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›› Editorial

Bataille contre la corruption. « Stupeur et tremblements »

Inquiétudes chez les anciens

Après les dizaines de mises en examen et d’arrestations des proches de Zhou Yongkang au sein de CNPC, au Sichuan - dont récemment le n°2 de la province, Li Chuncheng expulsé du Parti -, et même dans les instances de la sécurité d’État, à quoi il faut ajouter les enquêtes qui visent plusieurs personnalités du monde des affaires, certaines plus ou moins liées à la famille Zhou, dont Liu Han, proche de Zhou Bin, fils aîné de Zhou arrêté pour meurtre et d’autres très en vue comme Song Lin, le PDG de « China Ressources » - 胡润 Hurun –, l’un des plus puissants conglomérats publics, mis en examen à la mi-avril par la Commission de discipline, la campagne d’épuration éthique dont l’ampleur et l’ubiquité créent une psychose au sein du Parti, a peut-être atteint une limite.

Le 12 avril, on apprenait en effet que Shen Weichen, 57 ans, depuis 2012 membre de la Commission Centrale de Discipline, ancien vice-ministre de la propagande où il était le bras droit du très conservateur Liu Yunshan, actuel n°5 du Comité Permanent, était lui aussi mis en examen. La nouvelle ne vaut pas par le niveau politique de l’intéressé, mais par sa position au sein de la première structure de contrôle disciplinaire du Parti. Elle donne le sentiment d’un flottement interne de la machine anti-corruption.

Doutes et risques de fracture

Si on ajoute à cet indice d’effritement de la confiance les commentaires suspicieux de l’opinion qui se plaint de l’omerta sur les raisons des 53 suicides de cadres en 2013 rendus publics récemment par la presse du régime – le dernier qui s’ajoute à la liste, étant Song Bin, n°2 de l’agence Xinhua trouvé pendu dans son bureau de Hefei (Anhui) le 28 avril dernier –, on commence à voir se dessiner l’image d’une classe politique à la fois angoissée et rétive face à une campagne qui menace tout le monde sans distinction.

Dès lors, la pression qui pèse sur l’ensemble du parti commence à se déplacer vers la commission de discipline elle-même, dont certains au sein du régime se demandent si elle ne va pas trop haut, trop vite et trop fort. Wang Qishan lui-même reconnaît que son action ne recueille pas le soutien escompté de l’appareil.

Dans le sillage des attaques contre Zhou et contre le cœur même du dispositif de répression, les caciques du Parti à la retraite enrichis à la faveur des grands dégraissages des entreprises publiques et par le système de redistributions réparties au sein de l’oligarchie à partir des nombreux secteurs restés sous le contrôle de l’État, commencent à se sentir vulnérables et pourraient ruer dans les brancards pour éviter d’être pris dans la charrette. Quelques symptômes des fortes pressions en cours qui sont autant de signes que le consensus requis pour continuer la lutte pourrait ne pas être au rendez-vous, sont les rumeurs des prochaines mises en examen.

Après Zhou et ses réseaux du Sichuan et de CNPC, après Xu Caihou et ses affidés de la CMC, les bruits courent que les prochains visés ne seraient autres que Zeng Qinghong et He Guoqiang anciens membres du Comité Permanent et le général Guo Boxiong, ancien du Bureau Politique, n°2 de la Commission Militaire Central et premier officier général du pays de 2003 à 2012. Zeng était aussi vice-président de la République, chef de la Commission d’organisation du Parti et président de l’école centrale du Parti. He Guoqiang lui avait succédé en 2002 à la tête de la Commission d’organisation, après quoi il fut, de 2007 à 2012, le prédécesseur de Wang Qishan à la Commission de discipline.

Hypothèses de ruptures à la tête

Enfin, au risque bien réel d’une rupture de la cohésion politique précipitée par les mises en accusation des anciens, s’ajoutent les divergences probables entre Xi Jiping et Li Keqiang. Quand le président met l’accent sur la remise en ordre éthique du Parti, l’attention du premier ministre qui s’exprime peu sur la corruption, va à la mise en œuvre des réformes de structure, à la lutte contre la finance grise et aux projets de décentralisation administrative comme principal moyen d’améliorer la gouvernance d’un pays trop centralisé. Quand Xi tente un exercice de cohésion, encourageant Wang Qishan dans sa difficile entreprise de rectification éthique, il arrive que Li s’inquiète des effets pervers d’une charge trop brutale sur l’équilibre du système.

S’agissant des réformes politiques, les contrastes qui jusqu’à présent ont percé la surface, placent clairement Xi Jinping dans le camp des réformateurs prudents et soucieux de l’équilibre des clans, tandis que la trajectoire de Li lui confère un tropisme juridique et institutionnel. Expert du droit , il fut comme Hu Jintao et Wen Jiabao un des protégés sélectionnés par Hu Yaobang, l’incorruptible réformiste dont la pensée politique audacieuse hante toujours la classe politique.

Solidarité politique obligée

Pourtant rares sont ceux qui osent lui rendre publiquement hommage comme le font des centaines de Chinois en allant chaque année sur sa tombe à Gongqingcheng dans le Jiangxi, le 15 avril, jour anniversaire de sa mort.

Le fait que cette année seul Hu Jintao ait rendu visite à l’épouse de Hu Yaobang dans sa maison du Hunan et que le Parti ait bloqué l’information en dit long sur l’actuel état d’esprit du pouvoir à l’égard des réformes politiques. L’épisode laisse supposer que, s’il est vrai que les raidissements, les querelles et peut-être même des sévères luttes sont possible autour de la manière de combattre la corruption sans mettre en danger le Parti, une crise du régime ne viendra pas des divergences sur la nature du système politique chinois.

Quoi qu’on en dise, il n’y a sur ce thème aucune faille entre Xi Jinping et Li Keqiang. S’il est vrai que ce dernier n’est pas un conservateur, sa démarche politique est liée à celle du Président, dont l’audience et les réseaux sont bien plus efficaces que les siens. Certains observateurs estiment cependant que le premier ministre pourrait en dernière extrémité servir de « fusible politique ». Ayant été à l’origine d’un rapport sur les réformes cosigné par la Banque Mondiale, il serait accusé par les conservateurs d’être trop influencé par une vision pro-occidentale de l’avenir de la Chine. Il s’agirait cependant là d’un formidable craquement dans la stabilité institutionnelle du Régime.

Le principal maître d’œuvre du rapport Chine – Banque Mondiale, Liu He, aujourd’hui n°2 de la Commission Nationale pour la réforme et développement étant à la fois proche de Li Keqiang et partie, avec quelques autres, de la « garde rapprochée » de Xi Jinping, l’hypothèse d’une rupture majeure à ce niveau de la direction politique n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour. Lire notre article Branle bas de combat au cœur du Parti.

Ayant en tête la tourmente qui emporta le Parti Communiste de l’Union Soviétique, l’équipe qui tient le pouvoir depuis 17 mois, s’en tiendra à un consensus politique de survie. Elle cherchera au mieux à mettre en œuvre la démocratie au sein du parti et à promouvoir un dialogue constructif avec la société civile d’où sera bannie toute controverse de principe qui ferait l’apologie du système démocratique à l’occidentale.

En attendant, les dirigeants tenteront de restaurer la légitimité du Parti en menant à bien la transition urbaine, économique, industrielle et sociale, tout en luttant au mieux contre les fléaux de la corruption et de la destruction écologique. Chaque fois que possible, ils utiliseront l’adjuvant nationaliste, notamment sur les questions de souveraineté dans la zone d’intérêt stratégique direct de la Chine, en Asie Centrale, où monte la menace terroriste et en Asie de l’Est et du Sud-est, essentiellement contre les Etats-Unis et le Japon, parfois contre l’Inde.

Photo Liu He, 63 ans, qui fut coauteur avec la Banque Mondiale d’un rapport sur l’avenir de la China (China 2030) rédigé alors que Li Keqiang son mentor était vice-premier ministre. Aujourd’hui, n°2 de la Commission Nationale pour la Réforme et développement, il fait partie de la garde rapprochée de Xi Jinping. Influencé par les théories de l’économie libérale, il est diplômé de la Harvard’s Kennedy School of Governement (1995). Liu He est aussi un des principaux inspirateurs du plan de réformes rendu public lors du 3e plenum du 18e Comité Central (novembre 2013).


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