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Quand le 27 janvier dernier, le premier ministre avait rendu visite à la famille d’un migrant dans un district du Shaanxi, il avait tenu à préciser qu’accepter de travailler loin de sa famille était « un métier honorable non seulement pour soi-même et sa famille, mais également pour le pays ».
Il touchait là à une des questions les plus sensibles de l’équilibre socio-économique de la Chine. Pendant les 30 glorieuses, la croissance du pays s’est en effet en partie nourrie du travail des plus de 200 millions de « soutiers du miracle », main d’œuvre docile et industrieuse de l’usine du monde, privée de Hukou, travaillant dans la zone grise de l’illégalité tolérée, mais sans protection médicale, sans retraite, ni accès au système scolaire.
En leur rendant hommage, Li Keqiang ne faisait que mettre le doigt sur une injustice explosive dont l’acuité s’aggrave avec l’urbanisation rapide du pays qui fixe dans les villes des centaines de milliers de migrants sans statut qu’il faudra intégrer aux systèmes d’assurances médicale et de retraite. Une charge que, pour l’instant, la Chine n’a encore commencé à financer qu’à la marge. Selon les statistiques officielles, en 2012 le pays comptait encore 262 millions de migrants, soit près de 20% de la population vivant et travaillant parfois dans les conditions d’une expatriation précaire. En augmentation de 3,9% par rapport à 2011, le nombre pose de considérables défis sociaux au régime.
Li Keqiang connaît bien l’ampleur du problème, porteur de crises sociales et politiques qui, déjà le 4 juin 2011, avait fait l’objet d’une mise en garde du Centre de recherche du Conseil des Affaires d’État : « les migrants venant des campagnes sont marginalisés dans les villes et seulement considérés pour le faible coût de leur travail. S’ils ne sont pas intégrés dans le tissu urbain et ne bénéficient pas des droits qui leur sont dus, de nombreux conflits surgiront, qui créeront une menace majeure de déstabilisation ». A cette époque Li Keqiang était déjà membre du Comité Permanent, vice-premier ministre et proche des auteurs de cette alerte.
Parmi eux : Liu He, actuel n°2 de la Commission Nationale de la Recherche et Développement et le principal maître d’œuvre du plan de réformes rendu public à l’occasion du 3e plenum de novembre. En 2012, Liu avait aussi participé à l’élaboration d’un rapport conjoint avec la Banque Mondiale « Chine 2030, Construire une société moderne à hauts revenus, harmonieuse et créative », cosigné par le Président Robert Zoellick et Li Wei, Directeur du Centre de Recherche du Conseil des Affaires d’État, à l’époque le patron direct de Liu He.
Plombé par une désorganisation chronique et l’absence de coordination, très mal financé, inégalitaire et potentiellement surchargé par l’arrivée massive de nouveaux bénéficiaires (ruraux, nouveaux urbains, chômeurs et migrants), encore marqué par la survivance d’une durée de travail réduite décidée dans les années 50, le système des retraites est au bord de l’asphyxie et les marges de manœuvre du pouvoir à court et moyens termes sont faibles.