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›› Editorial

Dialogue de Shangrila. La Chine défie l’Amérique

Pékin en première ligne contre Washington.

A Singapour, au cours du week-end du 3 juin, l’amiral chinois Sun Jianguo et l’américain Ashton Carter ont été les vedettes de la 15e édition du « Shangrial dialogue », réplique asiatique de la conférence de sécurité de Munich.

*

Au-delà des paroles convenues sur l’importance de la diplomatie et de l’apaisement par la reconnaissance de l’intérêt de tous pour une meilleure sécurité et pour le libre commerce, ces controverses et arrières pensées étaient toutes entières contenues dans les discours des participants et notamment dans ceux d’Ashton Carter le secrétaire d’État à la défense américain et de l’Amiral Sun Jianguo, membre du Comité Central et n°2 de l’état-major général dont le rôle opérationnel direct a récemment été renforcé sous l’égide de la Commission Militaire Centrale.

Carter a décrit une organisation de sécurité de l’Asie Pacifique organisée autour d’une série complexe d’alliances et de réseaux dont la puissance américaine renforcée par la bascule du Pentagone vers le Pacifique occidental décidée par Obama en 2011, est le centre incontesté. « Aucune autre armée » a t-il dit « ne possède autant de maîtrise technique et de capacité de réaction, soutenues par autant d’expérience que l’armée des États-Unis ».

De son côté Sun a récusé la légitimité militaire américaine dans la zone et nié le droit de Washington de s’immiscer dans les tensions autour des conflits de souveraineté dont l’Amérique n’est pas partie prenante. Au contraire, réagissant à l’étalage de la puissance militaire à laquelle s’est livré Carter, il a répété, comme l’avait déjà fait Xi Jinping, que « la Chine ne créerait pas de troubles, mais qu’elle ne les craignait pas ». Plus encore, il a accusé les intrusions navires de guerres américains dans les nouvelles eaux territoriales réclamées par Pékin d’être à l’origine directe des tensions.

Aux mises en garde de Carter qui, après avoir longuement développé la richesse des liens commerciaux, diplomatiques et militaires unissant les États-Unis aux pays de la région, a évoqué le risque d’une possible isolation de la Chine, Sun, piqué au vif, a répliqué en accusant Washington d’entretenir une mentalité de guerre froide destinée à faire obstacle à la montée en puissance de la Chine. Faisant référence à la campagne de recherche d’appuis diplomatiques actuellement menée par Pékin, il a corrigé la vision de Carter d’une Chine sans alliés : « La Chine n’a jamais été isolée, elle ne l’est pas et ne le sera jamais ».

Enfin, quand les États-Unis, suivis par Londres, Paris [1], Ottawa et New-Delhi, s’inquiétèrent des restrictions à la liberté de navigation et du non respect du droit international, l’amiral Sun a, contrairement à l’évidence, nié la moindre entrave au libre passage des navires et réaffirmé que la Chine n’accepterait pas les menaces contre sa souveraineté et ses intérêts de sécurité dans la zone. Jugeant que la démarche des Philippines auprès de la Cour de La Haye « était illégale », Sun a répété que Pékin rejetterait l’arbitrage du tribunal, considérant que la juridiction était incompétente sur les affaires strictement chinoises [2].

Disant cela le représentant chinois faisait cependant mine d’ignorer l’inconfort grandissant provoqué dans la zone par l’extravagance des revendications exprimées par la « Ligne en 9 traits » publiée par Pékin et lui attribuant la souveraineté sur toute la mer de Chine du sud dont l’espace est pourtant plus vaste que la Méditerranée. (Lire à ce sujet l’analyse Mer de chine du sud. Mythes et réalités).

Avis de gros temps.

La Chine reproche aux Etats-Unis de soutenir Manille dans sa demande d’arbitrage au tribunal international de La Haye et d’inciter les petits pays comme les Philippines et le Vietnam à se dresser contre la Chine. Washington et Pékin s’accusent mutuellement de « militariser » la mer de Chine du sud.

*

Quoi qu’il en soit, l’arrière plan nationaliste à connotation impériale qui fonde les attitudes chinoises articulées autour des « valeurs asiatiques » de subordination de la justice au pouvoir politique, est aujourd’hui sur une trajectoire de confrontation directe avec les valeurs dites universelles de la démocratie, elles même contestées par de nombreuses autres cultures en Afrique et en Asie et, assez souvent chez nous, suite à de nombreux dérapages et brouillages de ses principes par les médias, les réseaux sociaux et l’abus des sondages, pour ne pas parler des lobbies.

Un orage n’est peut-être pas très éloigné. En amont du dialogue de Shangrila, cherchant à se donner une marge de négociations en cas d’arbitrage contraire de la Cour de La Haye, Pékin a vivement critiqué Manille, tandis que la grande presse américaine a fait pression sur la Maison Blanche pour l’inciter à faire respecter le jugement du tribunal s’il donnait tort à Pékin.

Jouant du labyrinthe juridique du droit de la mer dans les espaces à forte densité d’archipels, le porte parole du Ministère des Affaires étrangères chinois compliquait la question en évoquant les droits de la Chine sur l’Île d’Itu-Aba ou Taiping en Chinois, la plus grande îles ses Spratly occupée depuis 1945 par Taïwan et également revendiquée par Pékin, dont la Zone Économique Exclusive des 200 nautiques empiète largement sur celles des Philippines et tangente même les côtes de Palawan. Ce qui, à l’évidence, confère à Pékin un argument de marchandage direct avec Manille. Pour faire bonne mesure le porte parole chinois accusait Manille de « violation flagrante de la loi internationale ».

Le 2 juin, évoquant lui aussi le jugement à venir du tribunal sur le droit de la mer, à propos de la question du récif des Scarborough et des réclamations de Manille au nombre de 15, le Wall Street Journal exhortait la Maison Blanche à la fermeté. Dans les premières lignes de l’éditorial il posait que, derrière les questions techniques légales, l’enjeu était celui de la gouvernance mondiale articulée ou non autour du droit. Il concluait en interrogeant la détermination américaine à faire respecter la loi internationale quand elle était flouée.

Enfin, depuis quelque temps Pékin laisse flotter la possibilité d’installer au-dessus de tout ou partie de la mer de Chine du sud une zone de défense et d’identification aérienne comme elle l’avait fait en novembre 2013 au-dessus de la mer de Chine de l’est (lire l’article de QC qui remettait l’incident en perspective : La Zone d’Identification Aérienne chinoise. Symbole de souveraineté et de rivalité avec Tokyo et Washington).

A l’époque, l’affaire avait fait grand bruit, puis les acrimonies s’étaient progressivement estompées.

Cette fois, même si les analystes américains s’appliquent à relativiser la crise, en effet tempérée par les enchevêtrements de la relation économique et stratégique [3], il reste que, compte tenu de la visibilité des querelles en mer de Chine du sud et des tensions qui les entourent, le symbole de souveraineté véhiculée par une zone de défense et d’identification pourrait toucher un nerf sensible aux États-Unis, chez leurs alliés occidentaux et chez certains riverains dont les Philippines et le Vietnam sont les plus rétifs aux pressions chinoises.

Note(s) :

[1A Singapour, le ministre français défense Jean-Yves Le Drian a rappelé l’attachement de la France à la liberté de navigation et au droit international de la mer. Il a aussi proposé que les marines européennes se coordonnent pour “assurer une présence régulière et visible dans les espaces maritimes en Asie.” Voir le Discours M. Jean-Yves Le Drian, Ministre de la défense à l’occasion du Shangri-La Dialogue

[2Selon Sun Jianguo, non seulement la démarche des Philippines n’avait pas de fondement légal, mais le refus chinois d’accepter le jugement du tribunal était parfaitement en phase avec le droit international qui autorisait Pékin à se soustraire à l’arbitrage en faisant jouer la clause de réserve de la Convention de Montego Bay.

[3Lors de 8e session du dialogue stratégique à Pékin, la présence de Xi Jinping lui-même à la séance d’ouverture du 6 juin, constituait en soi un signe d’apaisement, même si, par ailleurs, subsistent de nombreux points de désaccords sur l’ouverture de l’économie chinoise et les exportations d’acier à prix cassés, ceux-ci étant amplifiés par les surenchères de la course à la présidence aux États-Unis.


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