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Violences extrêmes et magistère du Parti

Photo : Depuis 2009 le contrôle du net s’est considérablement alourdi.

Dysfonctionnements et frustrations.

La problématique à laquelle est confrontée le régime peut être circonscrite entre deux contraires : d’une part l’affirmation de Deng Xiaoping : « 中国不能乱 Zhongguo bu neng luan – il est impossible de laisser s’installer le désordre en Chine » qui visait à réprimer toute contestation vue comme les prémisses du chaos ; et d’autre part, l’ouverture politique, pouvant conduire à un dialogue avec la société civile (syndicats indépendants, associations professionnelles indépendantes et organisations non gouvernementales) au risque d’affaiblir le magistère du Parti.

Les dysfonctionnements bien connus vont des tendances centrifuges et indisciplinées des cadres locaux qui confinent parfois à l’absence de loyauté, aux financements insuffisants des budgets des administrations de provinces et des districts qui obligent à rechercher des financement parallèles par la spéculation foncière, en passant par la collusion des bureaucrates avec des développeurs, le tout noyé dans de vieilles habitudes de corruption où l’argent public se confond souvent avec le profit personnel.

Facteurs aggravants : 1) les fonctionnaires locaux s’arrogent indirectement le contrôle du foncier par des pots de vin aux fermiers qui, en théorie, possèdent collectivement la terre qu’ils cultivent ; 2) la soumission de la justice au Parti, aujourd’hui sur la sellette. Dans de nombreux cas, ce « mélange des genres » entre l’exécutif et le judiciaire fut à la racine de l’impunité, des abus de pouvoir et de l’arbitraire, que le Comité Permanent tente aujourd’hui de réduire.

Le dérapage tragique de Fuyou où la police a perdu le contrôle de la situation et n’a pas réussi à tenir à distance les belligérants et à maintenir l’ordre, n’est pas le premier, même s’il est assurément l’un des plus violents. A l’origine de la plupart des « incidents de masse 群体性事件 », comme le Parti désigne ces éruptions dans les zones rurales ou périurbaines : les compensations financières accordées aux fermiers calculées non pas à partir des profits immobiliers potentiels, mais selon la valeur agricole de la terre estimée par les développeurs, souvent en cheville avec les administrations locales.

Des « incidents de masse » plus violents et plus fréquents.

Même si la définition des « incidents de masse » reste imprécise et que les données officielles du régime sont assez souvent contradictoires, nombre d’observateurs de la Chine s’accordent à dire que leur fréquence et leur violence augmente. En 2007, l’Académie des Sciences Sociales (CASS) elle-même estimait leur nombre « supérieur à 90 000 » ; En 2008 et 2009, la violence s’est statistiquement aggravée du fait des émeutes au Tibet et au Xinjiang.

Mais, le 21 juillet 2014, le China Daily publiait un article qui faisait le bilan des incidents ayant regroupé entre 100 et 10 000 protestataires entre janvier 2000 et septembre 2013. Se référant au rapport annuel du gouvernement sur l’État de droit en Chine, les chiffres étaient très notablement inférieurs à ceux qui circulent dans les médias occidentaux, la plupart du temps issus de données confidentielles chinoises ayant transpiré par le canal de Hong Kong.

Le China Daily estimait qu’en 13 ans, le nombre d’incidents impliquant moins de 10 000 personnes n’était que de 861, tandis que seulement une dizaine avaient rassemblé plus de 10 000 manifestants. Ces affirmations étaient cependant contredites par le professeur Shan Guangnai, sociologue de la CASS qui accusait l’article de ne faire état que des incidents documentés par les médias officiels chinois.

Selon le sinologue coréen Jae Ho CHUNG, Docteur en relations internationales qui fut professeur associé à l’Université du Peuple à Pékin et auteur d’une étude sur les incidents de masse en Chine, le nombre des manifestations et des participants ainsi que leur violence ont constamment augmenté depuis le milieu des années 90, avec une accélération à partir de 2008.

50% des participants sont des paysans et 34% des urbains ; le reste appartenant à des minorités ethniques ou à des groupes religieux. Mais l’étude constate aussi que de plus en plus de secteurs de la société sont concernés, des intellectuels aux fonctionnaires en passant par les entrepreneurs privés, les militaires et les chauffeurs de taxis.

Frustrations, colère et répressions.

Depuis 2003, ajoute le rapport, la violence des incidents s’est accrue avec des obstructions de routes et de voies ferrées, des attaques contre des transports publics, des bâtiments officiels et des agressions directes contre la police. L’augmentation directe de la violence peut-être attribuée à au moins 2 facteurs, reconnus par le premier ministre Zhu Rongji lui-même dès 2001 :

1) La colère justifiée des citoyens convaincus que les abus des pouvoirs publics ne cesseraient que si leur attention était attirée par des actions violentes. Les mesures correctives ayant d’autant plus de chance d’être rapides et efficaces que les protestations seraient plus brutales. Une conviction résumée par le diction populaire hérité de l’ancestrale culture paysanne d’opposition au pouvoir : « 不闹 不解决 ; 小闹 小解决 ; 大闹大解决 : Bu nao bu jiejue, xiao nao, xiao jieju, da nao, da jiejue – pas de bruit, pas de solution ; petit bruit petite solution ; grand bruit grande solution ».

2) Face aux désordres, les réactions de la police diligentée par les cadres locaux effrayés par la mauvaise presse des tumultes sociaux dans leur circonscription étaient assez souvent disproportionnées et, par là même, génératrices de violences ultérieures. Cette tendance confirmait l’estimation du gouvernement central qu’assez souvent les troubles étaient en partie provoqués par l’incompétence ou les faux pas des administrations locales.

Nombre de ces facteurs (frustration des manifestants, autisme du pouvoir et brutalités des forces de sécurité du chantier dont l’origine est incertaine, maladresse ou incompétence des fonctionnaires) étaient réunis à Fuyou. A l’exception cependant des réactions rapides et disproportionnées de la police. L’inertie initiale des forces de sécurité locales, évidente le 14 octobre dernier, avait déjà été constatée à d’autres occasions, y compris lors des émeutes au Xinjiang en 2009.

Tout se passe comme si la volonté des cadres de la police d’éviter des affrontements majeurs les avait rendus trop attentistes, ou, hypothèse plus néfaste, comme s’il existait une collusion entre le chantier et les forces de police. Quoi qu’il en soit, leur inertie initiale a ouvert la voie à de graves débordements dont la violence était comparable aux excès meurtriers des émeutes de Lhassa et d’Urumqi en 2008 et 2009.


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