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Taïwan en pleine introspection constitutionnelle

Réforme constitutionnelle et séductions de la démocratie directe.

Le 2 février dernier l’ancien Président Lee Teng-hui donnait une conférence au Yuan Législatif sur la réforme constitutionnelle. Il y exhorta les deux chefs de partis Eric Chu et Tsai Ying-wen à coopérer pour la réforme de la constitution.

Le dernier sujet ayant récemment suscité d’importants débats internes est la réforme de la Loi Fondamentale dont certains proposent d’en accentuer le caractère de démocratie directe. Il faut voir ces réflexions d’abord comme une conséquence du désamour des Taïwanais pour le Yuan Législatif et la démocratie représentative. Un sondage effectué au début de l’année par le Commonwealth Magazine – 天下雜誌 - n’accordait que 9% de soutien populaire aux parlementaires de l’Île, dont les querelles internes étaient par ailleurs considérées comme la deuxième menace la plus grave pour la société après la faiblesse de l’économie.

L’effondrement de la popularité du Yuan Législatif prend aussi racine dans la séquence de ratification avortée de l’Accord Cadre sur les services qu’une partie de l’opinion et nombre d’universitaires qui soutenaient les protestataires étudiants de mouvement dit du tournesol avaient jugée à la fois opaque et précipitée. Dans ce contexte, les modifications constitutionnelles envisagées portent sur la facilitation des procédures de destitution ou de révocation par pétition et référendum des personnels politiques que nombre de politiques considèrent trop contraingnantes.

Le 14 février, l’Île a été le théâtre de l’échec pour quorum insuffisant d’une procédure de destitution à l’encontre du député KMT Alex Tsai. Ce dernier était accusé d’avoir, pour expliquer la défaite aux élections locales de Sean Lien dont il était directeur de campagne, lancé une cabale insultante contre le président Ma Ying-jeou et le président du Yuan Législatif Wang Jin-pying. Bien que 97,22% des votes se prononcèrent en faveur de la destitution, la procédure n’a pas été validée, le quorum de 50% des votants dans la circonscription appelée à se prononcer n’ayant pas été atteint. Mais, pour le porte parole du DPP, Cheng Yun-peng, en dépit de l’échec, l’événement qui a démontré la puissance des mouvements civiques taïwanais était historique.

Lee Teng-hui, héraut de l’indépendance et de la démocratie directe.

Le 2 février dernier, Lee Teng-hui (92 ans) a dans un discours au Yuan Législatif fait peser sa réputation en faveur d’une révision constitutionnelle. Premier président de la République de Chine élu au suffrage universel en 1996, issu du KMT mais qui devint plus tard un des plus radicaux avocats de l’indépendance de l’Île contre la Chine, il est resté le chef spirituel du Parti pour la Solidarité des Taïwanais (Taiwan Solidarity Union ; en Chinois : Taiwan Tuanjie Lianmeng 台灣團結聯盟), fondé en 2001. Au printemps 2014, il avait clairement soutenu les étudiants qui occupaient le Yuan Législatif. (Lire : Taïwan : Craquements politiques dans l’accord cadre. Les stratégies chinoises en question)

Son discours au Yuan Législatif fut une très violente critique contre la classe politique taïwanaise et le président Ma Ying-jeou traité d’incapable. Constatant, l’état de l’Île marqué par le recul de l’économie, de graves inégalités sociales, la défiance envers la démocratie et le poids grandissant d’une oligarchie ayant accaparé le pouvoir politique et les bénéfices du rapprochement entre les deux rives du Détroit, il appelait lui aussi à une réforme de la constitution.

Prenant parti dans le débat sur la démocratie directe en suggérant d’assouplir les conditions d’un référendum populaire et notamment de réviser l’article 12 qui en fixe les préalables, il a mis en garde contre les risques d’une dérive autoritaire posés par la désaffection des électeurs pour le système démocratique. La révision constitutionnelle devait précisément réconcilier les citoyens avec la démocratie.

Il fallait réduire la centralisation du pouvoir, supprimer les Yuan de contrôle et des examens, réformer le système électoral pour ajuster les votes au nombre de députés, améliorer les procédures de contrôle de l’exécutif y compris du Président, renforcer la séparation des trois pouvoirs - une exigence que l’actuel chef de l’État avait négligée - imposer une meilleure éthique aux médias, améliorer la participation des Taïwanais à la vie publique et abaisser l’âge des électeurs à 18 ans. En bref, le vieux Président estimait qu’à Taïwan l’esprit démocratique avait perdu son élan initial et qu’il convenait de le ressourcer par une réforme de la loi fondamentale.

*

Le statu-quo en question. Risque de tensions.

Dans l’Île, une partie de la classe politique estime que l’empressement du KMT à développer sans contrôle parlementaire les relations dans le Détroit fut à l’origine de la perversion de l’esprit démocratique. Dans ce contexte, la vision qui relie les pressions chinoises pour la réunification aux transes politiques taïwanaises marquant l’affaiblissement de la démocratie, rejoint celle des analystes pour qui l’apaisement entre Taïwan et le Continent a atteint son apogée : les relations, mises sous tension par la défaite du KMT et l’impatience de Pékin allaient désormais entrer dans des eaux plus agitées.

Ce point de vue qui rassemble des courants de pensée à Taïwan et aux États-Unis, constate la détermination de la Direction chinoise à engager le dialogue politique pour la réunification – « nous ne pouvons pas laisser la question aux génération futures » avait dit le Président Xi Jinping en octobre 2013. Dès lors il est légitime de s’interroger sur les chances de préserver l’apaisement dans le Détroit dans la mesure où les élites taïwanaises ne veulent ni entendre parler de dialogue politique avec le Continent ni du schéma « Un pays deux systèmes » que le Parti Communiste chinois entend, sans esprit de recul, mettre en œuvre dans l’Île.

L’opinion rejette le rapprochement politique.

A cet égard le sondage effectué en début d’année par le Common Wealth Magazine déjà cité ne laisse pas de doute sur le refus de l’opinion d’un rapprochement politique avec la Chine.

S’il est vrai que le mouvement du tournesol a, selon Wu Chin-en chercheur à l’Académie Sinica, profondément divisé la société tandis que 47% des Taïwanais appuient le développement des relations économiques dans le Détroit sous certaines conditions, le pourcentage de ceux qui ne souhaitent pas envoyer leurs enfants étudier sur le Continent a bondi à 70%, en hausse de 10% par rapport à janvier 2014. Le rejet est particulièrement prononcé chez les jeunes : alors que 50% des adultes accepteraient de travailler en Chine, dans la classe d’âge des 20 à 29 ans, seulement 20% seraient prêts à sauter le pas.

Mais il y a plus. Les auteurs du sondage identifient un affaiblissement de l’ancien attachement au « statu-quo » et un renforcement du sentiment d’identité taïwanaise prévalant sur le sentiment d’appartenance à la Chine. Ils sont maintenant 62% à se considérer d’abord comme « Taïwanais », un pourcentage resté stable depuis plusieurs années.

En 2014, les incidents de Hong Kong autour du mouvement « Occupy Central » ont aggravé la méfiance de l’opinion envers le système chinois. Quand on demande aux Taïwanais si la formule « un pays deux systèmes » serait appropriée pour l’Île, 81% répondent par la négative. Chez les 20 - 29 ans, cette proportion atteint 89%.

Selon Wu Chin-en, l’enquête montre que les relations dans le Détroit ne peuvent être qu’économiques et commerciales. Toute tentative pour dépasser ces limites serait vouée à l’échec et porteuse de crise. Cette contradiction hante actuellement la classe politique qui pressent un tournant funeste dans la relation.

C’est bien la raison pour laquelle, même le Parti Indépendantiste tente de mettre de l’eau dans son vin. La seule force politique qui reste attachée à l’identité indépendante de l’Île échappant à l’ombre politique du Continent est le TSU auquel est lié l’ancien Président Lee Teng-hui. Depuis 1995 ce dernier constitue un très sérieux irritant pour le Parti Communiste chinois.

On comprendra que l’exaspération de Pékin est d’autant plus forte que l’homme avait commencé sa vie d’adulte en 1944 (il avait 21 ans) par une expérience dans l’armée japonaise où il a servi comme officier subalterne dans une unité d’artillerie anti-aérienne à l’époque où l’Île était occupée et administrée par l’empire nippon suite à la cuisante défaite des Qing contre le Japon en 1895.


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