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›› Politique intérieure

Suicide d’un général. La justice entre droit et morale

Le général Zhang Yang 66 ans, ancien membre de la Commission Militaire Centrale en charge des Affaires politiques de l’APL jusqu’au récent congrès du parti, a été retrouvé pendu à son domicile à Pékin le 23 novembre.

Rendue publique seulement 5 jours plus tard – ce qui dénote un embarras -, la nouvelle du suicide d’un des anciens plus hauts responsables militaires du pays, membre du Comité central depuis 2007 et promu au cœur de la direction de l’APL en 2012, a été entourée d’une intense couverture des médias officiels militaires.

La réflexion autour de l’événement et des réactions des médias officiels conduit une fois de plus à s’interroger sur la nature de la justice chinoise tiraillée entre droit et morale.

Un geste violemment condamné par le Parti.

Articulée autour de la condamnation morale sans nuances du geste du général, décrit dans le Quotidien de l’armée comme une « lâcheté abominable honteuse et hypocrite » destinée à « s’exonérer de la sanction du Parti et de la justice », la campagne visait à affaiblir l’émotion publique suscitée dans les rangs de l’APL par le geste radical du général et à justifier la férocité de la campagne anti-corruption ordonnée par le n°1.

Placé en résidence surveillée depuis la fin du Congrès et accusé de « manquements graves à la discipline du parti », l’ancien n°7 de la CMC est, dans les commentaires de presse, associé à la mouvance des généraux Guo Boxiong ancien premier militaire du pays condamné à la prison à vie le 25 juillet 2016 et Xu Caihou, le prédécesseur de Zhang Yang à la tête des Commissaires politiques de l’armée décédé d’un cancer avant sa condamnation, après avoir été arrêté par la police armée populaire sur son lit de l’hôpital 301 à Chaoyang, le 15 mars 2014.

Vaste purge.

La charge contre Zhang était partie d’une vaste opération de « nettoyage éthique » de l’APL qu’un long éloge publié le 17 novembre par Xinhua attribuait entièrement à l’efficacité du président Xi Jinping.

Pour faire bonne mesure, dans le même élan de propagande, le n°1 du parti était également crédité des avancées territoriales en mer de Chine du sud et du coup d’arrêt porté au mouvement « Occupy Central » à Hong Kong en 2014. Au bilan, dit l’article, depuis 2012, la campagne avait mis en accusation et condamné plus de 100 généraux au-dessus du niveau de corps d’armée, « un nombre dépassant celui des généraux de l’APL tombés au combat durant la guerre civile. »

La vague de purge qui vient d’engloutir Zhang Yang poussé à se donner la mort, avait été déclenchée il y a plus d’un an, en juillet 2016 par la presse de l’APL dont plusieurs articles énoncèrent l’urgence « d’éradiquer des armées chinoises l’influence pernicieuse de Guo Boxiong et de Xiu Caihou ».

Simultanément, un article du Quotidien du Peuple, commentant la sentence infligée à Guo Boxiong, écrivait que sa dureté démontrait la détermination du Comité Central à purifier jusqu’à la racine les armées chinoises des toxines qui les infectent en « grattant l’os et en éliminant ses poisons « 刮骨 疗毒 – gua gu, liao du - ». La conclusion était une mise en garde : « l’APL est une force armée où il n’y a pas de place pour les corrompus ».

En rappelant l’exigence de probité le journal du Parti s’appuyait sur les sentiments de fierté nationale humiliée, plusieurs fois soulignée par Xi Jinping depuis 2012, à cause de l’impréparation des armées chinoises à l’origine des déboires contre les envahisseurs étrangers. « J’éprouve une grande souffrance quand, relisant l’histoire, je constate le retard militaire pris par la Chine devenue de ce fait, la proie des envahisseurs ».

Six mois après l’article du Quotidien du Peuple, « la charrette » inflexible avait déjà emporté les généraux Wang Jianping, n°2 de l’état-major général à la CMC, Tian Xiuxi ancien commissaire politique de l’armée de l’air, Zhang Ming chef d’état-major de la région militaire de Jinan, et deux autres anciens membres de la CMC, les généraux Liao Xilong et Li Jinai.

*

Les articles de la presse militaire contre la corruption étaient à l’unisson d’une campagne civile sur les chaînes nationales qui diffusèrent le documentaire produit par la Commission Centrale de discipline « toujours sur la route 永远在路上 - youngyuan zai lushang - », à la fois une affirmation de la détermination du Parti à continuer ses opérations de nettoyage et une justification morale de la répression par la diffusion des contritions publiques des condamnés (lire : Le 6e Plenum, remise en ordre éthique du Parti et adoubement de Xi Jinping.)

En se suicidant, le général Zhang, seul face à lui-même, a privé le Parti de la caution morale de sa contrition. Ainsi s’explique la violence des attaques de la presse officielle contre son geste. Enfin, la réprobation condamnant le suicide de Zhang était accompagnée du constat que « beaucoup restait à faire pour extirper de l’armée les influences toxiques de Gu et Xu », assorti de la promesse que la répression serait poursuivie sans faiblir.

La répression entre « Loi » et « Morale ».

Le rappel des intentions répressives de l’exécutif coïncidait avec la publication, le 6 novembre, par le ministère du contrôle 监察部 – jiancha bu -, d’une nouvelle loi anticorruption qui pourrait être adoptée en mars prochain lors de la cession annuelle de l’ANP donnant à la police le pouvoir de détenir à volonté et sans accès à un avocat, les personnes suspectées de corruption.

Ces prérogatives exceptionnelles seraient encadrées par une nouvelle structure nationale anti-corruption en cours de création par le ministère du contrôle à la tête duquel se trouve Yang Xiaodu 杨 晓 渡, 64 ans, entré au bureau politique lors du 19e Congrès et proche de Xi Jinping depuis Shanghai en 2006 où il était membre du comité permanent de la ville quand le futur secrétaire général était en charge d’enquêter sur Chen Liangyu.

La justification de cette réforme dans la ligne des « caractéristiques chinoises » épine dorsale idéologique du 19e Congrès tournant le dos au droit occidental, évoque l’efficacité de procédures de contrition morale des accusés rendues impossibles s’ils utilisent la possibilité offerte par le droit occidental de refuser de parler hors de la présence de leur avocat.

Le projet mis en lecture publique jusqu’au 5 décembre ne supprime certes pas explicitement le droit à un avocat. Mais il s’inscrit dans un mode de pensée dénonçant les inconvénients des « valeurs universelles » protégeant les accusés et garantissant la présomption d’innocence. Un article mis en ligne en juillet dernier sur le site de la Commission Centrale de Discipline, rappelait que « la justice chinoise se méfiait des pièges du légalisme et de la démocratie ».

La vision était en complète cohérence avec une conception culturelle de la justice plus articulée à la morale qu’à un arsenal juridique dont la complexité peut parfois servir à disculper des coupables. Un inconvénient que, dans son souci d’efficacité, le parti n’est pas disposé à accepter, au moins pour les agents publics et les militaires qu’il entend garder sous les verrous, sans contrôle, jusqu’à ce qu’ils passent aux aveux.

 

 

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