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Des Chinois à Blagnac : une faillite française

Investissements chinois : Blagnac une exception controversée.

Le Premier ministre et le ministre des finances ont garanti que l’État ne vendra pas les 10,01% d’actions qui lui restent et que les acteurs locaux garderont le contrôle de l’entreprise. Médiapart affirme le contraire dans un article mis en ligne le 7 décembre, signé Laurent Mauduit.

Les investissements chinois en France plusieurs fois répertoriés par Question Chine ne sont pas une nouveauté. Naturellement ils augmentent au rythme du dernier plan quinquennal établi par le Bureau Politique. Mais pour l’heure, ils ne représentent que 10% du stock des engagements américains (93,7 Mds d’€ en 2013) et 2,6% du total des investissements étrangers (371 Mds d’€ - Chiffre Banque de France fin 2012, hors immobilier -). Aujourd’hui estimés à près de 10 Mds d’€, certains engagements chinois sont nettement plus importants que les 308 millions engagés par le consortium sino-canadien pour le rachat de presque la moitié des parts de l’aéroport de Blagnac.

En 2011, le fonds souverain Chinois (CIC) avait injecté 2,3 Mds d’€ dans le réseau exploration – production gaz et pétrole de GDF-SUEZ dont il s’était approprié 30% du capital. A l’époque l’important volume de la transaction, qui plus est dans un secteur stratégique, n’avait pas soulevé de controverses. L’affaire était transparente et sans ambiguïté. Récemment Synutra, un industriel du lait du Shandong a mis sur la table 90 millions d’€ investis dans une usine de lait pour bébé à Carhaix (Finistère) ; deux autres chinois – le Groupe Sill et Biostime - ont respectivement engagé 35 et 20 millions d’€ à Plouvien (Finistère) et Isigny (Calvados), sans que surgisse la moindre polémique.

Le contraste avec Blagnac crève les yeux. C’est la première fois qu’après une opération de rachat chinoise un recours en annulation est déposé en Conseil d’État. Le moins qu’on puisse dire est que l’affaire s’est faite dans une transparence très approximative et dans une ambiance semi hostile comme en témoigne la réaction d’une partie des élus locaux qui soupçonnent des droits de gestion excessifs accordés en sous main par le gouvernement à la partie chinoise.

Un « pacte d’investisseurs » contre nature…

Contrairement aux informations qui avaient d’abord filtré de Bercy, le premier ministre et le ministre des finances assurent que l’État ne se dessaisira pas des 10,01% qu’il détient toujours et que les acteurs locaux garderont le contrôle de l’entreprise grâce aux 25% des parts de la Chambre de commerce et des 15% constitués par celles des collectivités locales (agglomération de Toulouse métropole, département de Haute-Garonne et Région Midi-Pyrénées).

Rien n’est moins sûr, car des documents mis en ligne le 7 décembre par le site Mediapart montrent que l’État français a souscrit un accord avec l’investisseur chinois liant le gouvernement. Selon Laurent Mauduit journaliste d’investigation co-fondateur de Mediapart, cet arrangement « trahit les alliés naturels » du pouvoir que sont les collectivités locales (..) « En clair », ajoute Mauduit, « les investisseurs chinois sont des actionnaires minoritaires, mais l’État leur offre les clefs de l’entreprise pour qu’ils en prennent les commandes ».

La suite des informations révélées par Mediapart et reprises par le Nouvel Observateur détaille les procédures qui permettraient ce subterfuge. Sur les 15 membres du Conseil de surveillance, 2 seront nommés par les pouvoirs publics et 6 par l’investisseur chinois. Les 7 autres représentant les collectivités locales.

Mais selon l’accord confidentiel, les 2 représentants du gouvernement auraient été sommés de s’engager « sauf pour motifs légitimes » à voter comme les actionnaires chinois à l’occasion, dit Mediapart, des « décisions importantes ». « Autrement dit », conclut Laurent Mauduit, par une formule choc dont le journal est coutumier : « ces huit membres du Conseil de surveillance, liés par un pacte, garantiront aux investisseurs chinois minoritaires de faire strictement ce qu’ils veulent ».

…sous de fortes contraintes financières.

On peut s’interroger sur les raisons qu’auraient les pouvoirs publics de brader ainsi et d’une manière si peu transparente le contrôle d’une entreprise bénéficiaire qui affichait en 2013 un résultat d’exploitation de 10,6 millions d’€ pour un chiffre d’affaires 117,4 millions d’€, en augmentation de 2% par rapport à 2012. Le besoin de « cash » d’un État en faillite est une première explication d’autant que les Chinois ont proposé 308 millions d’€ soit entre 20 et 50 millions de plus que les offres des trois candidats français : Natixis, Vinci Invest, associé à la Caisse des Dépôts et Aéroports de Paris allié à l’assureur Predica.

L’autre motivation directe et non des moindres qui, financièrement, dépasse de loin les affaires locales est que l’un des investisseurs à Blagnac, China Aircraft Leasing Group Holdings Limited (« CALC ») enregistré à Hong Kong a annoncé le 2 décembre dernier (soit deux jours avant la publication par Paris du choix de l’investisseur chinois) qu’il avait conclu un accord pour l’achat livrable entre 2016 et 2022, de 100 Airbus A 320 (10 A 321-200, 16 A 320-200, et 74 A 320 NEO), pour un prix global de 8,3 Mds d’€.

Une transaction dans laquelle l’État chinois est directement impliqué par le truchement de ses bras financiers que sont la China Development Bank et de l’Exim Bank qui ont prêté au total 2,5 Mds d’€ à CALC, soit 30% du montant total de la transaction. Il est légitime de se demander s’il est bien prudent d’introduire dans le Conseil de surveillance du gestionnaire de Blagnac un actionnaire dont les moyens de pression sur des intérêts industriels européens sont aussi puissants.

Était-ce vraiment la seule solution ?

« Ne pouvait-on pas faire autrement ? » interroge justement la député socialiste de la 1re circonscription des Hautes Alpes Karine Berger. Polytechnicienne, haut fonctionnaire, membre de la Commission des finances de l’Assemblée Nationale, elle considère en effet que l’aéroport de Toulouse a été « bradé » et que l’État aurait pu s’engager financièrement pour garantir sa propre indépendance et se garder d’un sulfureux mélange des genres entre la gestion de Blagnac et l’accès au marché aéronautique chinois du groupe européen Airbus.

A ces interrogations dont il faut souligner qu’elles ne sont pas motivées par une soi-disant phobie anti chinoise, mais bien par le caractère brouillon, opaque et pour le moins étrange d’une procédure discrètement engagée à l’été 2014, il faut ajouter deux autres préoccupations.

La première est directement liée à la nature même des fonds d’investissements, acteurs connus de la finance internationale dont une partie des capitaux sont réfugiés dans des paradis fiscaux, précisément unanimement dénoncés par la classe politique française ; la deuxième inquiétude se nourrit des déclarations chinoises concernant le développement de l’aéroport dont une partie est plus proche de la propagande que de projets dûment chiffrés et argumentés.


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