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›› Taiwan

L’inconfortable danse de Formose avec les empires

Anciennes ambitions et nouvelles contraintes.

François Joyaux l’écrivait déjà en 1991 dans « Géopolitique de l’Extrême Orient » : « un des ressorts essentiels de la politique extérieure chinoise, tant à la période républicaine qu’à la période communiste réside en sa volonté permanente d’en revenir à la situation territoriale qui précéda l’ère coloniale. Ce fut le cas du Tibet et de Port Arthur en 1950, celui de Hong-Kong et Macao en 1997 et 1999. C’est encore celui des territoires frontaliers revendiqués en Asie Centrale et face à l’Inde et, surtout, bien évidemment, celui de Taïwan ».

Il reste que par les temps qui courent la stratégie ne peut plus être celle d’une trop directe et trop aléatoire conquête militaire. L’heure est à la subtilité oblique articulée autour du long terme et de la patience. Et la nouvelle arme absolue, débordante, pressante et omniprésente a désormais pris la forme des relations économiques et commerciales. Pourtant, elle aussi doit se garder d’être trop impérieuse sous peine d’effaroucher la société taïwanaise attachée à son particularisme insulaire, marqué par la différence politique essentielle avec la Grande Terre que constitue son système démocratique.

Telles sont les contradictions d’une Chine à la fois pressée d’engager avec l’Ile un dialogue politique considéré comme le premier pas vers la réunification, mais également consciente que trop d’insistance pourrait mettre à mal l’environnement favorable créé par l’accord cadre de 2010. Alors que 40% des exportations taïwanaises sont dirigées vers la Chine et Hong Kong, l’opposition à Ma Ying-jeou ne cesse de pointer du doigt le risque de grignotage rampant du statut d’indépendance de l’Ile. De fait, au cours de trois dernières années Pékin a, pour détourner les critiques, fait preuve de beaucoup de persévérance, d’impassibilité, d’indulgence et de générosité dont les hommes d’affaires taïwanais tirent profit.

La capacité de compromis de Zhongnanhai dépasse d’ailleurs les simples relations dans le Détroit. Elle s’élargit aux relations de Taïwan avec d’autres partenaires de la zone, auxquelles Pékin a compris qu’il serait dangereux de faire obstacle. En avril dernier le Bureau Politique n’a par exemple pas réagi à l’accord sur les pêches conclu entre Taipei et Tokyo au milieu des tensions qui montaient déjà à propos des Senkaku. Il faut dire qu’en signant les nouveaux accords commerciaux, Taipei prend soin de ne pas heurter la sensibilité politique de la Chine.

Si l’accord de pêche avec le Japon était entouré d’une forte couverture médiatique montrant ostensiblement la poignée de mains nippo-taïwanaise au-dessus de l’emblème de la République de Chine, symbole s’il en est de la querelle existentielle dans le Détroit, à l’époque ignoré par Pékin, le traité de libre échange avec Singapour suite à celui signé en juillet dernier avec la Nouvelle Zélande, s’est affiché avec plus de discrétion, respectant les règles formelles de souveraineté imposée par la « Grande Terre ». Sa dénomination officielle était en effet « Accord de partenariat économique entre Singapour et les territoires douaniers séparés de Taïwan, Penghu, Kinmen et Matsu ».

Le 7 novembre, satisfait et rassuré, le porte parole du Waijiaobu a, au prix d’une entorse à la vérité des faits, une nouvelle fois, démontré la placidité chinoise : « nous n’avons pas d’objection aux accords culturels et économiques non gouvernementaux, mais nous nous opposons à l’établissement de relations officielles ». (China brief, novembre 2013). D’autres accords suivront, où Taipei tentera d’avancer ses pions en adoptant le même « profil bas », qui prend Pékin au mot. Récemment, le représentant officieux de Taïwan à Londres a indiqué que l’Île négociait un accord d’investissement avec la Grande Bretagne, tout en s’efforçant de promouvoir un traité avec l’UE, depuis longtemps sur la table, mais toujours retardé par Bruxelles soucieux de ne pas heurter la Chine.

Rigidité commerciale américaine.

Scrupuleusement observée par Pékin, l’effervescence commerciale créée par Taïwan pour échapper au piège du Détroit gagnera encore en intensité puisque l’Île dont Washington attendait la réponse, vient de signifier le 22 décembre dernier qu’elle avait l’intention d’adhérer au projet d’accord douanier du « Trans Pacific Partnership » qui devrait regrouper 12 pays des rives du Pacifique sous l’égide des États-Unis. La décision de Taipei n’allait pas de soi puisqu’elle impliquait d’accepter les injonctions américaines d’avoir à se « conformer aux exigeantes règles du libre échange » imposées par le ministère du commerce américain qui critique sévèrement les restrictions sanitaires taïwanaises d’importation de viande de bœuf et de porc.

Pressés par le KMT et Washington, le Yuan Législatif et les négociateurs taïwanais de l’Accord Cadre avec les États-Unis sur le commerce et les investissements (TIFA pour Trade and Investment Framework Agreement) ont relâché les restrictions pesant sur l’importation du bœuf américain dopé à la ractopamine. En mars 2013, mettant ainsi fin à une controverse qui durait depuis 6 ans, les limitations sur le bœuf ont été en partie levées, mais preuve que la querelle reste vive, elles ont été maintenues pour la viande de porc.

Dans ce tableau dessinant une forte rivalité entre Pékin et Washington les intransigeances tatillonnes du ministère du commerce américain qui mettent Taipei sous pression, contrastent avec la souplesse chinoise. Chacun y joue son jeu dans un affrontement dont le statut original de Île risque de faire les frais. Les États-Unis brandissent les bannières des producteurs de viande et celle des grandes multinationales de l’agroalimentaire ; Pékin agite les sentiments très passionnés de la réunification, tandis que Taipei tente à la fois de préserver le statu-quo politique et l’équilibre de son économie.

Photo : Le 7 novembre dernier à Singapour signature du Traité de libre échange entre Taïwan et Singapour. A cette occasion le Ministre des Affaires étrangères Davin Lin a considéré que l’accord démontrait la disponibilité de l’Île à libérer ses relations commerciales avec le reste du monde.


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