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La révolte de Linshui et les fantômes de l’histoire

Les ruraux, laissés pour compte du développement.

Chongqing et ses abords. L’urbanisation rapide crée le télescopage des modes de vie où les ruraux sont parfois laissés pour compte.

Alors que le développement du Grand Ouest a enrichi les municipalités de Chengdu et Chongqing aujourd’hui encombrées d’embouteillages, traversées par des autoroutes enchevêtrées, courtisées par des investissements étrangers, envahies par les zones de développement de « l’usine du monde », leurs arrière-pays sont moins bien lotis. Il suffit de se souvenir des régions laissées pour compte au Sichuan cruellement touchées par le séisme de Wenchuan en 2008, des zones adjacentes à majorité tibétaine ou des vallées autour de Chongqing.

Aujourd’hui la situation reste celle d’un contraste entre les puissantes métropoles et les régions rurales déshéritées. Mais l’histoire s’invite dans les tensions qui viennent d’agiter violemment ce coin de Chine quand on examine la trajectoire particulièrement martyrisée du Sichuan pendant le grand bond en avant, puis durant la révolution culturelle que tous les auteurs signalent.

Le grand bond en avant, les courtisans maoïstes et la famine du Sichuan.

A partir de 1953, l’empressement courtisan des autorités locales envers le pouvoir central, probablement motivé par le désir de racheter la région aux yeux de Mao d’avoir été le dernier bastion de Chang Kai-chek, entraîna des exportations massives de céréales vers Chongqing, Chengdu et le reste de la Chine, – 70% des 10 millions de tonnes récoltées entre 1953 et 1958 - au point qu’à partir de 1959, la famine de la province fut encore plus mortelle qu’ailleurs.

Dennis Tao Yang et Jutin Lin Yifu expliquent qu’en 1958 et 1959 au Sichuan et au Hunan des slogans politiques prônaient le sacrifice des résidents au profit du reste de la Chine aux ordres de Pékin : « d’abord le “Centre“ avant le “local“, “l’extérieur avant l’intérieur“ ». Ces choix furent les causes essentielles des sévères famines au Hunan et au Sichuan qui frappèrent encore plus durement que dans d’autres provinces comme par exemple le Guangdong ou le Jilin qui avaient sérieusement réduit leurs exportations. (China Economic Review, 1998, Volume 9, n°2, pages 125-140).

La grande métropole de Chongqing, les mânes de Deng Xiaoping et les déshérités des campagnes.

La police armée populaire rend hommage à la statue de bronze de Deng Xiaoping à Guang’an le jour anniversaire de sa mort, le 19 février 1997. Il avait 93 ans.

Enfin, dernier avatar historique ayant contribué à nourrir les frustrations locales et attisé la rancœur durable des locaux contre le « Centre » rappelé par Cathart et Li Wankun, est que le district de Guang’an dont fait partie Linshui pourtant situé à moins de 20 km des limites de la grande municipalité autonome de Chongqing, avait, par respect pour les origines de Deng Xiaoping, dont le « Lao Jia 老家 » était Guang’an, laissé à l’écart par Li Peng et le Comité Central quand furent redessinées les limites de la province en 1996. Deng Xiaoping dont le très fort accent provincial était connu de ses interlocuteurs, ne répétait-il pas sans cesse « Je suis un Sichuanais ». Dès lors la direction politique n’avait pas osé rattacher sa ville natale à Chongqing.

Ainsi Guang’an et Linshui furent-ils relégués en marge des bienfaits du développement de l’Ouest et de la municipalité autonome, objet de toutes les attentions du pouvoir central. Comme souvent chez les marginaux, la solidarité des exclus s’est doublée d’une rivalité aggravée par le mépris du chef lieu du district pour Linshui, sa petite périphérie. Que cette dernière puisse bénéficier, avant le mythique lieu de naissance de Deng, des avantages du TGV était impensable pour la bureaucratie locale qui est intervenu pour faire modifier le parcours.

Difficile route vers la modernisation et le redressement éthique.

La conjonction de ces puissantes jalousies locales ajoutées aux souvenirs tragiques de la grande famine aggravée par le zèle criminel de la bureaucratie aujourd’hui à nouveau accusée de favoritisme, furent le terreau historique des enchaînements de violence qui ont secoué la région les 16 et 17 mai derniers.

Si enfin on se souvient que, dans la région, mise en coupe réglée par les réseaux mafieux de Bo Xilai à Chongqing et de Zhou Yongkang à Chengdu, les rancoeurs contre les bureaucrates corrompus sont en permanence à fleur de peau, la brutalité des ripostes populaires à la férocité de la répression diligentée par Guang’an avec l’aide de la police armée populaire s’éclaire d’une lumière différente. On y perçoit que l’histoire des errements maoïstes télescope la corruption massive de la bureaucratie, dangereux talon d’Achille du régime.

La poussée de fièvre de Linshui rappelle aussi que le régime engagé dans un processus compliqué de modernisation et de redressement éthique avance sur une route jonchée de grands obstacles et de nombreux pièges qui retardent la réalisation du « rêve chinois ».

Une vidéo des échauffourées de Linshui diffusée sur Youtube à partir des réseaux sociaux chinois : China Guang’an SWAT attack the linshui people


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