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›› Chronique

Risques de crise en Chine

David Shambaugh professeur de sciences politiques à l’Université Georges Washington, ancien éditeur de la revue China Quaterly.

Cette étude fait le point des débats parmi les sinologues français et américains et quelques chercheurs chinois à propos des risques qui pèsent sur le Parti communiste au pouvoir depuis 1949.

Récemment la controverse a été relancée par un article de David Shambaugh dans le Wall Street Journal, publié le 6 mars, le lendemain de l’ouverture de la session annuelle de l’ANP et intitulé : « The coming chinese crackup » qui spécule sur la fin de la règle communiste dont, dit l’auteur, la solidité et la force ne sont qu’apparentes.

David Shambaugh n’est pas le premier venu et sa prise de position iconoclaste qui mérite attention, tranche avec la prudence académique antérieure de l’ancien éditeur de la très vénérable revue China Quaterly. Elle lui a valu un retour cinglant de la direction du régime dans le China Daily du 13 mars l’accusant de « généralisation hâtive » et de « superficialité ». Elle marque une sérieuse inflexion de son analyse de la Chine et du Parti.

Sinologue respecté, professeur de sciences politiques à l’Université Georges Washington, peu enclin aux appréciations à l’emporte pièce ou émotionnelles, Shambaugh, qui a récemment produit quelques analyses très remarquées telles que « China goes global » (2013) et « China’s Communist Party : Atrophy & Adaptation » (2008), est un expert très introduit dans le système politique chinois.

En janvier 2015, des chercheurs de l’Institut des Affaires étrangères, sous la coupe du Waijiaobu, l’ont cité comme le 2e sinologue le plus influent après David M. Lampton, Directeur des études chinoises à l’université John Hopkins et président de l’ONG Asia Foundation. Régulièrement invité par le régime, y compris lors de séminaires confidentiels peu ouverts aux étrangers, il était encore en décembre dernier à une conférence organisée par l’École Centrale du Parti, le cœur idéologique de l’appareil.

Sa thèse qu’il publie en reconnaissant qu’elle met en danger sa réputation de sinologue respecté, est sans détours. Fruit d’une prise de conscience qui mûrit depuis les événements de 2008 au Tibet et de 2009 au Xinjiang, elle spécule que la violente campagne de répression contre la dissidence et les corrompus est en réalité un signe de faiblesse qui renvoie à l’expression chinoise : waiying, neiruan 外硬 内软(dur à l’extérieur, mou à l’intérieur). « En dépit des apparences, la machine politique est gravement endommagée et le Parti lui-même le sait mieux que quiconque ». (…). « Déterminé à ne pas être le Gorbachev chinois, Xi Jinping pourrait bien, par sa politique despotique qui met la société et le Parti sous tension, rapprocher le régime de sa chute ».

Désillusion des élites ; sévérité des répressions ;

Vanité de la lutte anti-corruption ; blocages des réformes

A l’appui de sa prédiction, Shambaugh évoque 5 lignes de fractures qui, selon lui ne pourraient être réparées qu’au prix de réformes politiques : 1) Les élites chinoises dont 64% sont, selon le rapport de l’Institut Hurun en train d’émigrer ou prêtes à le faire, exprimant un très préoccupant déficit de confiance dans l’avenir du pays. Leurs enfants étant déjà partis étudier à l’étranger et leurs fortunes à l’abri dans des comptes offshore ou des achats immobiliers ;

2) Sous le pesant chapeau de la « Directive n°9 » qui, depuis 2013, met la machine politique en garde contre les idées de « démocratie à l’occidentale », de « valeurs universelles », de « conception occidentale du journalisme et de l’information », le régime, tenaillé par les risques qui pèsent sur sa survie, a accentué les répressions contre la presse, les réseaux sociaux, les arts, la littérature, l’internet, les intellectuels, les Tibétains, les Ouïghours, les dissidents, les avocats, les ONG, les universitaires et les livres ;

3) Même les plus loyaux des apparatchiks semblent atteints d’une léthargie d’acquiescement factice, alors que la propagande autour du rêve chinois perd peu à peu sa force de persuasion, tandis que personne n’achète le livre de Xi Jinping sur la gouvernance de la Chine (Lire notre article Xi Jinping et la gouvernance de la Chine).

4) Tout en étant plus sévère et plus suivie que les précédentes, la campagne contre la corruption n’a aucune chance d’éradiquer le mal consubstantiel du fonctionnement même du régime, articulé autour du clientélisme politique, de l’opacité, de la censure et de la faiblesse de l’État de droit. (Lire notre article Guerre contre la corruption : le Parti s’interroge sur lui-même).

Alors que Xi Jinping fait lui-même partie des grandes familles de l’oligarchie révolutionnaire (Tai Zi), dont la popularité est fragile, la chasse aux corrompus est au moins autant une purge politique dont les cibles sont les membres du clan de l’ancien n°1 Jiang Zemin. Selon Shambaugh, alors que Xi lui-même ne bénéficie pas d’une coterie à sa dévotion, la manœuvre d’éradication des fidèles de Jiang qui est toujours le parrain de la politique chinoise, est une entreprise à hauts risques.

5) L’économie chinoise est embourbée dans une série de pièges systémiques dont il sera difficile de s’extirper. Après le troisième plenum de novembre 2013, et en dépit de quelques succès qui réussirent à hausser les dépenses de consommation, ralentir l’investissement et améliorer la rigueur budgétaire, les réformes se heurtent aux importantes féodalités des entreprises publiques et des administrations provinciales.

Selon Shambaugh, seules des réformes politiques seraient capables de conférer à la société la réactivité et la souplesse nécessaires à sa modernisation et au développement de l’esprit d’innovation, principal objectif du 3e Plenum. Au lieu de cela, la machine politique est elle-même devenue le principal obstacle aux réformes socio-économiques que le Parti appelle de ses vœux. Si Xi Jinping et son équipe ne relâchent pas leur étau sur la société, ils pourraient bien créer les conditions du craquement qu’ils veulent éviter.

*

L’analyse contraire de la RAND corporation.

Le 13 Mars, dans un article publié dans la revue The Diplomat, intitulé « Non la Chine n’est pas sur le point de s’affondrer », Timothy Heath expert de la Chine à la RAND Corporation et auteur de « China’s new governing paradigm : political renewal and the pursuit of National rejuvenation » (2014) prenait le contrepied de son confrère. Lui-même intrigué par l’attitude répressive exprimant un fort sentiment d’insécurité et reconnaissant les handicaps de rigidité qui plombent le Parti, Heath insiste sur ses atouts et les efforts consentis depuis quelques années pour améliorer sa gouvernance à la rencontre des aspirations sociales des Chinois moyens.

Selon lui, la machine politique toujours très solidaire et qui ne montre aucun signe de craquement, procure aux Chinois une assurance de première grandeur : la garantie de tenir à distance les affres des secousses politiques chaotiques qui, par le passé, faillirent engloutir le Parti. En même temps, le régime qui corrige ses lacunes de gouvernance a le mérite d’affronter de manière très organisée et systématique les défis qui tiennent le plus à cœur aux Chinois.

Ces derniers vont de la recherche d’une meilleure efficacité économique et politique à l’amélioration des systèmes sociaux, en passant par les attentes culturelles, les nouvelles préoccupations écologiques et la hausse de la qualité de la vie. A ce titre, dit Heath, et en dépit de la lenteur des progrès, parfois de ses échecs, l’audience populaire du régime reste étonnamment forte.

Essayant une mise en perspective, Heath rappelle qu’à chaque fois que la Chine s’est trouvée à la croisée des chemins, faisant face à d’immenses défis, surgissent des analyses pessimistes sur l’avenir du régime. Le dernier épisode eut lieu à la fin des années 90, ponctué par un ralentissement économique, un démoralisation des élites intellectuelles, d’incessantes protestations sociales et de sévères luttes de clans.

Mais la capacité de résistance du Parti avait une fois de plus étonné les observateurs et déjoué les prédictions. Aujourd’hui, ajoute Heath prudent, la crise est probablement plus grave qu’il y a 20 ans, mais dit-il, tout indique que les élites politiques sont prêtes à tout faire pour éviter que le pays ne retombe dans un cycle d’humiliations et de déclin.


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