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›› Chronique

Mer de Chine du sud. La carte sauvage des hydrocarbures. Le dilemme de Duterte

Pressions de Pékin et de CNOOC.

En 2012, CNOOC refusa une proposition de coopération de Manuel Pangilinan (médaillon), PDG de Philex. Aux Philippines, ce dernier est alternativement traité de « héro » par ceux qui louent son habileté en affaires et de « traitre » par ceux qui l’accusent de brader les intérêts philippins.

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Mais, quand après plusieurs années de cafouillages politiques à Manille et de scandales de corruption, ponctués par l’échec d’une coopération entre la compagnie nationale de pétrole Philippine Oil Company – PNOC – et le Chinois CNOOC, Forum Energie commença en 2011 l’exploration avec l’autorisation du Ministère philippin de l’énergie, la Chine qui venait également d’accorder des droits d’exploration à CNOOC, se mit en travers et les opérations de forage furent interrompues. En 2012, CNOOC refusa une proposition de coopération du PDG de Philex, Manuel Pangilinan.

C’est peu dire que les relations entre Manille et Pékin se sont tendues, puisque le 2 mars 2011, des garde-côtes chinois firent obstacle à une mission d’exploration du « MV Veritas Voyager » battant pavillon singapourien commanditée par Forum Energy dans la région du haut-fond de Reed. En 2012, CNOOC refusa une nouvelle proposition d’exploration- exploitation conjointe, cette fois de Forum Energy, au prétexte qu’un accord aurait implicitement reconnu la souveraineté de Manille sur le haut-fond. C’est après cette série d’incidents que Manille prit la décision de demander l’arbitrage de la Cour de La Haye.

Par la suite et sans surprise, l’importance des risques détourna du projet tous les partenaires sollicités par les compagnies philippines, elles-mêmes handicapées par leur faible maîtrise technologique, le manque d’expérience et de capitaux. Dans l’attente de l’arbitrage, Forum Energy a, depuis 2015, cessé ses travaux dans la zone.

Le choix complexe de Rodrigo Duterte.

L’arbitrage du 12 juillet change la donne juridique et conforte en théorie la position de Manille face aux Chinois, mais, en réalité, la difficulté de faire appliquer le jugement que Pékin refuse, place le nouveau président Rodrigo Duterte dans un très complexe dilemme.

Dans cet imbroglio se croisent les pressions chinoises, la quête d’énergie des Philippines, les émotions nationalistes à Manille qui, après le jugement, verraient toutes concessions à la Chine comme une trahison et, à l’étage au-dessus, les exigences de fermeté exprimées ici et là par Tokyo et Washington. Tous deux craignent en effet que d’éventuelles concessions de Manille à Pékin n’affaiblissent le Droit international, la cohésion de l’ASEAN et, in fine, leur position face à la Chine.

Dans ce contexte, alors qu’une capitulation pure et simple face à Pékin est politiquement impossible, à Manille on calcule les options.

Tout essai de reprendre les explorations – si tant est qu’il serait possible de trouver une société désireuse de prendre le risque – pourrait déraper vers un affrontement militaire ou, au moins, vers de sérieuses échauffourées avec les garde-côtes chinois. En arrière plan monterait le potentiel d’un affrontement armé avec la marine américaine [3].

Il resterait à Duterte la négociation que Pékin a déjà refusée, puisque Manille exige de la placer sous l’autorité juridique de l’arbitrage de La Haye. Quant à l’option d’un accord d’exploitation conjointe des ressources sous conditions chinoises, mettant de côté la question de souveraineté, elle déclencherait une protestation nationaliste interne que Duterte qui vient tout juste d’être investi, ne peut pas se permettre. Sans compter que l’initiative créerait un sérieux malaise à Washington et à Tokyo.

La sensibilité nationaliste des Philippins.

Après la sentence du 12 juillet, un groupe de Philippins se réjouit de la « victoire » des Philippines. En même temps le gouvernement de Rodrigo Duterte appelait à la modération.

*

C’est pourtant cette voie que Manille semble pour l’instant explorer, avec cependant une marge de manœuvre sérieusement réduite par l’état de l’opinion interne. Une semaine exactement avant l’arbitrage, Duterte avait réitéré son intérêt pour des négociations avec Pékin.

Peu après pourtant, Perfecto Asay, le ministre des Affaires étrangères qui, le 8 juillet, avait confirmé les dispositions à négocier de Manille, dut faire marche-arrière après les protestations de l’opinion publique philippine. La réaction laisse présager qu’à l’avenir tout accord avec Pékin qui donnerait l’impression d’un abandon unilatéral de ses ressources sous marines et d’une concession de souveraineté à la Chine, déclencherait une forte opposition interne.

Pour l’heure, si on considère les cartes visibles de ce jeu, le temps joue pour Pékin. Dans une quinzaine d’années au plus tard, les réserves de gaz du gisement de Malampaya seront épuisées et le lancement de l’exploitation du haut-fond de Redd devient dès aujourd’hui une urgence de sécurité énergétique. Mais les manœuvres de harcèlement et les menaces chinoises peuvent indéfiniment retarder le début des travaux, sauf si Manille se rendait aux conditions chinoises, ce que l’opinion publique accepterait mal.

A l’étage supérieur, la vigilance de Tokyo et Washington.

Le 26 janvier 2016, l’empereur du Japon Akihito arrivait pour la première fois aux Philippines en voyage officiel. La visite avait lieu au milieu des tensions entre Manille et Pékin, alors que le Japon est lui-même en conflit territorial avec la Chine à propos de l’îlot Senkaku en mer de Chine de l’Est. Le président Aquino, à droite sur la photo, s’était rendu au Japon du 2 au 5 juin 2015. Le Japon a vendu aux Philippines des patrouilleurs navals, des avions de reconnaissance, des destroyers lance-missiles et des sous marins.

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Enfin, si malgré l’opposition domestique, Duterte, contraint et forcé par l’urgence énergétique, acceptait les termes de la Chine, il se placerait en porte à faux non seulement par rapport à Washington, mais également Tokyo et ses partenaires de l’ASEAN. Pour mesurer ce risque il suffit de lire l’article publié le 22 juillet dans The Diplomat par Shigeki Sakamoto, professeur de droit international à l’université de Kobe.

En substance il explique qu’un accommodement des Philippines avec la Chine en réfutant la sentence du 12 juillet comme le souhaite Pékin, contreviendrait au droit international [4] et contribuerait non seulement à diviser l’ASEAN face à Pékin, mais également à mettre en danger la paix dans la région. Le Japon dit-il « a livré des équipements de défense à Manille pour empêcher que Pékin ne modifie le statu-quo de la région par la force ». Se plier aux revendications chinoises reviendrait à accepter le principe de la « ligne en 9 traits » qui transforme les ZEE des riverains en eaux territoriales chinoises et signifierait que la communauté internationale tourne le dos au droit et se plie aux pressions de la force militaire.

Note(s) :

[3Peu avant l’arbitrage du 12 juillet, le ministère de la défense chinois avait annoncé l’affectation à Hainan d’un destroyer lance-missiles et avait entrepris de tester la viabilité des pistes d’aviation construites sur les Mischief. Le 18 juillet, alors que l’Amiral Richardson chef des opérations navales américaines était en visite à Qingdao après la participation de la marine chinoise à l’exercice RIMPAC 2016, Pékin fermait à la navigation une zone à l’est de Hainan pour un exercice à tir réel.

Durant la visite de Richardson, l’amiral Wu Shengli commandant la marine de l’APL a répété que la Chine ne mettrait pas fin aux opérations de bétonnage des îlots. Enfin, le 20 juillet, l’Amiral en retraite Dennis Blair ancien Commandant en chef dans le Pacifique déclarait, lors d’une audition au Congrès, que la marine américaine devait se préparer à user de la force pour freiner les agressivités militaires chinoises.

[4Quand la Chine exige de négocier sans tenir compte de la sentence de La Haye elle se met en porte à faux avec le droit international et la résolution 101 adoptée lors de la 53e assemblée générale des NU du 8 décembre 1998 qui stipulait que « toutes les négociations internationales doivent s’inscrire dans les principes du droit international et les termes de la Charte ».


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