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›› Editorial

Coup de semonce libéral de Wen Jiabao

Wen Jiabao redescend dans l’arène.

La haute hiérarchie du Régime garde en mémoire que de Zhou En Lai à Peng De Huai en passant par Liu Shao Qi et Yang Shangkun, jusqu’à Deng Xiao Ping lui-même et tant d’autres, les plus hauts dirigeants furent tous brutalement malmenés par Mao, fasciné par le pouvoir solitaire et animé d’une impitoyable férocité envers ceux qui s’opposaient à ces rêves de grandeur et à ses délires collectivistes, principales causes des misères des campagnes chinoises entre 1959 et 1962.

Tel fut le cas de Xi Zhongxun, le père de l’actuel président, héros de la guerre civile dans le Nord-Ouest, connu pour ses oppositions au radicalisme idéologique communiste et pour son pragmatisme à l’égard du Tibet, accusé de « déviation droitière » et tombé en disgrâce en 1962.

Personne n’a oublié que durant les années de la révolution culturelle pendant lesquelles Xi Zhongxun fut comme tant d’autres encore une fois persécuté et mis en prison, la Chine communiste, secouée par un terrible chaos, ses systèmes éducatifs et productifs paralysés, sa population aux prises avec d’indicibles souffrances, avait failli imploser et perdre le bénéfice de sa victoire contre Tchang Kai Chek, vingt ans plus tôt.

Wen Jiabao âgé de 20 ans en 1962, a une conscience claire des méfaits de l’absence de droit et des risques que ferait courir au Parti le retour du populisme d’essence maoïste avec lequel flirte la « nouvelle gauche » qui se reconnaît dans l’expérience de Chongqing.

Contre elle l’ancien premier ministre nourrissait la plus extrême méfiance ; il figurait aussi parmi les plus farouches ennemis de Bo Xilai, au point qu’il s’était opposé à sa nomination à Pékin. Dès lors on comprend ses craintes et son désarroi, surtout quand Xi Jinping donne l’impression de donner des gages à la mouvance prônant une solution politique « aux caractéristiques chinoises » éloignée des principes qui fondent un État de droit.

Le 16 octobre, l’ancien Premier Ministre est apparu à la télévision nationale vêtu de sombre, le visage grave et, comme à l’habitude, un peu crispé, parlant avec une lenteur calculée et détachant soigneusement les syllabes, pour faire l’aopologie de Xi Zhongxun, le père du Président de la République, dont c’était le 100e anniversaire de la naissance.

Voir l’article sur Sina.com.cn.

Ce n’est pas la première fois que Wen se réfère à un ancien homme politique connu pour son libéralisme et son pragmatisme pour délivrer un message politique. On se souvient que le 15 avril 2010, il avait dans les colonnes du Quotidien du Peuple, signé un hommage appuyé à Hu Yaobang Lire notre article Retour des luttes politiques au sommet ?.

Le fait que ce dernier ait été à nouveau mentionné par Wen à l’occasion de son hommage à Xi Zhongxun renforce encore le message libéral qu’il délivre et lui donne l’allure d’une mise en garde adressée au Président contre les tendances régressives des adeptes de la « nouvelle gauche ».

On le soupçonne de protéger « ses arrières ».

Certains disent que l’initiative très inhabituelle de Wen revenu au premier plan 7 mois après sa retraite est d’abord destinée à se protéger lui-même et sa famille de la campagne anti-corruption qui pourrait ne pas l’épargner en dépit de sa grande popularité. Il s’agirait pour lui de protéger sa réputation, son image réformiste et surtout « ses arrières », en fixant aux inquisiteurs les bornes à ne pas dépasser dans leurs opérations de grand nettoyage public.

Il est vrai qu’en première analyse, et si on accorde crédit à l’article du New York Times paru le 26 octobre 2012 sur la famille de Wen Jiabao, ce dernier pourrait être impliqué dans un très grave affaire de conflit d’intérêt et de délit d’initié par le truchement d’un prête nom originaire comme lui de Tianjin qui aurait investi au nom de la famille dans le géant chinois de l’assurance Ping An.

Lire notre article 温爷爷, Wen Yeye, le grand-père du peuple entre corruption et guerre des clans.

Mais, tout à ses révélations de corruptions, l’article du NYT qu’à Pékin la classe politique aux commandes avait fait mine de considérer comme un outrage, omettait de signaler une très insolite contradiction.

C’est que, depuis 2009, le combat politique de Wen Jiabao dont on dit qu’il est en froid avec son épouse Zhang Beili, enrichie de manière trouble grâce à sa position privilégiée d’expert géologue en charge du contrôle de l’industrie du diamant, a précisément pour but de démanteler les prébendes, de hisser la justice au-dessus du Parti et d’imposer plus de responsabilité aux élites.

Encore imprégnés du sentiment d’impunité au sein d’un Parti qui s’est jusqu’ici presque toujours placé au-dessus des lois, beaucoup de cadres rechignent encore à la transparence et à l’obligation de rendre des comptes, rejetant obstinément l’idée d’affronter les aléas électoraux, même aux niveaux subalternes des villages où l’ingérence des petits chefs ne cesse de manipuler les élections libres.

Il n’en fallait pas plus pour qu’au moment de la parution de l’article surgisse l’hypothèse - en effet plausible dans le labyrinthe d’une recherche en Chine menée par un Occidental -, que l’enquête du New-York Times aurait été, à tout le moins facilitée, sinon suggérée par la faction ennemie de Wen Jiabao.

Chacun sait que celle-ci regroupe en rangs serrés une partie de l’appareil de sécurité à l’époque contrôlé par Zhou Yongkang et quelques proches de Jiang Zemin, en même temps que les adeptes de Bo Xilai, dont il faut rappeler que la geste politique d’essence maoïste concentrant tous les pouvoirs dans les mains d’une seule coterie, avait précisément pour effet collatéral - exactement contraire aux ambitions de la « nouvelle gauche » - de protéger les prébendes que les réformateurs veulent démanteler et surtout d’épargner au Parti le défi hautement perturbant des compétitions électorales plus larges et surtout ouvertes et non manipulées.

Le journaliste du NYT a peut-être vraiment conduit une enquête indépendante. Mais la présomption de manipulation par les ennemis de Wen Jiabao, impossible à vérifier, est d’autant plus recevable que la dénonciation des corruptions par le Parti, qui affiche régulièrement sa volonté de nettoyage, fut aussi très souvent une arme politique destinée à éliminer des personnalités trop rétives.

C’est bien pour cette raison que Wen Jiabao s’est toujours fermement impliqué pour défendre l’indépendance de la justice et l’État de droit, bien avant que lui et sa famille soient pris pour cible.

Les convictions libérales très affirmées de Wen Jiabao.

Tout au long des années 2009 et 2010, l’ancien premier ministre s’était en effet très fréquemment exprimé en faveur d’un renforcement des institutions et du respect scrupuleux de la constitution de la République, dont nous savons à quel point elle est au centre des contradictions de la Chine, puisqu’elle affiche des principes de prévalence du droit qu’assez souvent le parti ne respecte pas.

Rappelons en effet que cet émule de Zhao Ziyang et grand admirateur de Hu Yaobang, deux libéraux emblématiques nommés puis limogés par Deng Xiaoping qui recula chaque fois devant l’obstacle des réformes politiques, s’était, après avoir signé l’étonnante apologie de Hu Yaobang dans le Quotidien du Peuple le 15 avril 2010, régulièrement prononcé dans le sens de plus de transparence, de plus de droit et de celui de la séparation des pouvoirs.

En 2010, commémorant le 4 mai à l’université Beida, aux étudiants il parla d’éducation, de démocratie et d’indépendance de la justice : « la justice doit briller plus fort que le soleil ». Cinq mois plus tard à Shenzhen, il évoquait l’urgence d’une réforme politique qui protègerait les droits légaux et démocratiques du peuple, permettrait sa participation aux affaires économiques sociales et culturelles et instaurerait une véritable séparation des pouvoirs, avec le droit reconnu des assemblées de contrôler les politiques publiques et l’assurance de l’indépendance de la justice, seul moyen de rétablir la confiance et de lutter efficacement contre la corruption.

Enfin, en mars 2013, au moment de quitter le pouvoir, il livrait un testament politique sans ambiguïté, dans lequel il affirmait l’urgence des réformes économiques et politiques, « essentiellement pour améliorer la gouvernance du parti et du pays ».

Il ajoutait que la Chine avait atteint un point critique, précisant que sans réformes politiques les réformes structurelles de l’économie échoueraient, mettant en péril les acquis de ces dernières années, tandis que l’urgence et l’acuité des problèmes sociaux pourraient favoriser le retour de tragédies comme celle de la révolution culturelle.

Sa récente intervention sur la chaîne CCTV 1 était un rappel de ces mises en garde. Elle peut être considérée comme une riposte des libéraux aux dérives populistes et aux tendances à resserrer le contrôle de la société et des médias à l’œuvre sous l’égide de Liu Yunshan, n°5 du régime, chef du secrétariat du Comité Central et Président de l’École Centrale du Parti et de la Commission chargée de la promotion de la « civilisation spirituelle ».

Il reste maintenant à savoir si la charge de Wen Jiabao sera efficace et s’il sera suivi ou si, au contraire, ses ennemis ne réussiront pas à le déstabiliser en utilisant l’arme de la lutte contre la corruption, à laquelle, on l’a vu, il est tout autant vulnérable que la grande majorité de l’oligarchie. Une première réponse pourrait venir très vite, dès le prochain plenum du Comité Central, en novembre.


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