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Les embarras compliqués de la puissance chinoise

La carte sauvage de l’APL.

S’il est une institution en Chine dont les ressorts sont tendus par le nationalisme et le rejet des influences extérieures, dont les effets se font directement sentir à propos du Xinjiang, du Tibet, de Taïwan, et de plus en plus en Mer de Chine du Sud et dans la querelle pour les Diaoyutai (Senkaku), avec le Japon, c’est bien l’Armée Populaire de libération. Cette dernière considère en effet la Mer de Chine du Sud, comme une mer intérieure et un espace de déploiement privilégié pour ses sous-marins nucléaires stratégiques basés à Sanya, dans l’île de Hainan.

Une bonne partie des crispations actuelles de la Chine ont surgi sous son égide, dans un contexte où l’influence des autres acteurs de la politique étrangère chinoise semble affaiblie. En amont du Congrès, la mise en garde du Waijiaobu sur l’effet boomerang des agressivités chinoises, notamment en Asie du Sud-est, n’ont, pour l’heure, que peu d’écho sur la scène politique chinoise.

Dans un article publié le 22 juin sur le site Jamestown foundation, dont le thème général a été repris le 1er juillet dans le Wall Street Journal, Willy Lop Lam, ancien journaliste du South China Morning Post, remercié après la rétrocession de Hong Kong pour ses articles trop critiques à l’égard de Pékin, passait en revue une longue suite de faits qui démontraient l’omniprésence et le pouvoir de l’APL dans la politique étrangère chinoise.

S’il est vrai que l’article évoquait aussi une politique étrangère chinoise assez peu en phase avec les préoccupations de sécurité des Etats-Unis et de ses alliés vis-à-vis de l’Iran, de la Corée du Nord ou encore l’habitude de Pékin d’utiliser de temps à autre l’arme économique pour « punir » les contacts avec le Dalai Lama ou Rebya Kaddher, présidente du Congrès mondial des Ouïghours, il citait d’abord une série de militaires de haut rang, qui exprimaient vertement leur nationalisme, assorti de menaces directes avec, parfois, l’allusion sans nuance à l’abandon de la politique de discrétion stratégique prônée par Den Xiaoping il y a plus de 20 ans.

Ainsi l’Amiral Yang Yi, de l’Université de la défense nationale, aussi à l’aise en français qu’en anglais, affirmait à la fin 2011 qu’il n’était plus possible de s’en tenir au « profil bas », lorsque la sécurité et les intérêts nationaux étaient menacés. « Des contre attaques de courte durée devraient être lancées, à la fois efficaces et sans ambiguïté. » La rhétorique était reprise par le Global Times, tabloïd populaire surgeon du Quotidien du Peuple, qui affirmait, le 11 mai dernier, que la Chine devait oser défendre ses principes et ne pas craindre d’affronter plusieurs pays simultanément.

Le 23 mai, dans le Global Times, le général Luo Yan, vice-président de l’Académie des Sciences militaires, expliquait que la situation dépassait les limites de la tolérance chinoise et préconisait de « donner une leçon aux Philippines ». Le même Luo Yan s’était déjà manifesté en août 2010 dans le Quotidien de l’armée pour critiquer l’extension par les Américains de leurs intérêts stratégiques jusqu’aux portes de la Chine, en Mer Jaune et en Mer de Chine du Sud : « Nous ne sommes les ennemis d’aucun pays, mais nous ne craignons pas ceux qui nous provoquent et ignorent nos intérêts vitaux ».

Le 2 juin dernier, à Singapour, en réponse au discours de Léon Panetta présentant le repositionnement américain en Asie, le Général Ren Haiquan, vice-président de l’Université de la Défense Nationale, prenait un ton menaçant pour expliquer que la Chine se préparait au pire et que la riposte aux attaques contre les intérêts chinois serait « terrible ».

En 2010, déjà lors du sommet de l’ARF à Hanoi était née une controverse autour de la Mer de Chine du sud assimilée, comme Taïwan, le Xinjiang et le Tibet aux intérêts vitaux chinois, que Pékin s’était ensuite appliquée à corriger. Mais l’idée est revenue à la surface en juin de cette année, dans un article du Quotidien du Peuple : « Nous devons tracer une série de lignes en Mer de Chine du Sud afin de faire comprendre aux Etats-Unis ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils ne peuvent pas faire ».

Les dangers de l’accumulation de puissance et des nationalismes.

En Chine même tout le monde n’est pas en phase avec cette rhétorique agressive. Certains diplomates ou chercheurs reconnaissent même à mots couverts que le Waijiaobu n’est plus tout à fait maître de la politique étrangère chinoise. En juin dernier, Wang Jisi, doyen et directeur du Département d’études internationales de l’Université de Pékin, spécialiste des Etats-Unis, plusieurs fois évoqué dans notre article « De l’arrogance à l’inquiétude », rappelait, dans un article du Global Times, que s’il était vrai que l’équilibre global de la puissance penchait vers l’Asie, la position internationale de la Chine ne s’était pas améliorée.

Après avoir analysé quelques talons d’Achille de la situation intérieure chinoise, il ajoutait que la montée en puissance de l’APL et ses initiatives jetaient un doute chez les voisins de la Chine et aux Etats-Unis sur la réalité de son concept de « développement pacifique ». Il ajoutait que cette occurrence avait globalement affaibli la sécurité de la Chine.

Mais s’il fallait une preuve que la politique étrangère chinoise est devenue un enjeu de lutte de pouvoir entre l’APL et le Waijiaobu, il suffirait de lire l’article publié le 12 juillet dernier dans le New-York Times par Zhao Mingzhao, expert au Centre de recherches sur le Monde contemporain, lié au Département de politique étrangère du Comité Central, et intitulé « les embarras de la puissance chinoise », qui dissertait sur les défis de sécurité auxquels la Chine était confrontée.

L’idée maîtresse s’appliquait d’abord à remettre en perspective la puissance réelle du pays, rappelant que 36% de la population vivait encore avec moins de 2 $ par jour, tandis que ses performances en matière de développement humain (101e mondial) et de PNB par habitant (120e mondial), restaient très faibles. L’auteur ajoutait que la croissance chinoise était déséquilibrée et fragile sur le long terme, menacée par des incertitudes sociales et des atteintes irrémédiables à l’environnement.

Clairement, l’intention était de démontrer que la tentation de la puissance militaire était au mieux prématurée au pire un contresens, dans un contexte où, pour la sécurité du pays, et pour lequel beaucoup restait faire en matière de progrès humain et social, il était essentiel de combiner la diplomatie et l’harmonie du développement à la puissance des armes, tout en tirant un meilleur parti des potentiels civils du pays. Dans un monde complexe en mutation rapide, aucun pays ne pouvait se dispenser des leviers de la puissance douce procurés par la diversité et la richesse des relations internationales, que, pour l’heure, Pékin maîtrisait mal.

L’usage exclusif des arguments de la seule force militaire dresserait les partenaires de la Chine contre elle et fragiliserait sa situation stratégique. Faisant allusion au dialogue avec l’ASEAN, il ajoutait que, si Pékin voulait persuader ses partenaires de la sincérité de son désir de paix, il était nécessaire de participer avec plus d’efficacité aux échanges multilatéraux.

Enfin, dans une phrase adressée aux militaires, dont il sous entend qu’ils ont investi la diplomatie de la Chine, Zhao indique que la plus grande tentation d’un pays puissant était de faire usage de sa force, ou plutôt, ajoute t-il, de la « gaspiller ». Même si la décision était difficile, il fallait que, dans les années qui viennent, la Chine refreine son désir d’empire et s’exerce à la modération stratégique, notamment à propos des querelles territoriales avec les pays voisins, dans un contexte où montent de dangereuses tendances nationalistes.

Rappelant que « le mieux était l’ennemi du bien », il mettait en garde contre la tendance chinoise à l’accumulation de puissance et exhortait le pouvoir à se mettre à l’écoute du monde extérieur et à s’ajuster aux règles du droit international, « pour lesquelles il n’y a pas d’alternative ».

S’agissant de la relation avec les Etats-Unis, Zhao, qui prône une stratégie plus équilibrée, pointait du doigt les risques d’une focalisation hostile dirigée contre Washington. En retour, il exhortait la communauté internationale et les Etats-Unis à « mieux prendre en compte les difficultés, les aspirations et les angoisses qui entourent la quête chinoise d’énergie et de ressources, ainsi que les embarras de sa puissance ». Reprenant la formule de Thucydide il rappelait que l’attitude consistant à exagérer les capacités de la Chine et à noircir ses intentions pourrait elle-même devenir une cause de conflit.


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Par de villepin Le 23/07/2012 à 07h44

Les embarras compliqués de la puissance chinoise.

toutes mes felicitations pour cet article xavier de villepin

Par Anonyme Le 3/10/2012 à 20h47

Les embarras compliqués de la puissance chinoise.

Résidant au Vietnam , je suis très frappé par la similitude et la concordance dans le temps des luttes pour le pouvoir dans ces deux pays. C’est à croire que ces luttes sont liées. C’est à croire qu’aux même maux on applique les même recettes (tension nationaliste sur la mer de chine pour amuser la galerie, pendant qu’on règle les choses sérieuses).

Ici , toutes les chancelleries cherchent à savoir qui est pro chinois, qui est pro américain... Je pense ce débat inutile. Pour moi la question est qui est pro bo xilaï , qui est pro Ji Xiping ou Hu Jin Tao

Un peu comme si le Vietnam était déjà une province chinoise.

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