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Guerre contre la corruption : le Parti s’interroge sur lui-même

Photo : Qiao Cuixia, directrice adjointe de l’Institut d’économie de l’Université Normale du Shandong également membre de l’Académie des Sciences Sociales de la province et ancienne de l’École du parti du Shandong. Elle est un des coauteurs d’une étude récemment rendue publique sur les conditions de travail des cadres du Parti.

Comme il fallait s’y attendre, la violence de la lutte anti-corruption soulève un débat politique. Non pas que l’opinion publique y soit opposée. Excédée par le comportement de certains cadres, l’arbitraire et les écarts de revenus trop voyants, elle est au contraire en majorité en phase avec le Président et le Bureau Politique.

Et s’il est vrai qu’au sein du Parti quelques opinions divergentes commencent à poindre, là non plus rien n’indique pour l’instant que la machine politique se rebiffe comme certains observateurs le laissent entendre. Aucun des grands creusets d’opposition potentiels ne paraît en mesure de freiner l’opération de nettoyage en cours que Xi Jinping considère comme une œuvre de salubrité vitale, condition de la survie du régime.

De l’APL aux retraités du Comité Permanent appartenant aux mouvances Jiang Zemin ou Hu Jintao, en passant par les féodalités des banques et des grandes entreprises publiques, à quoi s’ajoutent les commissions pour la réforme et développement et de surveillance des actifs de l’État (SASAC), tous ont, à ce jour, au moins apparemment encaissé sans broncher les charges de Xi Jinping.

Les racines internes des prévarications.

Mais plutôt que sur le bien fondé de la campagne que personne ne conteste, les réflexions portent à la fois sur la méthode et sur la nécessité de s’attaquer aux causes plutôt qu’aux symptômes. L’importance d’éradiquer les racines de la corruption avait d’ailleurs déjà été évoquée par Wang Qishan lui-même, l’inflexible patron de la Commission de discipline du Parti dont l’action a déjà mis à bas près d’une cinquantaine de cadres du niveau ministériel et au-dessus, gouverneurs et secrétaires généraux de province, patrons et leurs adjoints directs de grands groupes ou de grandes administrations publiques.

Chose impensable avec les équipes précédentes qui ont gouverné la Chine depuis Tian An Men, la bourrasque d’une violence inédite a même bousculé l’immunité des retraités de la haute direction politique du régime. Mais au-delà de la remarquable efficacité directe de son action, Wang Qishan se pose aussi la question des conditions qui, au sein du système, alimentent la corruption. Il n’est pas le seul.

Une enquête récente auprès des cadres du Parti réalisée par l’Université Normale du Shandong largement diffusée dans les médias officiels chinois aborde le sujet des causes enracinées de la corruption, à la fois par ses aspects culturels, sociologiques et politiques.

Il est vrai que la brutalité des actions menées contre les « tigres » corrompus aux plus hauts étages de la machine politique rencontre l’approbation de ceux qui y voient un gage d’efficacité et de crédibilité ; le volet moral de la formation des cadres relancée par le Parti qui recommande la frugalité, l’attention aux préoccupations du peuple et le pragmatisme des actions et des projets, reçoit également l’appui des fonctionnaires interrogés, désormais très conscients des risques disciplinaires qui pèsent sur eux en cas de dérapage éthique.

Une exigence d’introspection : Le système nourrit la corruption.

Il reste que certains doutent que la férocité punitive contre les cadres soit la meilleure solution du long terme. Mieux vaudrait, disent-ils, examiner de manière plus critique le fonctionnement du système politique chinois. C’est là une des conclusions du rapport cosigné par la jeune Qiao Cuixia, directrice adjointe de l’Institut d’économie de l’Université Normale du Shandong également membre de l’Académie des Sciences Sociales de la province et ancienne de l’Ecole du parti du Shandong.

Une des idées maîtresses de l’étude reprise par de nombreux médias est que les cadres pourraient ne pas être forcément corrompus en début de carrière, mais que la machine politique telle qu’elle fonctionne, articulée autour d’une compétition forcenée entre les fonctionnaires constamment sous pression, les y pousse.

On lit dans l’étude que souvent loin de leurs familles - une situation qui conduit fréquemment à l’adultère -, les cadres dont la hiérarchie exige une disponibilité totale sont loin d’avoir la vie « normale » que le Président Xi et son équipe préconisent ; Wang Yukai, professeur à l’Institut de gouvernance de Pékin explique que « l’adultère n’est plus simplement un problème de comportement, mais un facteur important de la corruption ».

Qiao Cuixia met en garde : « le désastre sentimental des vies de certains responsables est directement lié à leurs conditions de travail. Il est impossible d’ignorer le vide émotionnel provoqué par de longues années de séparation conjugale (…) ». Et plus loin : « même quand les cadres ne vivent pas éloignés de leurs familles, leurs obligations professionnelles les obligent à de fréquentes absences. Seulement 15% des cadres interrogés ont assisté à des réunions de parents d’élèves et 20% d’entre eux n’ont jamais pris de vacances avec leur famille. »

Enfin, ajoute le rapport, les cadres vivent sous une contrainte permanente faite des surenchères, de compétitions et d’autopromotions, qui poussent au camouflage et au mensonge, véritables racines de la corruption que l’actuelle campagne d’éradication qui ne s’attaque qu’aux effets, laissera intactes.

Mieux analyser les causes. Faire effort sur la formation.

D’autres essais publiés sur le site du Parti reconnaissant l’utilité du coup de balai en cours, mais eux aussi mettent l’accent sur la nécessité de mieux analyser les racines de la corruption et de développer de plus fréquentes campagnes nationales d’audit plus transparentes et de formation des cadres comme des administrations : « la lutte contre la corruption est une cause louable » dit l’un des articles, « mais il ne faut pas se contenter d’intimider les cadres ; il faut les éduquer et les placer dans un environnement moins oppressant ».

Une tentative pour corriger la mauvaise image des cadres…

A ces articles qui tentent d’aller à la racine de la corruption, s’en ajoutent quelques autres visant à corriger la mauvaise image des cadres systématiquement riches et prévaricateurs que les mises à jour de la bataille ainti-corruption a confortée. Ainsi, le 4 septembre, le Bulletin des Travailleurs - Zhongguo Laogong Tongxun 中国劳工通讯 - publiait le témoignage d’un fonctionnaire nouvellement recruté par le Parti après l’université, intitulé : « la routine quotidienne d’un jeune cadre à Pékin : pas d’argent, pas de respect ». On y lit la faiblesse de la rémunération de départ (3000 Yuan – 380 €) et la disparition progressive des avantages des fonctionnaires supprimés par les nouvelles exigences éthiques.

…pas toujours convaincante.

En même temps, la navigation sur le net et les réseaux sociaux dévoilent les moqueries des internautes adressées aux fonctionnaires dont les réponses tentent, souvent en vain, de réfuter les accusations qui pèsent sur eux. « Vous expliquez que votre salaire est bas, mais vous n’évoquez pas tous les revenus occultes et les bonus dont vous bénéficiez ». A quoi, notre jeune fonctionnaire en charge de la communication internet de son administration répond : « Il est difficile de dire que les revenus parallèles n’existent pas, mais le petit fonctionnaire moyen que je suis n’y a pas accès ».

Il ajoute : « par ailleurs le gouvernement central a instauré des règles de comportement des hauts fonctionnaires qui empêchent les abus de pouvoir et les revenus cachés. » Et, dans un élan de propagande naïve, oubliant qu’il s’agit probablement d’une des causes des dysfonctionnements, il conclut : « Nos salaires n’augmentent que très faiblement et n’ont pas bougé depuis plusieurs années (…). Celui de notre chef, en poste depuis 30 ans est à peine plus élevé que le mien ».

La faiblesse du Droit : un talon d’Achille politique.

Il est rassurant que de jeunes chercheurs comme Qiao obligent la hiérarchie à s’interroger sur les méthodes de la campagne anti-corruption et interpellent le Parti sur ce qui, dans ses traditions, sa culture et son fonctionnement, pourraient être à l’origine des travers que Xi Jinping et le Comité Permanent ont entrepris d’éradiquer.

Il reste que le rapport de l’Université Normale du Shandong ne fait pas mention de deux importantes caractéristiques de la campagne anti-corruption : elle est conduite non pas au nom du Droit, mais de la morale et de l’efficacité politique du Parti, pour préserver son magistère ; elle se développe, pour l’instant, entièrement à l’écart du système judiciaire chinois, pilotée de manière semi-opaque par une Commission étroitement contrôlée par le Comité Permanent. Si la Direction n’y prenait pas garde, cette réalité pourrait favoriser un dérapage vers une lutte de clans.


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