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Batailles pour la réforme des groupes publics

Évolution du chiffre d’affaires et des résultats nets de Nanjing Tanker entre 2008 et 2012.

Brutale offensive contre le transport maritime

Une nouvelle charge de cette bataille a été menée par la Commission de régulation des opérations boursières qui, le 11 avril, a décidé de radier de la bourse de Shanghai la compagnie de transport maritime Nanjing Tanker Corporation dont les actions n’étaient plus sur le marché depuis un an. C’est la première fois qu’une société publique ou bénéficiant de l’appui du gouvernement central était frappée d’une telle sanction.

Il ne s’agit certes pas d’un des grands conglomérats publics emblématiques du système chinois, mais son expansion avait tout de même été financée par 19 banques dans 11 pays différents dont le Crédit Agricole, la Société Générale, Royal Bank of Scotland et BNP Paribas, à quoi s’ajoutèrent des banques chinoises, allemandes, japonaises, sud-coréennes, singapouriennes, irlandaises, canadiennes et suisses qui, entre 2005 et 2008, mirent 1,3 Mds de $ à la disposition du groupe pour financer l’achat de 30 pétroliers dont 10 supertankers.

L’historique de la montée en puissance de la société racontée dans un long article paru dans Caixin le 28 mai dernier, écrit en collaboration avec la revue britannique des transports maritime Lloyd’s List, est un florilège des techniques de corruption, de maquillage, de contournement des lois, et d’évasion fiscale qui vont de l’utilisation des paradis fiscaux, à la falsification des comptes, en passant par l’utilisation sans réserve des prêtes-noms et des garanties de crédits suspectes. Elle est aussi un nouvel exemple de boulimie de puissance encouragée par la puissance publique et facilitée par l’aveuglement des prêteurs.

La situation est voisine pour des géants comme COSCO qui, en 2013, avait évité de justesse la radiation de la bourse de Shanghaï en vendant une partie de ses avoirs qui lui procurèrent 1,3 Mds de $ d’argent frais et lui permit de présenter in-extremis un bilan positif de 37,8 millions de $, après 2 années consécutives de pertes.

Nanjing Tanker n’a pas eu cette chance. Après s’être doté en quelques années de la 6e flotte mondiale de pétroliers (avec 87 tankers), grâce aux contrats publics de transport d’hydrocarbures, la compagnie contrôlée par un conglomérat issu de la fusion entre Sinotrans et China Shanghai Shipping (CSC), a enregistré 4 années consécutives de pertes.

A la fin mars 2014, après avoir longtemps tenu ses dettes extérieures dans l’opacité, le groupe a déclaré une baisse 2,4 Mds de Yuans (400 millions de $) de ses avoirs propres et 15,7 Mds de Yuans (2,5 Mds de $) de créances non honorées. A l’annonce de la catastrophe, deux banques chinoises interrogées par les journalistes de Caixin et de Loyd’s List, avouèrent avoir fait confiance à la Compagnie parce qu’elle opérait dans un secteur stratégique sous couvert de l’État.

Les lourdes féodalités des entreprises publiques

C’est bien le problème. Il renvoie à la difficulté de faire rentrer les grands groupes publics, dont certains sont de véritables États dans l’État connectés à une partie de l’oligarchie, dans l’épure de la loi et des bonnes pratiques de gestion. L’ampleur de la tâche qui tient du mythe de Sisyphe est évoquée dans un autre article de Caixin par Zhang Wenkui, du Centre de Recherche du Conseil des Affaires d’État.

Alors qu’il travaille aux premières loges des réformes, Zhang explique sans ambages qu’après une première série de restructurations à des fins d’économies d’échelles et de modernisation, dont les résultats ne furent pas toujours probants, parfois parce que les meilleurs étaient tirés vers le bas par leurs nouveaux associés imposés par les F&A, il subsiste en Chine 113 groupes publics de grande taille et plus de 30 000 filiales, dont l’État ne parvient pas à réduire le nombre.

Cette jungle offre aux responsables mal contrôlés par la Commission des actifs de l’État (SASAC) de nombreuses opportunités de détournements. Dans le même temps, l’absence de compétition et les connexions avec l’État effacent les erreurs de gestion, tandis que les Fusions et Acquisitions décidées par la puissance publique visent plus à éviter les pressions du marché qu’à s’y conformer.

Après cette charge, Zhang conclut que radiation de Nanjing Tanker constitue un progrès, mais que la mesure reste insuffisante. Le transport maritime n’est pas le seul secteur dominé par les entreprises publiques qu’il conviendrait de restructurer et d’ouvrir au marché pour le rendre plus efficace. Le complexe militaro-industriel, les industries du pétrole, des télécoms, le charbon, l’aviation civile, exagérément protégés par l’État doivent aussi subir un cycle de réformes.

Deux mois après l’offensive contre Nanjing Tanker et confirmant l’analyse de Zhang Wengkui, la Commission des audits publics a, le 20 juin, ciblé 11 nouvelles sociétés publiques responsables de fraudes ou de fautes de gestion accumulée depuis 2012. Les manquements vont du maquillage des avoirs aux investissements immobiliers illégaux en passant par la médiocrité des études de faisabilité, l’ouverture de terrains de golf interdits ou le mauvais contrôle des investissements en Chine ou à l’étranger. Autant de fautes éthiques ou d’erreurs de gestion ayant entraîné d’importantes pertes financières. Sont concernées entre autres : CNPC, China Ressources, China South Industries, China Metallurgical Group, China National Tobacco Corp.

Dire que Pékin, qui s’est engagé dans un processus de réformes pour plus d’efficacité, moins de coulage et une production de meilleure qualité, est préoccupé par la rémanence à la fois puissante et désordonnée des grands groupes publics, est un euphémisme. A ce stade, le Conseil des Affaires d’État a entrepris une restructuration par secteurs dont l’une des plus médiatisées en Occident fut le démantèlement du ministère du rail après la condamnation à mort avec sursis de Liu Zhijun l’ancien PDG, auteur de dépenses somptuaires et reconnu coupable d’importants détournements.

D’autres restructuration ont suivi, notamment dans l’acier, l’un des domaines les plus désordonnés de l’industrie lourde, qui emploie plus de 800 000 personnes et produit 49% de l’acier mondial, accablé par une accumulation de dettes et une surproduction de mauvaise qualité, atteignant 300 millions de tonnes, soit plus de 3 fois la production totale annuelle d’Arcelor Mittal, le n°1 mondial de l’acier.

Aujourd’hui, après les secteurs en difficultés, et à la suite des banques, le gouvernement cible les fleurons prospères des hydrocarbures en s’attaquant à leur monopole et en les incitant à ouvrir leur capital au secteur privé.


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