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›› Société

Les extraordinaires défis de la classe moyenne

Naissance de l’individualisme et inquiétude du Régime.

Les Chinois de la classe moyenne et leurs enfants découvrent en effet l’ivresse de l’individualisme et de l’affirmation de soi, la sophistication qualitative et l’exploration débridée des nouvelles modes vestimentaires, des goûts culinaires inconnus, en même temps qu’une variété jusqu’alors inaccessible de loisirs ou d’expressions artistiques.

« Les revenus de mes parents suffisaient à peine à nourrir la famille, et leurs préoccupations se résumaient à la logistique alimentaire et scolaire. Améliorer leur vie ou se perfectionner eux-mêmes était hors de leur portée. Cette possibilité est aujourd’hui offerte à notre génération », explique avec optimisme un jeune représentant de la nouvelle classe moyenne qui, par le truchement des réseaux sociaux et micro-blogs, dont la mode explose, tisse des réseaux informels d’échange d’idées de moins en moins convenues et souvent critiques du pouvoir et du fonctionnement de la société.

C’est peu dire que le Régime est à la fois attentif et inquiet de la puissante vague d’urbanisation qui porte l’émergence de la classe moyenne et modifie sous nos yeux le visage de la Chine. L’explosion des villes est voulue par le pouvoir, qui y voit le moyen de favoriser la consommation, clé de l’évolution du schéma de croissance. Elle offre aussi l’opportunité de susciter l’adhésion d’une frange de plus en plus importante de la population, à qui le Parti s’efforce d’apporter un meilleur confort matériel et social. Mais elle porte en elle le double défi d’un aménagement urbain d’une dimension sans précédent et du contrôle politique d’une population de citadins que l’aisance matérielle pousse à l’émancipation.

Les mégalopoles nouvelles exigeront non seulement de pharaoniques travaux d’infrastructure, des équipements de transport, de santé et d’éducation, des stations dépuration et des égouts, mais également une adaptation du passeport intérieur et, peut-être, de la loi sur la propriété, un système de taxes encore dans les limbes, des assurances maladie et des caisses de retraite. En même temps, elles généreront des styles de vie nouveaux, des espoirs, des sollicitations et une diversité sociale qui rendront le contrôle idéologique et politique de plus en plus difficile.

La volonté d’encadrer cette effervescence à l’ampleur démographique inédite apparaît clairement dans le message du pouvoir pour l’harmonie sociale, ainsi que pour l’exigence du « raisonnable » et de la moralité. Conscient des risques nés de l’immense disparité des ressources, aggravée par les comportements impudents des nouveaux riches, la direction du pays plaide en effet pour une société au « confort modéré » - xiaokang shehui 小康社会 -.

Concept qui, comme celui de l’harmonie, est emprunté à l’antiquité et où la prospérité est suffisante sans être ostentatoire, mais où les progrès économiques, qui ne sont pas une préoccupation centrale, doivent être accompagnés par la redistribution et l’équité. A quoi s’ajoute l’imaginaire vertueux diffusé par le Parti d’une réussite sociale légitimée par le travail, le talent, l’esprit d’entreprise et la discipline personnelle, contrefeu à la stigmatisation de la corruption et des nouveaux riches, assez largement accusés d’avoir fait fortune par des biais malhonnêtes.

S’il est vrai qu’une partie de la société adhère à ces critères de cohésion, de mesure, de sérieux et de moralité, également présents dans la pensée néoconservatrice qui, de proche en proche, dérive vers les retours révolutionnaires observés actuellement, il existe de larges franges qui s’y trouvent à l’étroit.

Soit parce qu’elles occupent une position confortable au sein des réseaux politico-affairistes des provinces qui permettent un enrichissement rapide alimenté par le flot des investissements, soit parce qu’elles estiment que l’idéologie moyenne du raisonnable est un leurre et un carcan politique qui favorisera la perpétuation des prébendes et des corruptions. En un mot, ceux-là craignent que la « xiaokang shehui » fige la situation politique de la Chine et soit un obstacle aux réformes pour une justice plus indépendante et une classe politique plus responsable devant les citoyens.

Les défis politiques de la classe moyenne.

A 15 mois du 18e Congrès, les élites politiques, dont l’emprise sur la société a jusqu’à présent reposé sur le contrôle serré des dissidents et la cooptation de la classe aisée, sont confrontées au phénomène sans précédent du gonflement rapide de la classe moyenne et de l’explosion urbaine. Il est vrai que les défis qui surgissent sont tempérés par l’adhésion d’une partie des nantis, réticents à bousculer un ordre dont ils ont jusqu’à présent tiré de substantiels avantages.

Mais l’ampleur des mouvements de populations en cours recompose la société de fond en comble. Elle multiplie sa diversité et améliore sa lucidité politique. L’effervescence du net, accélérateur de la réactivité sociale, le lent surgissement des exigences d’accomplissement individuel, ajoutés aux attentes pour plus d’équité et de moralité, créent une situation nouvelle. Celle-ci est marquée par la conscience, assez largement partagée par les intellectuels et les élites les plus jeunes, de la nécessité d’une modernisation du système politique pour une meilleure expression des divergences d’intérêts et des revendications.

Il reste que, dans le sérail, des craquements apparaissent sur la nature de la modernisation politique et ses références. Quand certains prêchent pour une évolution vers des critères démocratiques à l’occidentale - transparence politique, séparation des pouvoirs, responsabilité publique des dirigeants -, d’autres s’y opposent absolument.

Ces derniers renvoient soit aux traditions confucéennes comme morale de pouvoir, base de l’honnêteté politique et du rejet de l’individualisme, ferment de l’improbable cohésion sociale, soit aux références révolutionnaires comme outil doctrinal d’un système de cogestion socialiste, non seulement destiné à améliorer le bien être du peuple et sa participation aux affaires et aux bénéfices, mais également capable de tenir à distance les idées occidentales de pluralisme politique et de contestation directe de l’exécutif.

L’avenir dira si cette conception utopique de l’harmonie, mâtinée de volontarisme révolutionnaire, qu’un accident économique secouant la confiance des classes moyennes pourrait cependant mettre à mal, parviendra à juguler la quête des Chinois pour une expression politique plus libre.


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