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›› Editorial

Li Keqiang en Eurasie. Les quelques fausses notes de la « grande musique »

Putin en vedette à Milan. Ombres sino-russes.

Photo : Li Keqiang cède la préséance à Putin, ancien premier ministre redevenu Président de la République.

A Milan, les 16 et 17 octobre au sommet de l’ASEM, Li Keqiang qui avait auparavant fait un crochet par le siège de la FAO à Rome où il a offert une contribution de 50 millions de $, a développé un vaste projet de coopération entre la Chine et l’Europe, insistant sur la disponibilité chinoise pour densifier les connections et les échanges de toutes sortes au sein de la communauté eurasiatique, dans un environnement pacifique. Pourtant, le sommet placé sous le thème de la responsabilité de chacun pour la « croissance et la sécurité », a été préempté par la sécurité en Europe et la question de l’Ukraine, dans laquelle la Chine n’a que peu d’influence sinon celle d’appuyer discrètement la position de Poutine.

ASEAM à Milan. L’Asie sur la touche.

Au point que l’Asie a été marginalisée au milieu du chassé-croisé des mini-sommets entre le président russe, vedette du sommet et Porotchenko chaperonné par Angela Merkel, François Hollande, David Cameron et les dirigeants européens Barroso et Van Rompuy. Surtout, à Milan où il était plus spectateur qu’acteur, Li Keqiang a pu à nouveau mesurer la fermeté et l’habileté tactique de Poutine qui, avant son arrivée à Milan, avait menacé les Européens de leur couper les livraisons de gaz, si l’Ukraine continuait à ne pas payer ses notes et à détourner le gaz au passage. C’est bien cette inflexible intransigeance de Moscou qui inquiète les Chinois, alors que les discours officiels continuent à faire l’éloge du partenariat stratégique sino-russe.

Doutes chinois sur la fiabilité russe.

L’ombre du malaise a peut-être assombri l’ambiance de l’étape de Li Keqiang à Moscou du 12 au 14 octobre. Certes les communiqués officiels et les discours louaient le « potentiel inépuisable » de la relation (Li Keqiang) et faisaient état d’une trentaine d’accords signés dans les domaines des investissements et de la finance, du pétrole, du nucléaire civil, de la téléphonie mobile, de la construction de chemins de fer et d’automobiles avec Dimitri Medvedev, redevenu premier ministre après avoir été président. Surtout, on parla beaucoup de l’accord intergouvernemental du 13 octobre sur la livraison de gaz à la Chine, à la suite de l’accord signé en mai dernier.

Le tout baignait dans l’arrière plan stratégique où Moscou et Pékin se retrouvent sur nombre de sujets brûlants de l’actualité globale, en général en opposition aux États-Unis, sur la Crimée, le Xinjiang, l’Iran, la Syrie, avec en tête le projet d’une refonte de l’ordre mondial dans le cadre des BRICS, pour plus de multipolarité et plus d’équité dans les relations internationales aujourd’hui dominées par Washington et ses alliés.

Pourtant trois jours à peine après la visite de Li Keqiang à Moscou, le magazine Caixin publiait un article à contre courant de l’optimisme ambiant, intitulé : « Y a t-il un malaise dans le paradis sino-russe ? ». Signé de Chen Weidong, 59 ans, maître de recherche à l’institut de politique énergétique de groupe public pétrolier CNOOC, l’argument commentait une réflexion du vice-premier ministre russe Abramovich pour qui il existait encore des points d’achoppement entre Pékin et Moscou sur le contrat de gaz, dont la mise en œuvre serait encore incertaine. La controverse porterait sur le pré-paiement chinois que Pékin dit être déjà inclus dans la construction des gazoducs.

Tout en reconnaissant que le contrat finirait par être mené à bien, Chen mettait cependant en garde contre une relation trop exclusive avec Moscou, dont la fiabilité était en question. Le raisonnement prenait appui sur les actuelles difficultés financières des grandes compagnies d’hydrocarbures russes à la fois engagées dans nombre de projets dans l’Arctique et la Sibérie orientale et incapables de lever des fonds à la suite des sanctions occidentales. Le problème touchait surtout Rosneft Oil, croulant sous les dettes.

Dans ces conditions, dit l’auteur, « il est hautement improbable que le « contrat du siècle » avance sans difficultés. ». Par là, il laissait entendre que Moscou usera de tous les procédés pour tenir hors de l’eau la tête de ses groupes d’hydrocarbures, héritiers de l’URSS chère à Poutine et devenus le principal levier tactique de sa politique étrangère.

Rappel des pressions et chantages de Putin en Europe orientale.

A l’appui de ses inquiétudes, Chen rappelait qu’en janvier 2009 au cours d’un hiver très froid, Putin avait déjà menacé de couper le gaz à l’Europe Occidentale restée passive lors des controverses entre Moscou et Kiev. Ce n’était pas la première pression de ce type exercée par le Kremlin.

En 2006, la tactique punitive avait été employée contre l’Ukraine pour l’obliger à payer ses dettes ; elle fut répétée contre la Lituanie en représailles de l’attribution par Vilnius à une compagnie polonaise d’un contrat de construction d’une raffinerie plutôt qu’à Rosneft. En 2007, c’est l’Estonie qui fit les frais des pressions pétrolières de Putin après la décision de Tallin de détruire un monument soviétique commémorant la guerre.

Les méfiances réciproques du partenariat sino-russe.

Chen note enfin avec justesse que le « contrat du siècle » a été signé sous la pression des événements d’Ukraine et des tensions avec l’Ouest, alors qu’une partie des contentieux sur les prix n’étaient pas réglés. Dès lors, l’auteur prend le contrepied des analyses qui, à la faveur des contentieux stratégiques en cours, anticipent une dépendance croissante de Moscou à l’égard de Pékin.

La conclusion qui renvoie à de vieilles rancunes culturelles est à l’exact contre courant des hypothèses actuellement les plus en vogue sur le renforcement de l’axe Pékin – Moscou : « la Chine ne sera jamais la priorité stratégique de Moscou avant l’Europe et les Etats-Unis. Ne rêvons pas. Il est notoire que les Russes se considèrent supérieurs aux Orientaux. Restons vigilants. L’Europe s’est mise dans une situation délicate par sa trop grande dépendance à l’égard du gaz russe. Sachons tirer les leçons de ses erreurs ».

A contrario, rappelons que les arrières pensées russes nourrissent les mêmes inquiétudes à l’égard des Chinois, dans un contexte où, paradoxalement, la méfiance réciproque croit en même temps que le rapprochement économique et commercial.

Signé en mai pour faire contrepoids aux pressions américaines et européennes et alléger la dépendance russes aux exportations vers l’Europe, l’accord sur le gaz n’est pas vraiment à l’avantage de Moscou. Au-delà des bonnes paroles, ce déséquilibre continuera à plomber discrètement la relation, en même temps que subsistent les inquiétudes russes à propos des basculement démographique en Sibérie orientale ou des captations de technologies de défense.


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