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歸來 de Zhang Yimou, loué par le Quotidien du Peuple et critiqué par le Département de la Propagande

Le 23 juin, le magazine Caixin, du groupe « Caixin Media » fondé par Hu Shuli en 2009, l’un des journaux en ligne d’informations économiques, sociales et politiques les plus libres de Chine, a, sous la plume de Nailene Chou Wiest, Docteur en histoire et en relations internationales, formée en Chine et aux Etats-Unis, ancienne journaliste à l’agence Reuter, publié un article à la charnière de la critique de cinéma et de l’analyse politique.

Le sujet était le dernier film de Zhang Yimou, Gui Lai 歸來 (traduction anglaise : « Coming home ») qui fut présenté hors concours au dernier festival de Cannes et dont la sortie en France est prévue en décembre.

Retour aux sources

Retrouvant son regard intimiste et acéré sur l’histoire, la société et ses travers, ainsi que Gong Li, son ex-compagne qui fut son égérie, le plus célèbre des cinéastes chinois, un temps accusé d’être devenu le réalisateur officiel de la République Populaire de Chine, revient avec tendresse sur les traumatismes enfouis de la révolution culturelle.

Evitant l’habituel narratif catastrophique sur la transe qui installa le chaos dans la Chine des années 60, Zhang Yimou raconte par les détails de la tragédie d’un couple, la séparation, la perte, l’espoir, la patience et la résilience d’individus écrasés par un système oppressif.

Un intellectuel libéré du Goulag retrouve sa femme frappée d’amnésie qui ne le reconnaît pas. Chaque jour, il l’accompagne à la gare où, tenant à la main un panneau portant son nom, elle retourne l’attendre, accomplissant un rituel mécanique sans comprendre que son mari est à ses côtés.

Pour Nailene Chou, les Chinois de 50 à 60 ans seront submergés par les souvenirs de vies gâchées tourmentées par l’exaltation insurrectionnelle dont les dommages occultés n’ont pas fini de hanter la Chine. Même si certains trouvent la description de la révolution trop superficielle ; tandis que d’autres jugent le film sentimental et manipulateur ; ou le voient comme un produit populiste, caricaturant la souffrance et l’amnésie à des fins commerciales. Mais aux États-Unis, Spielberg a jugé le film « puissant, profond et émotionnel ».

Crispation de la propagande

En Chine pourtant, les thuriféraires de la révolution culturelle voient en « Gui Lai » une propagande anti-communiste portant l’estampille de la guerre froide. Ils critiquent le ton des images gris-bleues, l’insistance de la caméra sur l’anxiété des visages dans la foule, la fumée des vieilles locomotives, les immeubles décrépis et les yeux remplis de haine des gardes rouges évoluant dans les ballets révolutionnaires.

La partie politique de l’article qui renvoie aux débats en cours sur l’influence néfaste de l’Occident et la tendance à éradiquer toute critique, y compris à l’Académie des Sciences Sociales (CASS), commence par une constatation adressée aux gendarmes de l’idéologie regroupés au département de la propagande : « la paranoïa considérant qu’un film peut contribuer à la chute d’un régime n’a pas disparu avec la guerre froide. Elle est toujours à l’œuvre en Chine ».

Suit une plongée dans le web qui sélectionne un article incendiaire repris par le site officiel du département de la propagande du Parti (www.dangjian.cn), ancien fief de Liu Yunshan, 67 ans, membre du secrétariat du Comité Central, président de l’École Centrale du Parti et n°5 du Comité Permanent.

L’auteur, qui considère que « Gui Lai » fait partie d’une conspiration visant à affaiblir la légitimité du Parti, compare le film de Zhang Yimou à « Repentance », une production soviétique de 1984 qui dénonçait la tyrannie stalinienne.

L’objectif est le même dit le pamphlet : « il s’agit d’instiller le doute dans l’esprit du public chinois ». Revenant sur un passage du film où Feng Wanyu refuse de dénoncer son mari, il condamne l’exaltation des « valeurs occidentales » qui ont « infiltré la société chinoise » et font passer « la loyauté des individus entre eux », avant la « justice collective ». Pour faire bonne mesure, l’auteur ajoute que si on n’y prend pas garde, cette tendance « nourrira le défaitisme » et préparera le peuple à « abandonner le navire ».

Les éloges du Quotidien du Peuple

Pourtant, laissant entrevoir une divergence au sein de l’appareil, le Quotidien du Peuple, organe officiel du régime, diffuse une toute autre chanson. Sa critique du film est élogieuse et félicite Zhang Yimou d’être revenu à ses thèmes favoris après une période où les préoccupations commerciales semblaient avoir pris le pas sur les exigences artistiques. On congratule également les acteurs pour leur « performance de niveau mondial », ce qui montre, dit le Quotidien, la vitalité du cinéma chinois.

Sur le web, les commentaires vont bon train sur l’hypothèse d’une césure idéologique au sommet. Chacun a en effet en tête, qui font contraste avec l’article tolérant et ouvert du Renmin Ribao, les admonestations sur le thème identique de la nocivité des influences occidentales lancées par la Commission de discipline contre les chercheurs la CASS.

Mais, chacun aura aussi noté que le texte de la critique, signé par le Commissaire Zhang Yingwei, fut retiré au bout de quelques jours du site en ligne du Quotidien du Peuple, qui en a cependant gardé le titre. Ce qui permet de gloser à l’infini sur des batailles politiques su sommet, ou sur une habile mise en scène destinée à faire face à toutes les éventualités. On n’est jamais trop prudent.

Subtilement subversif

La conclusion de Nailene Chou Wiest ne manque pas de sel. Concédant que le film est « subtilement subversif », elle en raconte une scène. Quand un cadre de l’immeuble où elle habite l’interroge sur sa foi dans le parti, Wanyu, l’épouse amnésique répond par l’affirmative. « Au nom du Parti, ajoute le cadre, je vous affirme que cet homme est votre mari ». Mais Wanyu reste de marbre. Elle n’en croit rien.

Après tant d’années de souffrances et de trahison, pourquoi devrait-elle le croire ? L’amnésie est soit la conséquence de traumatismes personnels, soit l’effet des tentatives du Parti pour effacer les atrocités passées qui reviennent le hanter.

Le lien présente la séquence où les gardes rouges arrêtent l’intellectuel Lu Yanshi, magistralement interprété par Chen Daoming sous les yeux de sa femme Feng Wanyu, jouée par Gong Li, qui, elle aussi, revient avec une grande maîtrise aux sources de son talent et de son succès. (Cliquer sur : « watch trailer »)


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