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Hommage à Simon Leys et à la liberté de penser

« Les habits neufs du président Mao », pamphlet contre la mystification.

Les gardes rouges martyrisent des « ennemis de classe » dont ils exigent une autocritique. Le bilan humain exact de la révolution culturelle n’est pas connu. Les historiens sérieux l’estiment à 20 millions de morts.

Par ces dénonciations à la fois éclairées et intrépides – car à l’époque il fallait un réel courage pour prendre le contrepied des sectaires illuminés de la geste maoïste -, Simon Leys qui mettait à jour les mensonges et les longues complaintes ébahies des courtisans s’extasiant en chœur devant le costume imaginaire du Roi nu popularisé par le conte d’Andersen qui inspira le titre des « habits neufs », s’inscrivait avec panache dans la lignée des esprits libres pourfendeurs de mensonges et essayistes de talent de la littérature universelle, de Montaigne et Voltaire à Jean-François Revel en passant par Henri Michaux, GK Chesterton et Georges Orwell.

Les trois derniers ayant fait avec Vladimir Nabokov et Joseph Conrad l’objet de très roboratives observations et analyses dans le dernier ouvrage de ce modeste et rigoureux combattant de la vérité : « Le studio de l’inutilité  », Flammarion 2012, (d’abord publié en anglais en 2011 chez Black Inc, Australie sous le titre « The Hall of uselessness »).

En exergue de cette attitude inflexible en face de la puissance des faits et du principe de réalité qui ne faisait aucune concession au politiquement correct, à l’imposture et encore moins aux bêlements moutonniers des suiveurs du catéchisme maoïste, cette formule du grand historien chinois Sima Qian (145 – 90 av. JC) que Simon Leys avait placé en tête d’un article en hommage à Liu Xiaobo, le prix Nobel emprisonné par le Parti Communiste chinois, publié en bonne place dans « Le studio de l’inutilité » sous le titre « Anatomie d’une dictature post-totalitaire  » : « Mieux vaut la protestation d’un brave que les approbations de la foule ». On peut aussi consulter ce texte sur le site China Files.

Les contre attaques des Maoïstes français.

Les sinologues des années soixante mal informés ou peu désireux de perturber les musiques laudatives du maoïsme furent d’autant plus bousculés et horrifiés que la plume indignée et trempée dans le vitriol de Ryckmans les égratignait beaucoup au passage.

Avec une délectation corrosive il citait ces « experts sinologues » qui seraient horrifiés de visiter la Chine autrement que par des voyages organisés ou de goûter une soupe aux nouilles à l’étal d’une échoppe de rue.

La vindicte acrimonieuse contre Simon Leys alla jusqu’à la révélation de son pseudonyme aux autorités chinoises de l’époque par quelques uns des plus hargneux de ses détracteurs thuriféraires de la Chine. Au Quai d’Orsay on l’accusa d’être un agent de la CIA et le Monde Diplomatique le traita de réactionnaire au point qu’au plus fort des haines idéologiques on craignait pour sa vie.

Il n’en fut nullement ému et continua sans broncher ses mises à jour dont il dit d’ailleurs lui-même qu’elles ne lui coûtèrent que peu d’efforts puisqu’il lui suffisait, précisait-il, d’ouvrir les yeux, de lire la presse chinoise, d’écouter les récits hallucinés de quelques témoins qui passaient à Hong Kong et, peut-être le plus difficile, d’avoir le courage de reconnaître l’embarrassante vérité : l’épopée exaltée de Mao était bel et bien en train de tourner au cauchemar.

Le vaste et fascinant dévoilement des réalités du Maoïsme fut regroupé en 1998 aux Editions Robert Laffont sous le titre « Essais sur la Chine » dans la collection « Bouquins » qui rassemble « Les habits neufs du président Mao » 1971, « Ombres chinoises  » 1974, « Introduction à Lu Xun, la mauvaise herbe  » 1975, « Images brisées » 1976, «  La forêt en feu  » 1983, « L’humeur, l’honneur, l’horreur  » 1995.

Jean-François Revel, un autre pourfendeur des petits et grands mensonges des hommes, disait de ces pages qu’elles « mêlaient merveilleusement la science, la clairvoyance, l’indignation et la satire  ». Il ajoutait : « les lire et les relire est nécessaire pour constater qu’au siècle du mensonge, parfois la vérité relève la tête et éclate de rire  ».

Le vaste répertoire d’un intellectuel modeste.

Mais Pierre Rickmans n’était pas qu’un pamphlétaire politique de talent. Sa palette s’élargissait avec bonheur à l’art chinois, qui fut son premier centre d’intérêt. Dès ses débuts en sinologie il se lança dans des biographies et la traduction d’œuvres édifiantes de personnages hors normes par des travaux tels que : « Six récits au fil inconstant des jours  » (1962) de Shen Fu, lettré marginal et esthète de la dynastie Qing ou la monographie d’un peintre inconnu du sud de la Chine : « la vie et l’œuvre de Su Renshan, rebelle, peintre et fou  » parue en 1970.

La même année il soutint sa thèse de doctorat à l’Institut belge des Hautes études chinoises : « Propos sur la peinture  » sur le peintre Shitao, devenu dans les éditions suivantes : «  Les Propos sur la peinture du Moine Citrouille-amère  », dont l’un des thèmes centraux est la vision morale de l’art chinois selon laquelle la qualité d’une œuvre va de pair avec la probité et la vertu de l’artiste.

Entre temps, Shitao a été rendu célèbre en France grâce à François Cheng (Vide et plein. Le langage pictural chinois, Paris, Seuil, 1991 ; Shitao 1642-1707. La saveur du monde, Paris, Phébus, 1998.). Lire aussi [Présence chinoise et réflexion sur l’art dans l’œuvre de Simon Leys->http://textyles.revues.org/1574].

Mais les inconditionnels de Simon Leys l’aimaient aussi pour bien d’autres choses que ses écrits chinois : son amour de la vérité et sa haine du mensonge politique, des lieux communs et des idéologies ; pour son talent littéraire aussi, son souci du détail authentique, son sens de la formule incisive et polémique, son indépendance à l’écart de toutes les chapelles, Belge de naissance, Français d’écriture et Australien d’adoption, à quoi s’ajoute son extraordinaire éclectisme qu’il cultivait comme un amateur gourmand, touche à tout, humaniste et adepte de «  l’inutile  ».

Ses centres d’intérêts étaient extraordinairement vastes comme le montrent ses écrits et essais qui vont d’une « Anthologie de la mer dans la littérature française  » à Simone Weil, André Gide, Camus, Victor Hugo et Zhuang Zi le grand penseur chinois du troisième siècle avant JC, en passant par « Les naufragés du Batavia  », orgueil de la Compagnie hollandaise des Indes orientales qui coula en 1629 au large de l’Australie et dont l’histoire des massacres provoqués par un psychopathe visionnaire, rappelle les horreurs du XXe siècle initiés par la folie des hommes, constant sujet de fascination de l’auteur.

Sans cesse il se remémorait la formule de l’essayiste communiste polonais Kazimertz Brandys qui quitta le Parti en 1966 : « l’histoire contemporaine nous enseigne qu’il suffit d’un malade mental, de deux ou trois idéologues et de trois cents assassins pour s’emparer du pouvoir et bâillonner des millions d’hommes ».

Enfin, Simon Leys ravissait par son art inimitable de la digression emmenant ses adeptes sur des chemins de traverse avant de les reconduire au cœur du sujet, les lecteurs ayant par ce détour gagné en prime la certitude que tout se tient, surtout chez ceux qui, comme Orwell, Revel, Chesterton et bien d’autres intrépides ont le courage de penser à contre courant.

Mais on ne peut pas terminer un texte sur Simon Leys sans l’interroger sur l’avenir de la République Populaire. Lucide et sans illusions, il prédisait depuis longtemps que le régime relâcherait son emprise totalitaire sur la société, mais ajoutait que le Parti n’abandonnerait pas sa prévalence absolue, n’admettant les critiques que si elles ne menaçaient pas son magistère politique. En même temps, il relevait l’inquiétude des caciques face aux effervescences de la société et aux nouvelles technologies de l’information.


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Par Liweng Le 5/09/2014 à 01h54

Hommage à Simon Leys et à la liberté de penser.

Merci pour ce magnifique hommage à l’un des phares du XX ème siècle. Il faut insister sur les qualités incomparables de ses trop rares traductions : les six récits de Shen Fu, cités dans l’article et les Entretiens de Confucius notamment.

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