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La parabole du stylo à bille

Récemment la sphère industrielle et les médias se sont échauffés autour d’un sujet insolite très éloigné des habituelles références de puissance du rêve chinois : la fabrication du stylo à bille. Le 18 janvier dernier, le China Daily rendait compte que le grand aciériste public Taiyuan Iron and Steel (TISCO) en chinois 太原 钢铁-Taiyuan Gang Tie – 38e mondial en volume avec 10 millions de tonnes d’acier produits en 2015, avait, après 5 années de recherche & développement, réussi à maîtriser la technologie du stylo à bille, ce qui mettait fin à la dépendance chinoise aux importations des ensembles bille rotative et réservoir d’encre, coûtant chaque année 17,3 millions de $ (source Association Nationale de l’industrie légère).

Jusqu’à présent la réalité était qu’avec 3000 fabricants de stylos, la Chine alimentait certes 80% du marché mondial avec 40 milliards de pièces, mais que le cœur des stylos – la bille, sa housse et le réservoir d’encre - étaient importés de Suisse, d’Allemagne ou du Japon.

Li Keqiang met les pieds dans le plat.

Mais l’affaire, moins futile qu’il n’y paraît, renvoie au poids du politique et au fonctionnement de l’innovation en Chine. Mise en perspective, elle remonte à juin 2015 quand le premier ministre fit du stylo à bille le symbole du retard technologique chinois sur la chaîne de télévision nationale. « Pourquoi la Chine est-elle incapable de fabriquer un stylo à bille correct ? » avait-il asséné à un parterre d’industriels. « L’écriture des stylos importés est confortable et souple et celle des stylos chinois est rugueuse et tâche les mains ».

Après cette adresse peu amène du n°2 chinois, les fabricants de stylo s’étaient livrés à un examen de conscience public dans un séminaire télévisé où la gène était palpable. « C’est un fait » avait avoué Qiu Zhiming, président d’une des plus grosses usines de stylos, « nous n’avons pas développé les machines de précisions capables de produire des billes de bonne qualité. »

Il avait même du subir les sarcasmes de la très médiatique Dong Minzhu, alors PDG des climatiseurs Gree Electric, une des plus agressives femmes d’affaires chinoises, connue dans le public pour ne jamais prendre de vacances.

Dirigeant jusqu’en novembre 2016 une entreprise hybride classée comme un groupe public, mais enregistrée à la bourse de Shenzhen, Dong 63 ans, membre de l’ANP depuis 15 ans et ayant l’oreille du Parti, avait apostrophé Qiu : « Posez vous la question, combien d’argent les étrangers ont-il amassé parce que leur technologie est meilleure que la notre ? » avait-elle lancé à l’assistance. « Savez-vous ce que je vais faire. Je mettrai mes meilleurs ingénieurs pour mettre au point une machine aussi performante que celle des Suisses et, dans un an, je vous la vendrai à moitié prix ».

Les handicaps de la R&D chinoise.

Le discours agressif teinté de nationalisme touchait le point très sensible des ratés de la R&D hors de la nébuleuse des grands projets emblématiques que sont l’espace, le nucléaire civil et militaire, le TGV, l’aviation civile, les avions et les navires de combat et quelques autres liés aux nouvelles technologies de l’information, tels les micro-processeurs où la recherche chinoise se heurte à l’omerta protectrice des maîtres du secteur. Lire notre article Coup d’œil sur le « high-tech » en 2016

Quant aux innovations des secteurs de la consommation courante, tout venant des PME chinoises, elles restèrent le parent pauvre de la R&D victimes de la jungle impitoyable du marché chinois.

Même quand les petites et moyennes entreprises obtiennent un prêt des banques, ce qui tient parfois de l’exploit dans un système articulé autour de la proximité entre le système financier public et les grands groupes d’État, les acteurs dont les reins financiers ne sont pas assez solides et n’ayant pas toujours le soutien de l’administration, hésitent à investir dans la recherche pour deux raisons.

La première est que le laxisme de la protection des brevets porte le risque que le coût de la recherche profite aux plagiaires ; la deuxième est que la féroce compétition sur les prix, tirant la qualité des produits vers le bas, laisse peu de marges aux investissements de R&D.

Du coup, par sécurité, l’entrepreneur moyen préfère continuer dans la voie de la qualité médiocre, important la high-tech de l’étranger ou, au mieux, cherchant à la copier ou à la capter, soit par le moyen de JV, passage obligé de tous les investisseurs industriels en Chine, soit par la captation articulée autour des règles sur les brevets permettant de siniser à peu de frais une innovation non chinoise par une modification marginale. Dans ces habitudes de compromis la vraie R&D n’y trouve pas son compte.

Le poids rémanent des grands industriels d’État.

La suite révélée par le China Daily n’est en aucune manière une correction de trajectoire. Elle montre au contraire que la R&D est toujours l’affaire des grands groupes pilotés par l’État dont l’influence n’a été que partiellement réduite par les réformes de structures en cours. Du coup le processus d’innovation reste lourd et bureaucratique.

Appuyé par la concentration des moyens et des finances de l’État, il obtient certes, grâce aux transferts technologiques consentis par les société occidentales ou japonaises en échange de l’ouverture du marche chinois, des résultats spectaculaires dans l’aventure spatiale, le rail, la construction navale, certains secteurs de la biotechnologie, la médecine, le nucléaire civil ou l’aéronautique.

Mais force est de constater que la nébuleuse de la recherche est encore loin d’exprimer la spontanéité foisonnante de la Silicon Valley, au point que 30% des brevets déposés chaque année dans le monde sont encore américains. Si on y ajoute un nombre équivalent de brevets déposé par le Japon, devenu le premier allié de l’Amérique alors que Donald Trump tourne le dos à l’Europe, on mesure la prévalence toujours indiscutable d’une galaxie de R&D aux couleurs de l’Oncle Sam et du Japon, son clone asiatique, également son plus proche parent stratégique.

TISCO, symbole du monopole industriel et politique.

Alors que les PME chinoises du stylo à bille faisaient acte de contrition évaluant leurs faiblesses en R&D, une partie de l’image leur avait échappé. Depuis 2011, et dans le plus pur schéma étatique de connivence entre la puissance publique et les grands groupes industriels, le développement de machines permettant de fabriquer des pointes de stylo de précision avait été, confié au géant de l’acier TISCO. A cet effet, le ministère des sciences et des technologie lui avait alloué en toute discrétion 9 millions de $ pour un projet intitulé : « Recherche et développement des équipements de pointe pour l’industrie du stylo. »

La contradiction industrielle et économique consistant à confier à un géant de l’acier encombré de vastes surproductions, (l’excédent d’acier est de 200 millions de tonnes par an) la mise au point de machines pour stylo à bille est tout un symbole du fonctionnement de la bureaucratie millénaire chinoise. La force du politique, relayée par des fonctionnaires efficaces aux ordres, est à l’origine de toutes les avancées. S’il est vrai qu’on constate son efficacité dans nombre de secteurs, on peut douter de sa spontanéité innovante.

Dans un article du 15 janvier dernier, Bloomberg met le doigt sur cette originalité chinoise héritée non pas du communisme, mais de la longue et riche histoire de la bureaucratie. Même pour des innovations anodines, le poids du secteur public – en 2016, 150 000 entreprises publiques dont de nombreuses sont couvertes de dettes – reste incontournable. Bloomberg ajoute que, sous la présidence de Xi Jinping, certains des mastodontes étatiques ont encore gagné en puissance, au point qu’ils sont devenus à la fois la clé et, dans certains cas, les principaux obstacles aux réformes pour plus de transparence moins de gaspillages et une meilleure efficacité industrielle.

L’ironie de l’histoire est que la mainmise par TISCO sur ce minuscule projet peu rentable pour le groupe, produira un effet pervers contre lequel le Conseil des Affaires d’État prétend pourtant lutter : le monopole industriel. Tous les fabricants seront obligés de s’aligner sur les normes TISCO. Pour les PME du stylo rien n’aura changé. Leur dépendance à l’étranger sera remplacée par une dépendance au géant de l’acier chinois.

A moins que, par une nouvelle épreuve de force, les pouvoirs publics tordent le bras à TISCO pour mettre gratuitement sur le marché le brevet des pointes de stylo chinoises. Ce qui dans un contexte où le poids du politique reste prévalent, n’est pas impossible, mais dépendra de la capacité du pouvoir à résister à l’influence des groupes d’intérêt.

En toute hypothèse, conclut Bloomberg, la solution la plus rationnelle, à l’opposé des errements en cours, serait de renforcer le dispositif permettant de protéger la propriété intellectuelle afin que les PME puissent se lancer sans arrière pensée dans la recherche. Parallèlement, le Conseil des Affaires d’État devrait poursuivre sa politique de remise en ordre du secteur public, fermer les géants qui produisent à perte et encourager ceux qui améliorent leur productivité, plutôt que ceux étroitement connectés au pouvoir.


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