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Le « grand jeu » du Pacifique occidental

Djakarta entre habileté et durcissement nationaliste.

Le président chinois Xi Jinping et le nouveau président indonésien Joko Widodo au Grand Palais du Peuple en novembre 2014, durant l’APEC. Ayant exprimé des inquiétudes sur les intentions de la ligne en 9 traits chinoise, Widodo est aussi courtisé par Washington et Tokyo. Après une visite au Japon, à la fin mars, il doit retourner en Chine, où il cherche des investissements.

Quoique dans une moindre mesure, l’Indonésie est aussi le théâtre des menées politico-militaires des grands acteurs de la zone. Jusque il y a peu, Djakarta avait, grâce à l’habileté de son ministre des Affaires étrangères le très cultivé Marty Nartalegawa, aujourd’hui remplacé par Madame Retno Marsudi, réussi à conserver un équilibre entre la nécessité de développer des relations les plus amples possibles avec la Chine tout en se protégeant des prétentions territoriales de Pékin. Mais le délicat équilibre semble avoir été rompu au printemps 2014 quand Marty Nartalegawa avait demandé à Pékin d’expliquer la logique de sa ligne en 9 traits qui empiète sur la ZEE des îles Natuna.

Aujourd’hui, en dépit des projets de coopération économique promus par Widodo qui rencontra Xi Jinping en novembre 2014 au sommet de l’APEC, il serait une erreur de réduire les relations bilatérales sino-indonésiennes aux questions commerciales. Le raidissement du nouveau pouvoir autour de sa souveraineté montre à l’évidence que de graves méfiances, en partie léguées par l’histoire, subsistent entre Pékin et Djakarta. Elles constituent un obstacle dont les plus évidentes expressions furent les récentes confiscations de 9 chalutiers chinois opérant illégalement dans les eaux indonésiennes.

La Chine n’est cependant pas la seule visée par la nouvelle fermeté souverainiste de Djakarta. Depuis l’avènement de Jokowi, pour tenter de faire cesser la pêche illégale par plus de 5000 bateaux qui opèrent chaque jours dans les eaux indonésiennes contribuant selon Djakarta à plus de 20 Mds de $ de pertes sèches pour les finances indonésiennes, la marine indonésienne a déjà coulé des chalutiers vietnamiens, thaïlandais, philippins et malaisiens.

Opportunismes américain…

Dans la foulée du raidissement à l’œuvre autour de l’archipel des Natuna dont l’intégrité est menacée par la ligne en 9 traits chinoise et, s’engouffrant dans les angoisses de souveraineté provoquées par les pressions chinoises, les États-Unis ont, début janvier 2015, conclu un plan de coopération militaire bilatérale avec Djakarta. Selon le général Ediwan Prabowo, secrétaire général du Ministère de la Défense indonésien qui prend peut-être ses désirs pour des réalités, l’accord vise ni plus ni moins à « refondre la stratégie générale de l’Indonésie, sa planification de défense et à rehausser son potentiel militaire ».

L’avenir dira comment ces propos présomptueux repris par la propagande de Voice of America seront transformés en réalité tangible. Il est évident qu’une partie de la réponse dépend de l’aptitude chinoise à calmer son « prurit impérial ».

…et japonais.

Quand il s’agit de mettre à profit les inquiétudes provoquées par les prétentions territoriales chinoises, Tokyo n’est jamais en reste. Le 19 mars, une dépêche de Reuters révélait que lors de la visite officielle de Joko Widodo à Tokyo à la fin mars, le Japon et l’Indonésie allaient signer un traité de coopération militaire. Les commentaires renvoient une fois de plus à la nécessité de faire contrepoids à la montée en puissance de la Chine. Sans être un accord de défense avec obligation d’assistance mutuelle en cas d’agression, le pacte serait « le premier pas » vers des liens stratégiques plus substantiels. Pour l’instant il serait destiné à envoyer « un message fort ».

Mais Joko Widodo reste prudent. Après Tokyo dont le militarisme colonial a, rappelons le, laissé un très mauvais souvenir dans la région, il se rendra à Pékin avec qui Dajkarta a déjà développé une coopération militaire substantielle devenant même un des clients de l’industrie d’armement chinoise à qui l’archipel a acheté des missiles anti-navires C 802 A et sol-air QW-1, bien moins chers que les missiles occidentaux disponibles sur le marché tels que l’Exocet et le Mistral français.

*

Retour de Validimir Poutine dans le Pacifique occidental.

Photo d’archives d’un Illiouchine 78 ravitaillant un bombardier stratégique russe T.95.

Dernier intervenant dans la liste des puissances qui tentent d’affirmer leur influence dans la région : Moscou. Rejouant de conserve avec Washington et l’OTAN un pur scénario de guerre froide, Vladimir Poutine vient de réapparaître dans le théâtre du Pacifique occidental qui borde l’extrême orient russe.

Le prétexte est triple : une coopération d’armement déjà ancienne avec Hanoi ; la volonté de harceler la puissance américaine sur ses arrières stratégiques du Pacifique occidental autour de Guam ; et, dans le même ordre d’idée critique des stratégies américaines, l’intention de relancer le dialogue à six sur la Corée du nord par une approche moins intraitable à l’égard de Pyongyang et du petit fils de Kim Il Song.

Moscou et Hanoi : ventes d’armes et souvenir de Cam Ranh.

Le 4 décembre 2014, les chantiers navals de St. Petersburg et le Vietnam signaient l’accord pour la livraison du 3e sous marin Kilo d’une série de 6 commandés par Hanoi dont les deux derniers seront livrés en 2015 et 2016. Commentant l’événement, l’ambassadeur du Vietnam à Moscou rappelait la force des liens qui attachaient encore les deux anciens alliés : « Bien que les États-Unis aient en partie levé leur embargo sur les ventes d’armes au Vietnam, la Russie reste notre partenaire prioritaire dans ce secteur »

Polémique autour de Cam Ranh. Hanoi embarrassé.

A la mi-mars naissait une polémique embarrassante pour Hanoi, très agaçante pour Washington et qui, à coup sûr, a beaucoup réjoui Pékin, cependant resté muet sur le sujet.

Le 11 mars Reuter publiait une dépêche selon laquelle les bombardiers stratégiques nucléaires russes qui conduisent des reconnaissances régulières au-dessus de la base de Guam, étaient ravitaillés en vol par des Illiouchine 78 temporairement basés à Cam Ranh. On apprenait par la suite que l’affaire avait lieu depuis janvier 2014 ; que le Pentagone était au courant, mais qu’il avait préféré gardé le silence. La mise à jour publique avait incité la Maison Blanche, qui n’avait cependant que peu d’arguments pour le faire, à exercer une pression sur Hanoi pour que cesse l’appui logistique à la démonstration de force de Moscou.

Poutine trouble le jeu de Washington. Pékin se réjouit.

Le Vietnam est doublement gêné. S’étant, pour faire pression sur la Chine, formellement rapproché de Washington, il avait, au grand dam de Pékin, déjà contredit ses déclarations de neutralité en cautionnant publiquement « la contribution à la paix de la marine américaine et sa capacité à favoriser des relations équitables » (le Général Nguyen Chi Vinh, Vice Ministre de la défense). Mais en autorisant les escales logistiques des Illiouchine, il bafoue un principe bien plus fondamental : celui de ne pas abriter sur son sol des forces engagées dans des opérations militaires contre un pays tiers. Comme le montre la réaction américaine, l’initiative de Poutine trouble le jeu asiatique de la Maison Blanche.

La Chine ne peut que s’en réjouir. Tout comme elle se félicite de l’embarras de Hanoi. Tandis que Moscou a beau jeu de d’attribuer la responsabilité des tensions à Washington qui multiplie des alliances militaires dans la région et envisage d’installer sous son strict contrôle technologique et opérationnel un rideau anti-missiles dont Pékin ne veut pas.

La carte sauvage de Kin Jong Un.

Enfin, il n’est pas tout à fait certain que la 3e intrusion du Kremlin dans le jeu du Pacifique occidental, consistant à inviter Kim Jong Un aux cérémonies de la victoire du 9 mai à Moscou, soit du goût de Pékin. Dans l’affaire nord-coréenne la Chine s’était depuis l’échec du programme KEDO en 2003, évertuée à garder la haute main sur le dialogue à six, mettant un point d’honneur à apparaître comme le principal facilitateur.

Plus encore, rien ne dit que Xi Jinping, lui aussi invité à Moscou le 9 mai, prendra plaisir à côtoyer Kim qu’il a délibérément ostracisé depuis sa prise de pouvoir à la mort de son père. Le contentieux entre Pyongyang et Pékin s’était sérieusement aggravé quand, après les deux explosions nucléaires de 2006 et 2009, effectuées sans concertation avec la Chine, Kim Jong Un avait, en décembre 2013, fait exécuter son oncle par alliance Jang Song Thaek, principal point d’entrée en Corée du Nord des intérêts d’affaires chinois. (Lire notre article Purge féroce à Pyongyang. Pékin exaspéré)

Mais, en dehors de l’affirmation du rejet de l’ordre mondial établi par Washington et ses alliés, la bonne grâce faite à Kin Jong Un ostracisé par tous y compris la Chine et dont Moscou sera la première sortie internationale, est peut-être le résultat d’un calcul plus pratique que stratégique. Dans les plans de Gazprom en effet : un pipeline reliant la Sibérie au sud de la péninsule coréenne dont le trajet passera par la Corée du Nord.


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