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Syrie. Portée et limites du virage stratégique chinois

Pékin stigmatise l’Occident et les opérations armées à but humanitaire.

Pour expliquer le véto chinois du 19 juillet 2012, où la Chine commençait à se sentir isolée en compagnie de Moscou, c’est l’Ambassadeur à l’ONU, Li Baodong, qui est monté en première ligne, à la suite de Dai Bingguo, Conseiller d’Etat chargé des Affaires stratégiques, ayant au Parti la préséance sur le Ministre des AE Yang Jiechi. Son intervention exprime plus que d’autres la méfiance chargée de ressentiments contre l’Occident.

En réponse à la proposition de sanctions avancée par le Royaume Uni, pourtant votée par 11 membres du Conseil de Sécurité sur 15, dont 3 membres permanents (véto de Moscou et Pékin et abstentions du Pakistan et de l’Afrique du Sud), l’Ambassadeur Li, cité par Michael Swaine, dans China Leadership Monitor n° 39 du 1er octobre, expliquait, sans trop de détours diplomatiques, que l’Angleterre et ses appuis avaient montré une réticence totale à coopérer, faisant preuve « de rigidité et d’arrogance », rejetant les soucis légitimes des pays concernés et refusant le moindre amendement.

Visant sans le dire les Etats-Unis et l’UE, il ajoutait que « quelques pays incapables de séparer le vrai du faux, et fascinés par les tumultes du monde, avaient porté des jugements critiques sans fondement sur la Chine, s’immisçant aussi dans les Affaires intérieures des autres et attisant les ressentiments entre les pays ».

A Pékin, le sérail politique chinois a même abordé la question de la « Responsabilité de protéger », héritée du « droit d’ingérence humanitaire » promu par Bernard Kouchner, entériné par l’Assemblée Générale des Nations Unies en septembre 2009. Un concept on ne peut plus épineux pour un Etat comme la Chine, dont la politique étrangère est largement calibrée autour de la vision Westphalienne de l’inviolabilité des frontières et de la souveraineté des Etats.

Le 22 mars 2011, quelques jours après le lancement des opérations contre Kadhafi en Libye, le China Daily s’insurgeait contre la tendance des Etats-Unis et de leurs suiveurs Occidentaux à justifier par des préoccupations humanitaires leurs agressions armées. L’article précisait que, depuis le début du XXIe c’était déjà la 3e agression militaire contre un pays souverain.

Celles-ci n’étaient en réalité que des menées violentes, reliquat d’une mentalité de guerre froide contrastant avec l’air du temps, marqué par la coopération et le désir de paix et destinées à augmenter la domination de l’Occident. De surcroît, bien que s’abritant derrière les préoccupations humanitaires, elles n’en épargnaient pas pour autant les populations civiles.

Dans un article de mars 2012, signé Zhong Sheng, « 钟声 », pseudonyme dont les caractères signifient « son de cloche », homonyme de « la voix de la Chine - 中声- », le Quotidien du Peuple, avait clairement énoncé que la « Responsabilité de protéger » ne devait pas contrevenir aux principes de la souveraineté des états et de non interférence dans leurs affaires internes.

Selon l’auteur, qui affirmait que la priorité allait à l’harmonie des relations internationales, avant la solution des conflits politiques internes aux Etats, il était dangereux de généraliser le concept de « Responsabilité de protéger » et d’en abuser pour lancer des interventions armées à but humanitaire, dont les critères n’étaient pas définis avec précision.

Une attaque armée contre un Etat souverain pour raisons humanitaires ne pouvait être lancée que lorsque leurs exactions menaçaient la stabilité internationale, dans le cadre des NU. Elle n’était justifiée que si elle visait à stopper des génocides, des crimes de guerre, des opérations de nettoyage ethnique ou des crimes contre l’humanité.

*

La prudence chinoise critiquée. Possibles ajustements de Pékin.

Les critiques adressées à la Chine dans l’affaire syrienne ont redoublé depuis l’article de Zhong Sheng dans le quotidien du Peuple. En substance elles soupçonnent Pékin de double jeu. Très fortement engagée en Libye, où ses intérêts et ses ressortissants étaient menacés, Pékin avait intérêt à laisser la menace occidentale et de la Ligue Arabe se développer jusqu’à sa mise à exécution, quitte à la critiquer par la suite.

En revanche, en Syrie, ses enjeux sont inverses et opposés à ceux des Etats-Unis et de l’UE. N’ayant pas d’intérêts directs dans le pays, la Chine est proche de Téhéran, principal allié de Basahr al Assad, lui-même relais vers la mouvance palestinienne radicale, et, à ce titre doublement visé par les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite qui, au travers de la Syrie tentent d’affaiblir le régime iranien pour des raisons différentes, mais complémentaires.

Son véto systématique contre les sanctions, au motif qu’elles pourraient être le prélude à une opération militaire qui abuserait un mandat des Nations Unies, a en réalité permis les violations de droits humains du régime Assad, alors que le discours de Pékin s’articule précisément autour de sa volonté de protéger les populations contre les crimes commis par les belligérants et contre les effets collatéraux des combats. Avec d’autres facteurs, liés à l’exigence de départ d’Assad formulée par les Occidentaux, l’inflexibilité chinoise a précipité l’échec de la mission Annan.

Dans ces conditions, certains diplomates occidentaux estiment que l’image de « puissance douce », dont la Chine se réclame, pourrait souffrir de son positionnement systématique aux côtés de Vladimir Poutine et des dictatures de la planète. Ainsi, la résolution du Conseil des Droits de l’Homme du 1er mars était, selon eux, une pression exercée pour affaiblir le prestige international des deux capitales. Enfin les mêmes diplomates révèlent en privé que Pékin a commencé à négocier avec Moscou pour une approche moins rigide. Lavrov en personne serait prêt à plus de souplesse.

La déclaration de Yang Jiechi du 31 octobre signale une inflexion de la Chine et peut-être de la Russie, dont les causes doivent être recherchées dans le durcissement du conflit ponctué par des massacres indiscriminés de civils, violant les lois de la guerre et les principes humanitaires élémentaires, circonstances qui commencent, au demeurant, à se rapprocher des critères justifiant une intervention armée, décrits par Zhong Sheng.

A quoi s’ajoute un risque de plus en plus important de contagion régionale, dans un contexte où Moscou et Pékin sont isolés y compris au Moyen Orient, et où les dommages causés à leurs intérêts stratégiques par leur intransigeance, commencent à dépasser les bénéfices escomptés de leur blocage antioccidental.


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Par ryoga Le 14/01/2013 à 12h29

Syrie. Portée et limites du virage stratégique chinois.

article intéressant mais un peu plus orienté pro-occidental que d’habitude...On parle bcp des intérêt de la Chine (normal vu le site ;)) et la Fédération de Russie mais on oublie assez souvent ceux l’OTAN qui sont peu humanitaires aussi....

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