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›› Politique intérieure

Quelle démocratie chinoise ?

Le professeur Yu Keping est un fervent défenseur de la démocratie en Chine dont il dit qu’elle est non seulement « désirable », mais « inévitable. ». Sa liberté de parole au milieu des très sévères censures signale la complexité de la pensée politique chinoise.

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Peut-on anticiper la trajectoire politique chinoise ? Y a t-il des possibilités pour que le régime se rapproche d’une démocratie ? Voilà quelque années, j’interrogeais à ce sujet quelques chercheurs proches du pouvoir sur les dispositions de la nouvelle équipe à détacher la justice de la machine politique. La réponse fut sans appel : « pas maintenant ». Il y avait pourtant dans cette nuance temporelle l’espoir qu’un jour peut-être le régime avancerait vers un compromis.

La solution du droit par la morale.

Il ne s’agirait certes pas d’une démocratie pur-sucre telle que l’envisageait Montesquieu dont on peut conjecturer que le Parti se méfiera toujours. Mais certains imaginent un hybride politique articulé autour d’une instance dont l’esprit serait hérité de celui des traditions anciennes de « remontrance » ou du Yuan de contrôle [1]. Une sorte de juge de paix au-dessus de la mêlée des clans pour éviter que la lutte contre la corruption ne soit accusée de sombrer dans le règlement de comptes politique.

Bien sûr, le Parti veillerait toujours au grain derrière le rideau. Mais les fonctionnaires et magistrats peuplant cette instance à qui l’appareil souhaiterait donner une crédibilité d’arbitrage seraient à ce point incorruptibles et moralement irréprochables que l’institution finirait par avoir les apparences, sinon la réalité, d’une structure indépendante.

L’école des Légistes

Wang Hunning, au premier plan parlant à Xi Jinping. Avec Li Shulei, Huang Kunming, et He Yiting, il fait partie des juristes partisans d’une démocratie aux caractéristiques chinoises. Hormis Li Zhanshu, Directeur du Bureau Exécutif du Parti, Wang est le plus proche conseiller du Président.

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Dans l’appareil du Parti, les juristes de la 5e génération tels Wang Hunning, conseiller politique des 3 présidents Jiang, Hu et Xi, Li Shulei, membre de la Commission centrale de discipline, He Yiting, n°2 de l’Ecole Centrale du Parti et Huang Kunming, n°2 du département de la propagande sont sur cette ligne d’un droit chinois, non pas décalqué des pratiques occidentales, mais dérivé des anciens courants légistes de Shang Yang et Han Feizi de l’époque des Royaumes combattants.

Au fond pour eux la légitimité des juges et leur indépendance découlerait non pas du droit mais, comme il y a 22 siècles, de la puissance de leur sens du devoir au service du pays.

Yu Keping réhabilite Gorbatchev et la démocratie.

A côté de cette utopie morale vertueuse censée remplacer le concept démocratique d’une institution judiciaire indépendante, avec tout de même en arrière plan le souci de ne jamais menacer le magistère politique du parti, les intellectuels chinois n’ont pas abandonné la perspective d’une vraie démocratie.

Yu Keping, professeur de droit à l’université de Pékin où il dirige l’institut de « gouvernance » [2], à l’occasion, conseiller du gouvernement, fait partie des penseurs politiques qui continuent d’affirmer haut et fort les vertus d’un système politique articulé autour d’une nette séparation des pouvoirs, légitimés par des élections libres.

Dans un article récent paru dans le magazine Caixin, il affirmait non seulement que la démocratie était « désirable », mais aussi qu’elle était « historiquement inévitable. » Même l’URSS dont les racines plongent dans le cœur même du communisme n’a pas réussi à la tenir à distance.

Publiée le 13 juin dernier, la réflexion prenait comme argument la transition en Russie après la chute de l’URSS et l’action de Michael Gorbatchev. Intitulé « Les importantes leçons de la réforme démocratique en Russie - 俄罗斯 的 民主 转型级其重要 启示 - »,l’analyse prenait contrepied des habituelles présentations émanant de l’École Centrale du parti selon lesquelles Gorbatchev avait été un traitre à la cause de l’internationale socialiste et du communisme.

Pour Yu Keping, Gorbatchev a, au contraire, favorisé le virage démocratique de la Russie après la désintégration de l’URSS. Il a ouvert l’esprit de la population, à la fois aux principes de la pluralité politique et à ceux d’une « gouvernance » moderne. Certains en Chine voient dans l’article publié par Caixin une indication que le régime serait prêt à abandonner les dogmes marxistes.

C’est le cas de Xin Ziling, cadre à la retraite de l’Université de la Défense Nationale signataire en 2010 avec 22 autres anciens d’une lettre ouverte à l’ANP demandant d’abolir la censure politique. Pour lui, aujourd’hui, la narration politique anti-Gorbatchev perd en influence chez les intellectuels chinois.

Réformes politiques et résistances.

Le 14 novembre 2010, à l’occasion de l’inauguration d’un buste de Deng Xiaoping à Singapour, Xi Jinping alors vice-président, rencontrait Li Kwan Yu, le modèle que se sont donnés beaucoup de dirigeants chinois. Dans son livre « Xi Jinping, la Chine rouge, nouvelle génération » - l’Harmattan 2013, Agnès Andresy souligne que Pékin a multiplié les délégations à Singapour pour en étudier le système politique.

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Mais Yu reconnaît lui-même que les critiques dont Gorbatchev est la cible en Chine restent très vives. Elle sont, dit-il, le reflet de l’état de la réflexion politique et éclairent la trajectoire future de la gouvernance. On peut donc sans risque de se tromper beaucoup, affirmer que la probabilité qu’elle s’oriente vers plus d’ouverture politique est faible.

S’il est vrai que la propagande décrit le système chinois comme une « démocratie consultative », on ne voit pas que l’appareil soit, par ces temps de grandes incertitudes socio-économiques et de lutte féroce contre les corrompus, prêt à renoncer au dogme de la prévalence du parti.

A tout le moins, la publication de l’article de Yu Keping pourrait signaler la perte d’influence de la faction dure dirigée par Liu Yunshan, favorable à la fermeture politique sans esprit de recul, tandis que d’autres évaluent les risques d’un blocage de la société portés par la perpétuation des choix répressifs. Une chose est sûre, la liberté de parole de Yu Keping tranche avec l’ambiance de fermeture qui prévalait en 2014.

Lire notre article : Feu sur les « excroissances méningées du Parti » et reprise en main idéologique

Enfin, il n’est pas anodin de rappeler qu’à la tête du magazine Caixin se trouve Hu Shuli connue pour ses idées d’ouverture politique, elle même proche de Wang Qishan n°6 du politburo, président de la Commission de discipline, artisan impitoyable de la lutte contre la corruption, mais dont les convictions politiques rejoignent celles de nombres de sociologues affirmant que les condamnations et la mise sous les verrous des prévaricateurs ne traitent que les symptômes du mal. Pour eux la vraie solution réside dans la réforme du système politique.

L’idéal vertueux du despotisme éclairé.

Deux questions émergent de cette analyse. La première est celle du moment. Il est clair que la machine politique ne prendra aucun risque tant qu’elle n’aura pas assuré ses bases dans la bureaucratie, l’armée et dans les administrations provinciales. L’acuité de la question augmentera à mesure que s’approchera l’échéance du 19e Congrès et la virulence critique des clans qui assimilent la lutte contre la corruption à une joute entre factions rivales.

La deuxième est celle de la nature même des réformes. Considérant que la démocratie réelle prônée par Montesquieu porte le risque de briser l’harmonie sociale et politique et qu’aujourd’hui, encombrée par d’incessantes campagnes électorales, sous la pression des sondages, de la presse et des réseaux sociaux, elle est incapable de se projeter au-delà de l’échéance des scrutins, le Parti ne sera pas tenté par la solution de Yu Keping, mais par celle de Singapour.

Elle présente le double avantage de remplacer la garantie du droit par la vertu du despote et de protéger le magistère du Parti.

Écoutez la conférence en Anglais de Yu Keping à l’université de Sydney le 11 avril 2016

Note(s) :

[1Léon Vandermeersch explique longuement comment l’esprit de remontrance à l’Empereur s’est développé en Chine sous les Tang et les Song. Au point que, sous les Ming, la culture d’indépendance par rapport au pouvoir impérial s’était à ce point développée que nombre de lettrés héroïques, subjugués par leur devoir, se sont « exposés au bannissement à la prison ou à la mort. »

[2YU Keping est aujourd’hui un des intellectuels en vue dans son pays et à l’étranger où il donne des conférences sur la philosophie politique en Chine, la société civile, la globalisation et les systèmes politiques comparés. En avril dernier, il était à l’Université de Sydney où son sujet était « Pouvoir et autorité en Chine, nouvelles perspectives ».

Il est l’auteur de plusieurs livres et essais dont « Essais sur la modernisation de l’État » (2015), « La globalisation et l’évolution de la “gouvernance“ en Chine » (2013), « La gouvernance et l’État de droit en Chine » (2012) et « la démocratie est une bonne chose » (2010). En 2011, il a été désigné par le magazine américain « Foreign Policy » comme un des 100 intellectuels en vue dans le monde. En 2015, la presse chinoise l’a reconnu comme un des intellectuels le plus influents du moment.


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