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›› Editorial

Lune de miel entre Londres et Pékin. Le faste monarchique au service du pragmatisme

La pompe royale au service du réalisme économique.

Cette fois, bien que la situation au Tibet (3) et celle des droits de l’homme aient été évoquées ici et là par des manifestants, des journalistes ou des commentateurs en marge du voyage, les nuages étaient en effet dissipés et la visite officielle du n°1 chinois a pris l’allure d’une réception grand style, avec une débauche de pompe royale qui a ébloui le public chinois.

Au milieu d’une crise mondiale qui dure et frappe aussi la Chine, engagée dans une vaste et très acrobatique restructuration qui plombe sa croissance, David Cameron et son chancelier de l’échiquier Georges Osborne ont clairement manifesté leur intention de tourner la page des tensions politiques et signifié que leur objectif était désormais d’attirer encore plus d’investissements chinois dans le Royaume et d’augmenter la part du marché britannique en Chine.

Tous deux ont successivement visité la Chine en décembre 2014 et en août 2015 - Osborne – dont c’était sa 2e visite en Chine depuis octobre 2013 - ayant même poussé la complaisance politique jusqu’à effectuer un passage éclair au Xinjiang où les perspectives d’investissement sont pourtant plombées par de sérieuses menaces sur la sécurité.

Dans leurs bagages, ils avaient des propositions de prises de participation chinoises dans, entre autres, la distribution et le traitement de l’eau, le transport ferré, l’extension de l’aéroport de Manchester, une prise de participation dans la gestion de l’aéroport de Heathrow et l’autorisation de libeller les échanges directement en Livres Sterling ou en Yuan à hauteur de 200 Mds de Yuan (20 Mds de £, 28,6 Mdsd’€). Le tout s’ajoutant au projets de centrales nucléaires déjà en cours (Lire Les tribulations nucléaires franco-chinoises à l’export). En 2013 Osborne avait également signé un accord, autorisant les Chinois venant en GB à bénéficier de délais rapides d’attribution de visas (24 heures dans certains cas).

Les voyages répétés des Anglais répondaient à ceux de la direction chinoise – Li Keqiang était à Londres en juin 2014 -. Au passage, anticipant un adoucissement de la position britannique intéressée par les capitaux et le marché chinois, Pékin avait logiquement rehaussé ses exigences protocolaires, obtenant une audience du Premier Ministre chinois avec la Reine, traditionnellement réservée aux chefs d’États.

La nouvelle bonne volonté britannique avide d’investissements, homothétique de celle de Paris qui avait également traité le Premier Ministre chinois comme un chef d’État lors de sa visite en France en juillet 2015, s’est aussi manifestée en décembre 2014. La réaction officielle britannique au refus de visas opposé par Pékin à la délégation parlementaire qui se proposait d’enquêter sur la situation à Hong - Kong, fut alors très discrète.

Au cours de la visite de Xi Jinping, les espoirs de coopération économique et financière plus vaste ont été répétés de manière emphatique par David Cameron. L’intention est de rattraper l’Allemagne comme premier partenaire européen de la Chine, voire, a renchéri Osborne, « de tout l’Occident », à l’orée de ce que le premier ministre a, avec emphase, qualifié « d’âge d’or des relations sino-britanniques ».

Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres. S’il est vrai que le Royaume Uni est aujourd’hui la première destination des investissements chinois en Europe, à ce stade de la compétition européenne sur le marché chinois, c’est l’Allemagne, seul pays avec la Finlande ayant réussi à équilibrer son commerce avec la Chine, qui tient la corde avec 74,5 Mds d’€ d’exportations, représentant plus de 45% des ventes totale de l’UE (164,7 Mds d’€). Avec respectivement 10% et 9%, la GB et la France, ses deux suivants, sont encore loin derrière.

Froncements de sourcils outre-Atlantique.

Si nombre d’analystes voient le rapprochement entre Pékin et Londres comme une manœuvre économiquement habile et profitable aux deux, la bascule britannique, abandonnant la traditionnelle prudence envers le régime politique de Pékin pour une stratégie toute entière concentrée sur les échanges économiques et l’appel aux capitaux chinois a aussi soulevé des critiques. Elle a notamment provoqué quelques froncements de sourcils dans le Landernau stratégique occidental où Washington estime avoir un droit de préemption et, au sein de l’UE où certains regrettent qu’après l’Allemagne, le Royaume Uni décide de jouer une partition strictement nationale au détriment de la solidarité européenne.

Chacun aura en effet pu mesurer le contraste dans le ton des visites de Xi Jinping aux États-Unis et celui de Londres. Alors que seulement quelques semaines avant son étape de Washington, le n°1 chinois était menacé par Obama de sanctions en riposte aux cyber-attaques chinoises, les Anglais lui ont réservé un accueil qui a enthousiasmé l’opinion publique chinoise dont les commentaires sur les réseaux sociaux ont épluché les moindres détails du voyage, du carrosse d’or, aux menus officiels, en passant par les robes et les bijoux des princesses.

Même l’absence du Prince Charles au dîner d’État à Buckingham que certains commentateurs interprétèrent comme une protestation contre le traitement réservé par la Chine au Dalai Lama, a été minimisée par le Global Times qui ne s’est cependant pas privé d’ajouter une touche de condescendance à son commentaire. Soulignant que l’héritier de la couronne s’était cette fois abstenu de rencontrer le chef spirituel tibétain, le journal a glosé sur la « prise de conscience par les élites britanniques de la signification historique de l’événement ».

*

Venant des États-Unis, de l’administration et des « think-tanks » même habituellement les plus indulgents pour Pékin, la musique avait une autre tonalité. Les critiques par l’administration d’Obama qui accusait Cameron de toujours céder à la Chine, avaient déjà fleuri en mars dernier, lorsque Londres fut le premier pays du G7 à devenir membre fondateur de la Banque Asiatique d’Investissements pour les Infrastructures (AIIB) que Washington avait tenté de torpiller (Lire La Chine rehausse son rôle dans les finances mondiales).

Avant la visite de Xi Jinping à Londres et, immédiatement après la visite d’Osborne au Xinjiang, Tom Whright expert de politique internationale à la Brookings Institution stigmatisait le choix stratégique de Londres qui semblait désormais uniquement calibrer la relation sino-britannique autour du commerce et de la coopération économique, soupçonnant le Royaume Uni d’abandonner son rôle stratégique d’allié de l’Amérique. Le Directeur des Affaires asiatiques à l’Eurasia Group, n°1 mondial (en effectifs) de l’analyse de risques, Evan Medeiros qui fut également conseiller pour l’Asie d’Obama, y allait également de sa mise en garde : « Londres joue le jeu dangereux de concessions tactiques à la Chine qui pourraient conduire à plus de problèmes à l’avenir. »

En arrière plan montait même la crainte d’un relâchement des liens entre les deux premiers alliés de l’OTAN, exprimée par « The Economist » qui accusait Cameron et Osborne d’avoir manqué à leurs responsabilités d’hommes d’État en abandonnant les intérêts de sécurité au profit de l’économie, concluant « le nouvel âge d’or sino-britannique menacera la vieille amitié avec l’Amérique. Si un conflit éclatait avec la Chine en Asie, l’Europe ne serait pas épargnée ».

L’Europe sans vision stratégique et en ordre dispersé.

Enfin, dans un article paru dans le Guardian le 23 octobre dernier, Nathalie Nougayrède qui reconnaissait la pertinence pragmatique de Londres, changeait de cible et stigmatisait les politiques erratiques des pays européens à l’égard de Pékin, en même temps que l’indigence de leur vision à long terme, aggravée par leur manque de solidarité internationale.

A l’heure où l’Europe vacille, tandis que Londres est tenté par la sortie de l’UE, alors que Cameron et Osborne sont accusés par nombre de militants des droits de l’homme, de la cause tibétaine et de la liberté d’expression, d’avoir sacrifié les grands principes humanistes, l’ancienne directrice du journal Le Monde revenait à l’essentiel, soulignant en substance que face à la Chine, seule une cohésion stratégique européenne accompagnée d’un sens de la durée, permettrait de concilier les priorités contradictoires des exigences économiques et du respect des valeurs.

Récurent depuis des années, le thème des stratégies européennes face à la Chine avait déjà été évoqué dans un document publié en 2009 par le Council of Foreign Relations, signé François Godement et John Fox. (Lire notre article Chine Europe. Le vent tourne). Depuis cet appel à la cohésion stratégique européenne, le moins qu’on puisse dire est que peu de progrès ont été accomplis.

*

(3) Le 21 octobre, la police a interpellé Shao Jiang (47 ans) un dissident politique chinois, ancien de Tian An Men, muni d’un drapeau tibétain qui avait forcé les barrières de police en face de la voiture officielle du n°1 chinois et appelé à la fin de la dictature et à l’avènement de la démocratie en Chine. Selon ses amis dissidents Wuer Kaixi et Wang Dan (Lire La mémoire voilée de Tian An Men) la police a confisqué son ordinateur. Sonam Choden, 30 ans et Jamphel Lhamo, 33 ans, deux tibétaines ont aussi été arrêtées pour avoir tenté de brandir un drapeau tibétain.


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