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L’ASEAN et la Chine : le vieux défi de Washington en Asie

Contournement par Tokyo, New-Delhi et Canberra.

Le 8 août le secrétaire d’État américain à la défense arrivait à New-Delhi pour proposer des équipements militaires et un accroissement de la coopération de défense. Il suivait John Kerry et la secrétaire d’État au commerce Penny Pritzker.

La manoeuvre japonaise a débuté en 2010, date à laquelle les investissements japonais dans l’ASEAN ont commencé à augmenter. Après un net fléchissement en 2011, l’accélération depuis 2012 est spectaculaire. Au cours de 2013, les 6 pays les plus riches de l’Association (Singapour, Malaisie, Thaïlande, Indonésie, Brunei, Philippines) ont reçu 17,3% du total des investissements japonais à l’extérieur. Dans le même temps, comparés à la même période de 2013, les engagements nippons en Chine ont décliné de 50% au cours des 6 premiers mois de 2014. Aujourd’hui le Japon est le 3e investisseur dans l’ASEAN avec 11,7% du stock évalué à 25 Mds de $ soit plus de 2 fois celui de la Chine.

Effort sans précédent de Tokyo en Asie du Sud-est.

En 2012, le Premier Ministre japonais s’était d’abord engagé dans une stratégie de concurrence avec la Chine dans l’ASEAN dont il a visité les 10 pays en deux ans. La politique était en phase avec celle de Washington et avait pour but de « contenir » la Chine et de riposter sur le théâtre sud-est asiatique aux durcissements chinois en mer de Chine de l’Est.

A cet égard, les promesses japonaises étaient sans ambiguïté : Tokyo offrait trois patrouilleurs côtiers aux Philippines et à l’Indonésie déjà en cours de livraison et trois autres au Vietnam à construire. Le tout accompagné par la mise en place d’instructeurs et d’experts. En avril 2014, la visite du Président Obama à Tokyo confirmait en apparence ce positionnement sans concessions et l’alliance militaire avec les États-Unis, rappelée au Dialogue sur la sécurité en Asie à Singapour un mois et-demi plus tard.

Le Japon dans le camp occidental…

Dans un des mouvements qui, dans l’histoire, a depuis le XIXe siècle toujours profondément irrité Pékin, Tokyo prenait sur la question de la mer de Chine du Sud clairement partie pour le camp occidental. Lors de la réunion du G7 à Bruxelles, début juin, le Japon était en effet aux côtés de Washington, Londres, Berlin, Paris, Ottawa et Rome pour condamner les « actions unilatérales » destinées à affirmer la souveraineté territoriale, en mer de Chine de l’Est ou du Sud.

…amorce un recentrage prudent vers la Chine.

Aujourd’hui pourtant, Tokyo a commencé à recentrer sa stratégie et le mouvement l’éloigne des rigidités anti-chinoises de 2012. Dans une conférence de presse début août à Hiroshima, Abe suggérait qu’il était important de « calmer l’atmosphère avec la Chine ».

Le message a été répété au Brésil pendant un voyage effectué sur les talons du Président chinois, tandis que le 9 août Wang Yi le Ministre des Affaires s’entretenait pour la première fois depuis 2012 avec son homologue japonais Fumio Kishida en marge du sommet de l’ASEAN à Naypyidow. La rencontre faisait suite au message personnel que, selon une source diplomatique japonaise, Abe aurait envoyé fin juillet à Xi Jinping par le truchement de l’ancien premier ministre Fukuda. L’objectif de ces réajustements diplomatiques est de préparer une rencontre entre le n°1 chinois et Shinzo Abe lors du sommet de l’APEC à Pékin, début novembre.

Canberra calé sur le Pentagone et John Kerry.

Après les échauffourées verbales à Maypyidow entre Pékin et Washington, John Kerry et Chuck Hagel, le ministre de la défense se sont rendus en Australie qui, au sommet de l’ASEAN, avait appuyé les propositions américaines violemment rejetées par Pékin, comme s’il s’agissait d’un intrus illégitime. Une bonne partie des négociations eut comme objet le renforcement de la coopération militaire entre les deux pays, l’accroissement de la présence d’unités américaines au nord de l’Australie avec notamment l’augmentation de l’effectif des Marines qui passera de 1200 à 2500 d’ici 2017. Canberra a également accepté plus d’exercices aériens et navals et une présence accrue des chasseurs de combat et des bombardiers de l’US Air Force.

Les discussions ont également porté sur l’installation d’une défense anti-missiles, un autre sujet très irritant pour la Chine qui ne manquera pas de nourrir son discours sur le caractère agressif de la présence américaine dans la région. La rencontre faisait suite à une visite à Washington de Tony Abott, premier ministre australien le 12 juin dernier. A cette occasion ce dernier, prenant le contrepied des positions chinoises, s’était félicité de la présence américaine garant de la sécurité dans la région, « condition de la paix et du développement économique ».

L’Inde un allié circonspect.

Juste avant le sommet des ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN, Chuck Hagel secrétaire d’État à la défense américain était à New-Delhi pour une visite de trois jours. Elle faisait suite à celle à peine quelques jours plus tôt de John Kerry et de la Secrétaire d’État au commerce Penny Pritzker qui participaient à la 5e session annuelle du dialogue stratégique avec New-Delhi. Mais le rapprochement de sécurité souhaité par Washington qui tente de pousser le nouveau premier ministre Modi à affirmer son leadership en Asie face à Pékin n’est pas simple.

Au cours de 2014, New-Delhi a en effet soutenu Moscou contre les Européens et les Américains dans l’affaire de Crimée tandis que l’histoire renvoie à une forte proximité de l’Inde avec l’URSS puis la Russie, notamment dans le domaine des équipements militaires.

Sans compter que la relation entre les deux avait été très gravement mise à mal en décembre 2013 par la manière très brutale dont la justice américaine avait traité l’affaire de la jeune diplomate indienne Devyani Khobragade, accusée de fraude aux visas et de maltraitance de son personnel de maison. Ce que New-Delhi avait considéré comme une violation flagrante de l’article 41 de la convention de Vienne.

D’autres divergences doivent encore être négociées en amont de la prochaine visite de Modi aux États-Unis en septembre, notamment sur les questions commerciales et les droits de douane imposés par l’Inde aux exportations agricoles américaines. Mais l’intention de Washington est clairement de créer avec New-Delhi une dynamique positive en vue de faire contrepoids à la puissance chinoise en Asie.

Perspectives de coopérations de défense.

Alors que l’Inde champion du non alignement continue à afficher une solide méfiance envers les États-Unis et souhaite se tenir à distance de toute perspective d’alliance stratégique avec Washington, c’est paradoxalement sur les questions de défense que s’ouvrent les meilleures perspectives.

Washington et New-Delhi reconnaissent en effet conjointement les défis de sécurité de la région en Afghanistan où le comportement des services secrets pakistanais à l’égard des djihadistes dans les zones tribales est préoccupant, tandis que les deux s’alarment des affirmations de puissance et des revendications territoriales chinoises, principales causes des frictions récurrentes entre la Chine et l’Inde dans les zones contestées de l’Arunachal Pradesh et de l’Aksai Chin. Tout en rappelant que Modi n’aurait pas à « choisir entre Washington et Pékin », Hagel a quand même incité New-Delhi à accroître ses coopérations de sécurité avec le Pentagone et le système de défense japonais.

La persistance des approches de défense.

A cet effet le secrétaire d’État a proposé une douzaine de projets concrets allant jusqu’à promettre – ce qui est rare, compte tenu des restrictions légales américaines – le transfert de technologies et des savoir-faires de production aux ingénieurs de l’industrie armement indienne. L’objectif est de rééquilibrer les importations d’équipements militaires indiens qui, pour l’instant, viennent à 75% de la Russie.

En négociations aujourd’hui, en plus des contrats en cours de 10 avions de transport stratégique C-17 et de 6 transports tactiques C-130 supplémentaires : un contrat de 1,4 Mds de $ pour la vente par Boeing de 22 hélicoptères d’attaque Apache AH-64 et de 15 hélicoptères CH-47 Chinook de transport lourd. Deux équipements majeurs que l’armée indienne envisage d’engager aux abords des zones contestées par la Chine au nord du pays.

D’autres projets pourraient concerner l’achat de nouveaux C-130 et la construction en coopération de navires de combat. S’agissant des armements terrestres un projet phare en négociations visera à construire en Inde pour le marché indien et pour l’export la prochaine génération du missile anti-char portable Javelin produit par Raytheon.

Faiblesses des approches commerciales américaines.

De cette analyse il ressort que les stratégies de contournement des hésitations et des divisions de l’ASEAN par le Japon, l’Australie et l’Inde sont surtout articulées autour d’accords de défense ou de projets de vente d’équipements militaires, dont l’affichage conforte les critiques chinoises dénonçant l’agressivité américaine et la bascule stratégique du Pentagone vers le Pacifique occidental comme un facteur de tensions.

Dans le même temps, l’intransigeance de l’approche commerciale de la Maison Blanche marquée par l’exigence d’abaissement total des barrières douanières prônée par les grands exportateurs américains, handicape la compétition avec la Chine dont les manœuvres commerciales sont infiniment plus souples.


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