›› Politique intérieure
YU Jianrong envisage même l’indépendance des représentants syndicaux, dont les salaires ne dépendraient plus du patronat, et dont la liberté de parole et d’action serait mieux protégée par les tribunaux. Il n’élude cependant pas les tensions qui pourraient surgir de réformes aussi radicales, dans un paysage industriel encore secoué par les revendications de salaires, et où nombre de chefs d’entreprises et leurs soutiens politiques intéressés aux profits espèrent encore prolonger les anciens schémas d’une main d’œuvre docile.
« La question de savoir comment il serait possible de laisser systématiquement les ouvriers exprimer leurs doléances est aujourd’hui très sensible (...) Les responsables politiques ont, en effet, toujours considéré qu’il était crucial de contrôler les ressources humaines (...) Et il est vrai que l’organisation des intérêts catégoriels est un arme à double tranchant : elle peut à la fois être la pierre angulaire de la stabilité sociale et le ferment de la mobilisation politique des contre pouvoirs. »
Mais YU Jianrong, convaincu de la justesse de ses vues, exhorte le pouvoir à faire preuve d’audace et à saisir l’occasion des conflits en cours pour aller de l’avant. « Nous devrions regarder en face la situation nouvelle et relever le défi de la mise sur pied de syndicats indépendants, qui prendraient vraiment à cœur les intérêts des travailleurs. C’est le seul moyen de montrer notre solidarité quand leurs droits sont violés. C’est aussi la condition du rééquilibrage entre les intérêts des entreprises et ceux des travailleurs, seule voie possible pour que ces derniers retrouvent leur dignité ».
Vingt ans après le lancement des réformes économiques par Deng Xiaoping, les tumultes sociaux du sud de la Chine posent à nouveau la question éminemment politique de l’expression libre du droit des travailleurs et des droits syndicaux, sur fond de graves disparités de revenus. Cette fois le mouvement, que le pouvoir a laissé se développer, ne vient pas des intellectuels ni de la jeunesse, mais de la base ouvrière, laissée pour compte de la modernisation rapide de la Chine.
Dans son testament politique rédigé en 1992, Deng Xiaoping n’avait pas éludé la question : « Si les riches s’enrichissent alors que les pauvres s’appauvrissent, nous serions confrontés à une polarisation de la société que le système doit éviter ». Mais sa réflexion, accrochée au dogme du rôle dirigeant du Parti n’était pas allée plus loin, refusant le dialogue et l’assouplissement politiques proposés par Hu Yaobang et Zhao Ziyang, tous deux limogés.
Le professeur YU est convaincu que les contestations ne visent pas le pouvoir lui-même, mais réclament seulement plus d’équité et de justice. Aujourd’hui, pourtant, il n’est pas sûr que Hu Jintao, Wen Jiabao et quelques autres du Bureau Politique, qui, depuis 2002, identifient les ferments de crises sociales dans les déséquilibres du développement, osent suivre ses conseils. Au sein du Parti, nombreux sont en effet ceux qui craignent que la libération de la parole syndicale ne déclenche un enchaînement incontrôlable de litiges et d’incidents, dont la contagion serait difficile à contrôler.