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›› Politique intérieure

Tibet. Recadrage et controverses internes

Signes de dissensions au sommet

Jin Wei conseillait de mettre de côté la question du « Grand Tibet », dont la sensibilité handicape les négociations, et suggérait d’autoriser à nouveau la vénération des photos du Dalai Lama sur le Plateau, tout en lui permettant de rentrer progressivement en Chine, en passant d’abord par Hong Kong et Macao. Le but de cette politique d’ouverture mesurée serait, selon elle, de mettre Pékin en mesure de reprendre le contrôle de la sélection du successeur de l’actuel Dalai Lama, « pour éviter à la Chine l’embarras d’avoir à faire face à deux réincarnations », l’une choisie par les Tibétains, l’autre par le Parti.

L’affaire n’est pas périphérique, puisqu’elle met en présence deux écoles politiques, l’une cadenassée prônée par le Comité Permanent et l’autre plus souple, mise en avant par un chercheur, prête à négocier, à propos d’une controverse déjà ancienne, mais qui se développe ouvertement au cœur même du système politique chinois.

Elle est d’autant plus significative des dissensions internes que l’Ecole Centrale du Parti, chargée de la formation politique des hauts dirigeants a, lors du 18e Congrès, été confiée à Liu Yunshan, n°5 du Régime, l’une des personnalités les plus fermées de la classe politique chinoise.

La mise au point du Quotidien du Peuple et de Yu Zhengsheng, qui refroidit les espoirs des Tibétains vient après la vague de suicides par le feu, déclenchée en 2009, dont le bilan atteignait 120 victimes au 19 juin dernier (101 hommes, dont 23 étaient âgés de moins de 18 ans et 19 femmes, dont 2 religieuses).

Il est probable que cette longue suite de sacrifices qui désarçonnent le pouvoir n’est pas étrangère au durcissement de la Direction chinoise. Le raidissement tranche avec la volonté de dialogue sans cesse exprimée par le Dalai Lama qui, à plusieurs reprises, a clairement pris ses distances avec la vague de suicides, estimant qu’elle n’aidait pas la cause du Tibet.

A la mi-juin, à un correspondant du journal Die Welt, venu l’interviewer à Dharamsala, il expliquait que les protestations et les immolations, en augmentation ces dernières années, avaient provoqué un alourdissement de la présence militaire chinoise. Pour le Chef religieux, aujourd’hui officiellement retiré de la politique, le problème tibétain devait être résolu par le dialogue, la compréhension réciproque et l’harmonie.

Il faut également rappeler que Hu Yaobang, la conscience politique du Régime, devenu l’emblème des réformateurs, dont la disparition en 1989 alluma l’étincelle de Tian An Men, et dont la tombe est encore visitée chaque année, avait lui-même prôné un allègement de la main chinoise sur le Tibet, avant d’être limogé par Deng Xiaoping en 1987.

La controverse vieille de plus de 30 ans, qui resurgit autour de la politique tibétaine de la Chine, renvoie donc aussi aux tensions internes entre les adeptes inflexibles de la fermeture et les tenants de la souplesse.

Ces derniers qui se réclament de Hu Yaobang, ne sont pas des soliveaux puisqu’il s’agit de Li Yuanchao, le vice-président, de Wen Jiabao, l’ancien premier ministre et n°3 du Régime, et de Wang Yang, ancien n°1 à Canton, aujourd’hui membre du Bureau Politique, Vice-Premier ministre en charge du commerce, de l’agriculture et des désastres naturels.

Il est intéressant de noter que l’ascension des deux derniers vers le sommet a été bloquée lors du 18e Congrès. ils n’avaient en effet pas été admis au Comité Permanent, probablement parce que les conservateurs estimaient que leurs convictions politiques d’ouverture mettaient le Parti en danger.

Force est de constater que leur parole est aujourd’hui très rare, contrairement à la période 2008 - 2010, où ils s’étaient beaucoup exprimés. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils aient renoncé à toute influence.

Le Tibet, atout stratégique de la Chine.

Au Comité Permanent on craint aussi qu’une détente politique n’affaiblisse le contrôle du Centre sur le Plateau, portion de très haute valeur stratégique du territoire chinois, au contact de la frontière indienne, où, selon les renseignements militaires indiens, l’APL a déployé au moins 9 bases de missiles nucléaires, 17 stations radar, et 14 bases aériennes, dont les capacités d’accueil sont en cours d’extension pour des chasseurs à long rayon d’action.

Pékin a aussi développé un réseau routier très dense permettant la bascule rapide d’unités militaires d’est en ouest, le long des zones contestées de l’Aksaï Chin et de l’Arunachal Pradesh. Voir le site The Challenge Posed by China’s Military Posture in Tibet.

Lire aussi Diplomatie chinoise et méfiances indiennes.

Le contexte, également marqué par les tensions avec l’Inde qui s’ajoutent à l’immobilisme politique du Comité Permanent exprimé par Yu Zhengsheng et Liu Yunshan ne plaide donc pas pour une évolution politique dans un avenir proche.

Il n’empêche que la controverse devenue publique entre une intellectuelle ethnologue attachée à l’Ecole du Parti et au moins deux membres du Comité Permanent exprime un craquement dans la ligne politique à propos du Tibet, qui renvoie à une scission entre les tenants d’une approche souple, au moins à l’égard du Dalai Lama, et ceux accrochés à une stratégie de condamnation sans nuance du chef religieux tibétain.

Ces critiques de la ligne officielle souvent diffusées par le canal des médias de Hong Kong ou même des organes de presse occidentaux sont des indices de bataille interne. Ils sont à considérer avec d’autant plus d’attention qu’ils ne sont pas isolés, et qu’aucun chercheur n’oserait s’avancer sur le terrain de la contestation publique du Parti s’il ne bénéficiait d’appuis solides au sein même du système.


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