages du nationalisme de la « voie chinoise » pourrait séduire des pays aussi différents que la Hongrie, la Pologne, l’Ethiopie, le Ruanda, le Cambodge [1] ou même la Thaïlande confrontés aux défis du développement ou aux menaces des migrations et du terrorisme islamique.

Jugeant que la démocratie à l’occidentale est porteuse de chaos et de divisions internes mal adaptés aux défis du temps, leurs dirigeants, également attirés par les attraits du marché chinois et la puissance financière des banques œuvrant en appui de la stratégie globale des « nouvelles routes de la soie », pourraient considérer que, dans la tempête, le modèle chinois constituerait une alternative crédible.

La conclusion est une mise en garde. « Seule une rénovation de leurs institutions politiques et une mise à jour de leur potentiel économique et technologique conférerait aux démocraties libérales une capacité efficace de contrepoids face aux puissant discours chinois discréditant leurs valeurs ».

Note(s) :

[1L’exemple des autorités cambodgiennes piétinant les valeurs occidentales, à l’image de la Chine est édifiant, y compris dans ses plus sombres développements. L’assassinat le 10 juillet 2016 à Phnom-Penh de l’opposant Kem Ley est en mettre en parallèle avec la mort mal élucidée du militant écologiste Lei Yang en mai 2016 après son arrestation par la police dans le disctrict de Changping à Pékin.

A Phnom-Penh comme à Pékin, les autorités ont affirmé vouloir faire la lumière sur les responsabilités de ces décès. Mais à ce jour, les autorités cambodgiennes ont arrêté leurs enquêtes à la mise sous les verrous d’un lampiste, tandis qu’à Pékin les 5 policiers soupçonnés d’avoir causé la mort de Lei Yang n’ont pas été inquiétés. En Chine comme dans le Royaume khmer, des deux incidents ont provoqué la colère du public.

 

 

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