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Coup d’Etat à Pékin. Sexe, meurtre et corruption en Chine

Les éditions Slatkine & Cie viennent de publier en Français sous la direction de Vera Su une passionnante enquête sur l’affaire Bo Xilai qui secoua le parti communiste chinois en 2011 et 2012, en amont du 18e congrès.

Mise à jour pour le public français d’une première édition parue en 2013 en Anglais sous le titre « A Death in the Lucky Holiday Hotel », l’ouvrage, interdit en Chine, décrit avec force détails et le souci constant de croiser les sources, la plus grande embardée politique du régime chinois depuis l’élimination de la « Bande des Quatre » et, dix ans plus tard, le spasme de la répression de Tian An Men.

A la fois pédagogique et prudent, se tenant à distance des conclusions définitives, ce travail d’horloger mesuré et précis qui est aussi une accablante description des arcanes du système politique chinois, est l’œuvre de deux journalistes chinois émigrés aux Etats-Unis.

Ho Pin, 52 ans, fondateur il y a 25 ans à New-York de Mingjing News, source d’informations confidentielles sur la Chine, alimentant les médias occidentaux à partir de contacts immergés dans le sérail politique chinois ;

Huang Wenguang, journaliste et traducteur résidant à Chicago dont les articles sont publiés dans le Chicago Tribune, la Paris Review et Christian Science Monitor. Auteur d’un livre souvenirs « TheLittle red Guard », Huang a aussi traduit plusieurs ouvrages du dissident Liao Yiwu.

La traduction française de « Coup d’État à Pékin » à partir de la version anglaise est de Georges Liébert, qui a aussi co-traduit avec Béatrice Vierne, « Mao, l’histoire inconnue » de Jun Chang et Jon Halliday (Gallimard 2006). Il existe aussi une version en Chinois également parue en 2013, 中國 權貴的死亡 遊戲 « Jeux de pouvoir mortels entre dignitaires chinois »

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Alors que le parti s’apprête, lors du 19e Congrès, à faire entériner le renouvellement d’une partie importante de l’appareil, dont 5 membres du Comité permanent que le président XI cherchera à remplacer par des alliés politiques dont certains seront des candidats sérieux pour lui succéder en 2022, la lecture de l’ouvrage offre une vue saisissante de la réalité des luttes de clans dans les entrailles de la machine politique chinoise.

La puissance des secousses décrites dans l’enquête donne une idée de la fragilité de la transition et des efforts que chaque groupe d’influence devra consentir pour préserver la stabilité, l’un des héritages politiques majeurs de Deng Xiaoping.

Un explosif à retard devenu détonnant.

La mèche lente de la chute du n°1 de Chongqing, trame de l’ouvrage, s’est allumée quand, le 15 novembre 2011, une année exactement avant le 18e Congrès, le corps sans vie du consultant anglais Neil Heywood proche de la famille Bo a été découvert dans une suite de l’hôtel Bellevue à Nanshan, les collines situées à 5km au sud d’une des boucles du Yangzi au sud-est de la municipalité autonome de Chongqing au terriroire vaste comme l’Autriche et peuplée de 33 millions d’habitants dont Bo Xilai, le fils du vétéran maoïste Bo Yibo, était le secrétaire général.

En affaires avec la famille depuis l’époque où Bo était maire de Dalian, tuteur bénévole de leur fils Bo Guagua quand il étudiait à Harrow, Heywood était, suite à l’échec de plusieurs projets d’investissement, en litige financier avec Gu Kailai, deuxième épouse émancipée du secrétaire général Bo. Fille du héros révolutionnaire Gu Jingsheng, la mère de Bo Guagua était aussi une avocate à succès depuis qu’elle avait gagné un procès commercial aux États-Unis.

Après que la mort du consultant ait été une première fois classée sans suite, concluant au décès par arrêt cardiaque causée par une overdose, une deuxième investigation incrimina Gu Kailai accusée d’avoir éliminé Heywood pour protéger son fils sur qui l’Anglais faisait pression pour obtenir réparation financière de ses projets avortés.

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La première déflagration provoquée par la mèche allumée à Chongqing eut lieu trois mois plus tard au consulat américain de Chengdu où s’était réfugié Wang Lijun, l’incontrôlable chef de la police de Bo Xilai. Maître d’œuvre narcissique et tyrannique d’une très violente campagne d’éradication de la corruption et des clans mafieux de l’ancienne capitale de Tchang Kai-chek, Wang qui se présentait lui-même comme un guerrier incorruptible descendant de Gengis Khan, usait de méthodes arbitraires oppressives et violentes qui terrorisaient autant les clans mafieux que sa propre administration.

Mais sa relation avec Bo Xilai s’était soudain dégradée. Déjà destitué de sa fonction de chef de la police, ayant confié à son patron qu’il soupçonnait son épouse d’avoir assassiné Heywood, il craignait pour sa vie à la suite d’une violente altercation avec son chef.

Sa fuite à Chengdu transforma une affaire locale en crise internationale, mettant brutalement à jour la lutte de clans au sein du régime. Celle-ci était à ce point exacerbée entre le fief de Bo Xilai et Pékin qu’au sommet du pouvoir, le président Hu Jintao craignait un affrontement entre les polices de Chongqing et de la capitale, chacune d’elles voulant récupérer le fugitif pour le protéger des feux indiscrets de l’actualité et réarranger la vérité à sa manière.

La deuxième explosion provoquée par le grésillement de la mèche Heywood fut encore plus violente. Alors qu’à la fin de l’hiver 2012, ronronnait la réunion annuelle des assemblées - 两会 -, exercice pré-écrit figurant les apparences d’une démocratie parlementaire, le parti transgressa soudain toutes les conventions obligées de l’opacité et de la solidarité des instances du régime entre elles édictées par Deng Xiaoping après les affres de la révolution culturelle.

Le 14 mars, lors de la conférence de presse de clôture du premier ministre, répondant à un journaliste, Wen Jiabao qui exprimait la position arrêtée et dûment pesée en secret par le Comité permanent, consulta ses notes et signa l’arrêt de mort politique de Bo Xilai : « l’actuel Comité du Parti de la ville de Chongqing et l’administration municipale doivent sérieusement réfléchir à l’incident Wang Lijun et en tirer les leçons ».

Une féroce lutte de pouvoir.

Pour les auteurs, le meurtre de Heywood dont ils attribuent plus la responsabilité à Wang Lijun qu’à Gu Kalai marionnette manipulée devenue psychologiquement instable, n’était que le prétexte pour se débarrasser du flamboyant Bo Xilai. Depuis sa féodalité de Chongqing, le fils de Bo Yibo violait les conventions de façade de l’harmonie politique du système et défiait le pouvoir central par une bruyante politique sociale et populiste, d’inspiration maoïste.

Résumée dans le slogan « Chanter le rouge et briser le noir – 唱红 打 黑 », l’incartade politique qui réveillait chez nombre de caciques du régime les pires souvenirs de la révolution culturelle, était en réalité le stratagème ultime de Bo Xilai, lui-même à la fois corrompu et férocement ambitieux, pour contraindre, par la pression populaire de ses suiveurs, l’appareil à le coopter au sein du Comité permanent du bureau politique, le saint des saints du pouvoir chinois.

La suite est à l’image de la couverture du livre, une chute en cascade des grands « dominos » du pouvoir, entraînés par la descente aux enfers de Bo Xilai et de son épouse. Après la condamnation à mort avec un sursis de deux ans de Gu Kalai, son mari exclu du Parti écopa en septembre 2013 d’une peine à perpétuité. Non pas, comme on aurait pu le croire, pour complicité de meurtre ou dissimulation de preuves, mais pour corruption et conduite immorale ce qui, disent les auteurs, « ne manqua pas de satisfaire l’opinion qui déteste les responsables corrompus ».


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