›› Editorial
Gesticulation et sens cachés.
Fin juillet 2005 ont eu lieu en Mer Jaune et sur la Péninsule du Shandong les plus importantes manoeuvres aéro-navales et terrestres auxquelles l’APL ait jamais participé aux côtés d’une armée étrangère. Beaucoup se sont interrogés sur le sens de ce déploiement de force de 10 000 hommes, essentiellement chinois, qui a mis en oeuvre quelques uns des équipements les plus avancés des deux armées, la plupart étant d’ailleurs russes, puisque c’est Moscou qui fournit à l’armée chinoise une partie de ses équipements navals et aériens modernes, bien connus des experts.
Quel sens donner à ce déploiement inédit ? Le nom même de la manoeuvre : « Paix 2005 » ne dit rien. Les objectifs affichés non plus, puisqu’ils reprennent un slogan passe-partout de la phraséologie chinoise : « Lutter contre les trois fléaux que sont le terrorisme, l’extrémisme et le séparatisme ». Que peuvent en effet les chasseurs Sukhoi et les destroyers Sovremminy contre le terrorisme et l’extrémisme, sinon afficher leur lourde impuissance contre l’agilité mortelle des commandos suicides ou pire encore être à l’origine de « bavures » contre des populations civiles.
Quand à l’objectif « anti-séparatiste », il désigne bien sûr les menées identitaires de Taiwan, soupçonnée de fomenter une rupture avec Pékin. Là, le style de la manoeuvre qui s’est jouée en Mer Jaune correspond en effet plus au schéma classique d’une réaction de la Chine à une déclaration d’indépendance de l’Ile. Sauf qu’on voit mal Moscou soutenir autrement que par le verbe une action contre Taipei qui pourrait déraper vers un affrontement avec les Etats-Unis, le Japon et même l’Australie.
Alors quoi ? D’abord constatons que l’exercice a eu lieu peu de temps après le raidissement de Pékin et Moscou contre la présence militaire américaine en Asie Centrale. Quelques observateurs américains ont vu dans la manoeuvre aux confins de la zone opérationnelle de la 7e Flotte un message de fermeté sino-russe contre les stratégies de « regime-change » pro-démocratiques que Washington développe en Asie Centrale sans tenir compte des fragiles équilibres de la région. En somme, l’empiètement aéronaval sino-russe dans le Pacifique occidental, largement sous influence américaine, aurait été un signal indiquant que les menées de Washington dans l’arrière cour de la Russie et de la Chine avaient passé la limite acceptable.
Les Russes et les Chinois ne sont d’ailleurs pas les seuls à s’inquiéter des intrusions intempestives des Etats-Unis dans une sphère encore mal stabilisée où se cristallisèrent jadis les rivalités de la Grande Bretagne et de la Russie. Plusieurs chercheurs et hommes politiques américains ont eux-mêmes stigmatisé l’incrustation des bases US en Asie Centrale. Il est vrai que, fort de l’expérience irakienne, Georges Bush, dont les armées sont dangereusement surexposées, devrait prendre garde à ne pas créer un nouvel abcès de fixation dans une région traversée par des courants islamistes radicaux plus ou moins liés à la mouvance terroriste internationale.